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Histoire de pêche L'art de Jenn Thornhill Verma contribue à la création de politiques publiques éclairées et aux processus démocratiques en amont de leur adoption.

Est-ce que, historiquement, les connaissances traditionnelles, l'expertise locale, des pêcheurs et leurs communautés ont été entendues, écoutées dans la conception de modèles de gouvernance d'une ressource naturelle pour laquelle ils risques leurs vie, et de laquelle une communauté entière dépend ? L'histoire des Cowboys de Terre-Neuve est un art littéraire qui vient à la rencontre des politiques publiques, une histoire qui illustre les propos d'Elinor Ostrom, Prix Nobel d'économie, dans son analyse des politiques publiques en matière de pêche à la morue au Canada.

"Des données très agrégées peuvent ignorer ou neutraliser des connaissances locales importantes pour l'identification de problèmes futurs et l'élaboration de solutions. Par exemple, en 2002, un moratoire sur toute pêche à la morue du Nord a été déclaré par le gouvernement canadien après l'effondrement de cette précieuse pêche. Qu'est-ce qui n'a pas fonctionné ? Il y avait une variété de problèmes liés à l'information, notamment (...) le fait d'ignorer les pêcheurs côtiers qui capturaient des poissons de plus en plus petits et doutaient de la validité des évaluations de stock. Cette expérience illustre la nécessité de collecter et de modéliser des informations à la fois locales et agrégées sur les conditions des ressources et de les utiliser pour élaborer des politiques publiques appropriées." E. Ostrom

Voici un extrait de son livre, une recherche approfondie portant sur l'historique des politiques publiques ayant menées à l'effondrement de la pêche à la morue. Avec un regard constructif porté sur l'avenir maritime, nous vous inviterons après cette brève lecture, à nous partager ce qu'est pour vous une "mer intelligente". Cliquez sur le bouton ci-dessous si vous désirez agrémenter votre lecture d'une trame sonore évoquant la vie au bord de la mer et la vie des pêcheurs.

« Pêcheur, avec un bateau de soixante-cinq pieds! »

C'est ce que Brad Watkins, à l'âge de 18 ans, a écrit comme aspirations professionnelles dans l'annuaire de l'école. Un fier pêcheur de quatrième génération, Watkins pêche depuis l'âge de onze ans. Les autres étudiants ont ri de cette idée - la pêche ? C'est absurde. Eux aussi ont grandi en pêchant avec leurs pères, leurs grands-pères et leurs grands-mères. Comme tout le monde. Pourquoi alors tournent-ils le dos à la pêche et aux espoirs et rêves d'un a

C'était en 1992, l'année où le gouvernement canadien a fermé la pêche à la morue. Ils ont dit qu'il y avait trop de pêcheurs, pas assez de poissons, depuis trop longtemps. « Je n'ai pas retiré le poisson de l'eau…» avait dit John Crosbie, le ministre canadien de la pêche de l'époque. Mais les politiques fédérales ont certainement permis que cela se produise.

En 1962, la première année où la population de morue a été enregistrée dans l'une des plus grandes régions de pêche de l'Atlantique Nord-Ouest, la morue totalisait 1,6 million de tonnes métriques. 30 ans plus tard, en 1992, il y en avait moins de 100 mille tonnes. Le moratoire devait durer 2 ans - Assez longtemps pour que la population de morue de se rétablisse. Elle ne l'a pas fait et ne représente plus qu'une fraction de ce qu'elle était auparavant. Il en va de même pour tous les poissons et crustacés sauvages de cette région. Lorsque les poissons sont partis, les gens sont partis aussi - «La plupart des jeunes ont grandi dans un contexte de fermetures de pêcheries et d'usines de transformation, de dépeuplement rural et d'émigration,».

