Réalisée du 11 au 18 août 2021
C'est parti pour la traversée de la Suisse. On ne zigzaguera plus entre les frontières jusqu'à ce qu'on atteigne le Liechtenstein à l'extrémité Est de la Confédération Helvétique. Cette étape aura pour but majeur de relier deux des stations les plus réputées du pays : Zermatt et Grindelwald. Depuis l'extrême Sud de la Suisse, nous rejoindrons le centre du pays où passe la Via Alpina verte (aussi appelée la Via Alpina suisse).
Cet itinéraire permettra de rapidement nous immerger dans le petit pays avec ses pics à plus de 4000m, ses immenses glaciers, ses alpages où se succèdent les chalets fleuris de géraniums mais également, et malheureusement, les prix suisses et les nombreuses infrastructures présentes en montagne. Les prix seront le gros point noir de la Suisse. Que ce soit en montagne, dans les refuges ou dans les supermarchés, certains prix peuvent doubler voire tripler par rapport à ce que l'on peut trouver en France ou en Italie. Nous avons été marqués par la différence du prix de l'omelette dans les refuges de montagne : en France une omelette nous coûtait 8€ environ, en Suisse cette somme atteignait 18CHF. Les paysages sont heureusement là pour nous faire oublier ce petit désagrément.
La Suisse est à elle seule une petite Europe. Et notamment sa partie occidentale. Entre les touristes et les locaux, vous entendrez une multitude de langues sur les sentiers, dans les centres-villes et dans les supermarchés : allemand, français, italien, anglais. La division administrative du pays en cantons, à l'image d'un pays fédéral, renforce cette sensation. De petites concurrences s'établissent entre les cantons notamment francophones et germanophones mais également à l'intérieur des cantons qui ont une partie française et une partie alémanique comme le Canton du Valais. Dans ce canton, à l'Ouest on parle français, à l'Est on parle allemand et au centre on est bilingue. Je caricature volontairement, même si la vérité n'est pas très éloignée. On perçoit souvent la Suisse comme un pays qui fonctionne, comme un pays où les expériences démocratiques sont nombreuses, comme un pays où l'argent n'est pas un problème. A notre grand étonnement, en traversant la Vallée du Rhône, au coeur du Canton du Valais, notre chauffeur, lors d'un trajet en stop, nous indiquait une autoroute en travaux depuis une vingtaine d'années. Pour lui, c'était le signe des divisions entre les Valaisans francophones et les Valaisans germanophones notamment sur les questions financières. A lui d'ajouter ''je ne suis pas Valaisan donc je peux me permettre de dire que les dirigeants du Valais veulent tout mais ne donnent rien !''. L'immersion dans un pays, même si c'est pour traverser les Alpes, permet ainsi de mieux appréhender son fonctionnement et la réalité du terrain.
En parlant de réalité du terrain, nous devons quitter Zermatt pour nous diriger vers le Nord. Au lieu de traverser en fond de vallée, nous optons par la voie en balcons au-dessus de celle-ci. Après un crochet sur le sentier des lacs en amont de la ville, nous emprunterons brièvement le Chamonix-Zermatt, mais en sens inverse, dans l'objectif d'atteindre la ville de Viège (- Visp) d'ici quelques jours. Ce sentier au-dessus de la Vallée de Zermatt porte également le nom d'Europaweg (- Sentier de l'Europe). Cependant, rien ne se passera réellement comme prévu.
Nous partons à la rencontre de trois petits lacs sur les hauteurs de Zermatt qui bénéficient d'une vue imprenable sur le Cervin : le Mosjesee, le Grindjisee et enfin le Stellisee. Malgré la vue, le cadre est un peu décevant avec de nombreuses remontées mécaniques ramenant des centaines de touristes autour de ces petits lacs en quête de LA photo instagrammable.
Rapidement, nous nous extirpons de cette foule en partant vers le Nord. Les remontées mécaniques se raréfient, de même que les touristes. Resteront les VTT électriques et les hélicoptères encore pendant un moment, avant d'enfin retrouver une montagne sauvage et paisible.
L'Europaweg (- Sentier de l'Europe) est un sentier en balcons reliant Zermatt à Grächen et emprunte des parties plus ou moins abruptes. Tellement abruptes que nous ne pouvons que très rarement apercevoir les 4000 qui nous surplombent. Et pourtant ils sont bien là : Alphubel 4206m, Täschhorn 4490m ou encore Nadelhorn 4327m. A défaut d'apercevoir ces géants, on peut contempler la chaîne de montagnes de l'autre côté de la vallée où d'autres colosses de roches s'élèvent.
Peu avant la fin de cette journée, nous atteignons la Passerelle Charles Kuonen. Il s'agit du plus long pont suspendu des Alpes avec ses 500m de longueur. Il n'est pas rare qu'en traversant la passerelle, les troupeaux de chamois pâturent sous celle-ci, 85m plus bas. Cette traversée bénéficie d'une vue imprenable sur le Weisshorn 4505m.
Le lendemain sera tout aussi ensoleillé et tout aussi chaud. Nous continuons de suivre l'Europaweg en passant devant l'Europahütte avant d'être rappelés à l'ordre par Mère Nature.
En milieu de matinée, nous passons à côté d'un panneau indiquant que la suite de l'Europaweg est interdite d'accès. Il n'y a pas d'indication particulière quant à la raison et nous sommes prévenus au dernier moment. Deux options sont donc sur la table : continuer sur ce chemin malgré ce message ou alors descendre au fond de la vallée. Nous choisissons la première option, choix qui va vite se retourner contre nous.
Tant que ça passe nous continuons l'Europaweg. Mais le danger sera trop important au bout de quelques kilomètres, de grands pans de la montagne s'étant détachés emportant avec eux le sentier. Demi tour donc et une rude descente vers le fond de vallée s'improvise. Au niveau du panneau indiquant l'interdiction de continuer sur l'Europaweg, un nouveau sentier a été aménagé. Il n'était d'ailleurs pas indiqué sur notre application.
Nous arrivons dans la vallée au niveau du village de Herbriggen sous une chaleur étouffante. Privés du sentier devant nous amener à Viège, nous atteindrons cette ville par la route, en autostop.
Avant de rejoindre la Via Alpina verte, nous profitons du beau temps annoncé pour effectuer un crochet de deux jours sur les hauteurs de la ville de Brigue (- Brig). Cela tombe bien, notre chauffeur habite là-bas et nous propose de passer la nuit chez lui avant de reprendre notre route. Pourquoi au-dessus de Brigue me direz-vous ? La raison est simple. C'est dans ces montagnes que se trouve le plus grand glacier des Alpes : Aletschgletscher.
Ce colosse de glaces est situé sur la Via Alpina rouge, la plus longue. Elle passe ensuite par le Canton des Grisons et remonte vers le Liechtenstein. Au départ, nous avions prévu d'emprunter cet itinéraire en rajoutant le crochet entre Kandersteg et Meiringen de la Via Alpina verte pour un retour sur le rouge depuis le Grimselpass. Cependant, à vouloir trop faire, on peut vite s'y perdre. C'est pourquoi, quelques jours avant Zermatt, nous avons opté pour l'itinéraire suivant : nous ne passerons pas par le Canton des Grisons, nous rejoindrons directement la Via Alpina verte pour filer vers le Liechtenstein avec seulement un crochet à Aletsch que nous effectuerons en stop pour ne pas perdre trop de temps. Mais pourquoi seulement l'itinéraire vert pas seulement l'itinéraire rouge ? Cela tient à la suite de notre projet dans les autres pays et notamment en Italie du Nord. Nous avons prévu un tour aménagé du Massif des Dolomites et il a fallu choisir entre l'accomplissement de ce tour et la réalisation de l'itinéraire rouge. Les chiffres aident à comprendre notre décision : la Via Alpina verte entre Kandersteg et le Liechtenstein c'est environ 270km. La Via Alpina rouge entre Viège et le Liechtenstein c'est plus de 600km. Cet itinéraire plus direct vers le Liechtenstein sera aussi justifié par les prix suisses.
Mais le Liechtenstein est encore loin. Nous devons d'abord rejoindre Aletsch pour effectuer notre variante de deux jours. D'ailleurs, ce crochet ne sera pas comptabilisé dans le décompte final de notre Via Alpina : ni les kilomètres effectués en stop, navette et télécabine, ni les kilomètres de marche une fois autour du glacier.
La chance nous sourit une nouvelle fois puisqu'un violent orage frappera la vallée de Brigue. Peu de pluie mais un vent tempétueux traversera cette vallée suisse. La Vallée du Rhône helvétique est un des endroits les plus secs du pays, un vent chaud soufflant au niveau de son talweg. Dans cette vallée on peut d'ailleurs trouver le vignoble le plus haut d'Europe, à une altitude de 1100m. Cette chaleur est plutôt paradoxale quand on regarde une carte puisque les plus gros glaciers alpins se situent en amont de cette vallée, notamment sur les contreforts des Alpes Bernoises. Ce sont en réalité ces dernières qui reçoivent les précipitations les plus importantes bloquant souvent les pluies sur leur versant Nord. Ainsi le haut des glaciers est alimenté ce qui leur permet de dévaler le versant Sud, même si celui-là est plus sec.