Au cours des dernières décennies, il y a eu moins d'emplois dans le secteur de la pêche. Les raisons varient, allant de la fermeture d'usines à la diminution du nombre d'entreprises de pêche, en passant par l'augmentation des coûts de propriété d'une entreprise et par des mesures plus strictes dans la profession, comme de longues exigences en matière de formation et de mentorat. La pêche et la transformation ont connu une réduction d'un tiers et de la moitié des emplois, respectivement, au cours des dix années qui ont suivi le moratoire. Et le déclin se poursuit - moins d'emplois, oui. Mais quand il y a moins de monde dans les ports, il y a aussi une grande perte culturelle.

Pourtant, dans certaines communautés de Terre-Neuve-et-Labrador, les bateaux de pêche demeurent un moteur économique ou une plaque tournante des ports extérieurs, mais ils sont menacés d'extinction, car la main-d'œuvre vieillit et les nouvelles recrues ne sont pas disposées à reprendre le flambeau là où leurs prédécesseurs l'ont laissé. Les dangers du métier sont un facteur de dissuasion majeur, et l'industrie ne s'en est jamais totalement accommodée, dit M. Power. À l'époque du moratoire sur la pêche à la morue, le passage à une autre pêche – celui de la pêche des mollusques et crustacés en haute mer - tout en permettant de réaliser des profits plus importants, imposait de plus grands risques aux pêcheurs.

« Pour la première fois, nous avons donné des permis à des pêcheurs qui n'avaient jamais pêché le crabe et ils ont dû transformer leurs bateaux et adopter de nouvelles technologies,» dit Power, «nous avons donc vu un pic d'accidents, de blessures et de décès au cours de cette période ». Brad Watkins a assumé ces risques en raison des revenus que promettait la pêche en eaux profondes.

Mais au moment où je vous parle aujourd'hui, Brad Watkins ne pêche plus. Il avait des aspirations audacieuses pour l'industrie, comme celle de réimaginer la façon dont nous pêchons la morue, par exemple. Plutôt que des bâtonnets de poisson, il voyait la possibilité de produire des filets. Il voulait transformer la pêche au filet maillant - basée sur la quantité - en une pêche à la ligne - basée sur la qualité. Il était le pionnier d'une approche qui serait meilleure pour le poisson, la pêche et les communautés de pêcheurs.

Avec le bateau et l'équipage de ses rêves, Watkins croyait pouvoir réalisé ses aspirations d'enfant. Malgré toutes les mesures de sécurités mises en place sur le bateau, pourtant à la fine pointe de la technologie, ils ont paradoxalement échoué. Il a perdu son bateau et a failli perdre tous ses hommes, son équipage, même si, heureusement, tous ont été sauvés. Brad Watkins a réussi à se remettre sur pied après l'accident mais ce ne fût pas facile. Son bateau n'a jamais été retrouvé. Il s'est battu pour l’argent de l'assurance. Il a perdu son quota de pêche, et surtout sa confiance dans le système. Ses rêves d'enfance se sont échoués.

On reproche trop souvent aux pêcheurs pour avoir pris des risques inutiles au travail. Mais les pêcheurs ne choisissent pas les dates de leur saison et ils sont soumis à un certain nombre d'exigences, par exemple en ce qui concerne la taille et la longueur de leur bateau. Il est vrai qu'un plus grand nombre de pêcheurs devraient prendre la précaution de porter un gilet de sauvetage, mais le point essentiel, c'est que lorsqu'il y a des changements dans la pêche et les règlements de pêche, les pêcheurs devraient bénéficier d'un plus grand soutien pour se préparer et mettre en œuvre les nouveaux protocoles.

Peintures et extraits de texte, Jenn Thornhill Verma, auteure de “Cod Collapse: The Rise and Fall of Newfoundland's Saltwater Cowboys", 2019. Traduit et adapté par Mme Thornhill Verma et Valentine Goddard. Contribution dans le cadre de l'espace documentaire collaboratif Ma mer coordonné par Mme Goddard sur le thème de l'avenir maritime visant à définir avec des invité.e.s, ce qu'est une "mer intelligente".