Depuis Brigue, nous empruntons une navette puis un télécabine pour nous rendre dans la petite station de Bettmeralp. De là, nous rejoindrons le sentier panoramique du Glacier d'Aletsch.
Quelques chiffres sur ce mastodonte :
- 23,6km de long
- 128km2 de superficie
- Il avance entre 180 et 200m par an
- 900m d'épaisseur de glace au niveau de la Konkordiaplatz (zone de rencontre des différentes rivières glaciaires entre 2700 et 2800m d'altitude)
A titre de comparaison, voici les données du plus grand glacier de France, la Mer de Glace, dans le Massif du Mont Blanc :
- 7km de long
- 40km2 de superficie
- Il avance entre 90 et 120m par an
- 300m d'épaisseur au niveau de son bassin d'alimentation.
Le chemin panoramique de Aletsch Arena nous fait remonter le glacier en direction de Märjelensee, notre point de chute pour poser la tente. De là, nous pourrons encore davantage nous rapprocher du glacier.
Aux bords du glaciers, nous ne résistons pas à la tentation d'effectuer quelques dizaines de mètres sur sa surface. De là, on perd facilement la notion de distance et de taille tant le glacier est colossal et bloque l'horizon face à nous : c'est une véritable mer de glace.
Même si la chaleur estivale est au rendez-vous ce jour-là. En se rapprochant du glacier, l'air frais voire froid se ressent grandement. C'est donc avec la chair de poule que nous quitterons la surface du glacier pour aller poser notre bivouac près du Märjelensee. Ainsi nous allons profiter de cet endroit sans les flots de touristes qui empruntent eux aussi le sentier panoramique. Nous reviendrons dans la soirée près du glacier pour une séance photo un peu spéciale.
Le lendemain nous partons en sens inverse puisque nous suivrons le fil du glacier. Cependant nous n'emprunterons pas le même itinéraire. Nous grimperons au sommet du Eggishorn pour bénéficier d'une vue encore plus grandiose sur le glacier et les sommets environnants.
Pour atteindre le sommet, nous repassons du côté de la Vallée du Rhône. Le glacier est ainsi caché. Il se révèlera une fois au sommet : le spectacle pour les yeux est alors à son comble.
Nous quittons les lieux vers 9h du matin. Un longue descente s'opère vers le fond de la Vallée du Rhône, d'abord à pied puis en télécabine et enfin en navette jusqu'à Brigue. De là, quelques kilomètres de stop supplémentaires nous amènent vers la petite ville de Gampel. C'est à cet endroit que nous reprenons notre route vers la Via Alpina verte. Pour retourner dans les montagnes, le chemin est peu intéressant puisque près d'une route de montagne jusqu'au village de Ferden où nous bivouaquerons. Nous en avons pris plein les yeux pendant près de deux jours, nous pouvons nous autoriser quelques kilomètres inintéressants mais pas moins nécessaires.
Le lendemain nous ne franchirons pas de frontière internationale mais plutôt une frontière intra-étatique. Nous quitterons le Canton du Valais pour atterrir dans le Canton de Berne. Le français en prendra un coup : les ''bonjour'' se transformant en ''halo'' sur les sentiers et dans les villages. C'est le Lötschenpass qui nous fera basculer du côté bernois des Alpes bernoises.
Quelques kilomètres de traversée descendante et nous arrivons à la petite bourgade suisse de Kandersteg. Nous mettons ainsi pied sur la Via Alpina verte que nous suivrons jusqu'au Liechtenstein. Nous profitons de notre dernière soirée ensoleillée puisque cette nuit, les orages font leur grand retour.
Nous avons eu la bonne idée de poser notre tente près du torrent Oschibach. Or avec l'orage de la nuit, le débit du torrent a soudainement augmenté faisant rouler les cailloux présents dans son lit et nous réveillant par la même occasion. Nous n'étions pas si loin du cours d'eau et nous avions en tête les traces des intempéries passées visibles près de ce torrent. Ceci ne nous rassurait pas vraiment lorsque le débit du cours d'eau changeait, d'autant plus qu'en ouvrant la tente, nous n'y voyions rien. Nombre de torrents suisses présentes un système de vanne. Ces derniers servant à la fois à réguler le débit et également de petites centrales hydroélectriques. Nous en avons conclu que les vannes ont dû être ouvertes avec les précipitations nocturnes. Au petit matin, la nébulosité est importante mais la pluie a cessé. Nous espérons tout de même apercevoir un des plus beaux lacs suisses : Oeschinensee.
La suite de la Via Alpina verte part de l'autre côté de Oeschinensee pour grimper en direction du premier refuge que nous croiserons sur cet itinéraire : Blümlisalphütte. Le temps va cependant se dégrader et la pluie tombera de nouveau sur les Alpes bernoises. Nous aurons tout de même la courte occasion d'apercevoir les glaciers des environs.
Là encore le froid est de la partie. La pluie et le vent combinés à l'altitude assez élevée du col vers lequel on se dirige nous force à nous poser quelques instants dans le refuge. Nous ne sommes pas loin d'être une nouvelle fois complètement trempés et le brouillard cache entièrement la vue depuis le refuge. Nous craquons donc pour déguster un Rösti au fromage. Vers le milieu d'après-midi nous prenons notre courage à deux mains et décidons de débuter la descente vers l'alpage de Griesalp. Nous abandonnons l'objectif de franchir un second col.
Après Mürren la descente se poursuit en direction de Lauterbrunnen. D'abord en suivant les rails du petit train à crémaillère reliant les deux villages puis sous les câbles d'un téléphérique flambant neuf. Nous avons une nouvelle fois tenté un chemin barré qui s'est révélé bel et bien impraticable mais ceci aura eu pour avantage de nous faire découvrir une forêt où les myrtilles tapissent le sous-bois.
C'est la dernière journée de l'étape 4 de notre Via Alpina. Notre itinéraire reliera Lauterbrunnen à Grindelwald, deux lieux très touristiques de la Suisse. Tellement touristique que le caractère sauvage de la randonnée en montagne sera quasiment absent : village, station, train à crémaillère, hôtel sur les cols et même distributeur de fromages en plein milieu de l'alpage. Heureusement, les imposantes Alpes bernoises ne sont jamais bien loin même si la nébulosité en cachera une partie.
Après Lauterbrunnen, on monte vers la station de Wengen pour ensuite se diriger vers le Kleine Scheidegg. Soudainement, un bruit assourdissant retentit dans la vallée. Un sérac du Guggigletscher est en train de s'effondrer sous nos yeux.
Depuis le Kleine Scheidegg, un petit train à crémaillère peut vous conduire au Jungfraujoch perché à 3463m. Il s'agit de la plus haute gare de chemin de fer d'Europe et sûrement la plus impressionnante. Pour un billet qui vous coûtera probablement un bras vous emprunterez les nombreux tunnels construits au coeur de la montagne pour déboucher au milieu des 4000 des Alpes bernoises et surplombant les nombreux glaciers des environs. Mais pas de train à crémaillère pour nous, c'est à pied que nous nous rendons vers Grindelwald.
Nous ne bivouaquerons pas précisément à Grindelwald. Nous entamerons la montée en direction du col suivant, sans toutefois l'atteindre. À la station, nous avons craqué pour du fromage et du vin blanc : festin ce soir avec une bonne fondue. Cependant, une étrange douleur apparait au niveau de l'avant de mon tibia et ce seulement depuis le début de la descente du col entre Lauterbrunnen et Grindelwald. Les achats pour la fondue seront également l'occasion pour acheter de la crème anti-inflammatoire et de l'arnica. Reste à voir si cette douleur, pour l'instant supportable, deviendra gênante pour la suite de l'aventure.
Pourquoi couper l'étape en plein milieu de la Via Alpina verte ? Tout simplement parce qu'une étape Zermatt-Kandersteg serait trop courte et qu'une étape Zermatt-Liechtenstein serait à l'inverse trop longue. Grindelwald se situant quasiment au centre géographique de la Suisse, nous avons choisi de faire deux étapes distinctes pour la traversée de ce pays.
Pour le moment, la Suisse nous a révélé quelques surprises : des torrents changeant de débit lors des orages, de nombreux chemins barrés pour cause d'éboulement ou encore le prix exorbitant de notre petit déjeuner à Zermatt. À cela on peut ajouter les premiers vols d'hélicoptères dès 7h du matin ou les klaxons des bus postaux qui gravissent les cols routiers pour éviter d'écraser quelques cyclistes sur leur chemin. Mais la Confédération Helvétique a su également nous émerveiller par ses trésors naturels : Cervin, Glacier d'Aletsch, Alpes bernoises. Ces lieux sont tous aussi spectaculaires les uns par rapport aux autres. On comprend vite pourquoi ces lieux sont si touristiques. D'ailleurs, la suite de la Via Alpina verte l'est beaucoup moins que cette étape numéro 4, ce qui, conjugué à l'humidité ambiante, videra un peu plus les sentiers de montagne suisses de leurs touristes.
Nous continuerons notre route vers le Nord-Est, la Suisse nous réservant de nouvelles surprises à la fois naturelles mais également météorologiques et physiques.
Mais avant ça, on termine sur la beauté des noms des villages helvétiques :
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