Face aux constats des effets de l'activité et du développement humains sur l'environnement, via l’agriculture intensive, la nécessité d’une transition alimentaire a fait surface. Cette transition envisage une évolution vers des modes de productions qui permettent à la fois de nourrir les habitants en quantité et en qualité suffisante tout en préservant la planète et en étant économiquement viable.
Ce qui interroge sur la garantie d’apporter aux populations issues des quartiers prioritaires un accès équitable à l’alimentation durable.
Il s’agit également de redonner sa place à l’agriculture dans nos territoires, via des dispositifs qui visent à réintroduire l’agriculture urbaine dans les quartiers tels que l’appel à projet Quartiers Fertiles de l’ANRU.
Ce sont autant d'enjeux qui ont fait l'objet de la rencontre #2 issue du cycle "Des quartiers en transition" et qui seront évoqués de manière synthétique au sein de ce webdocumentaire.
La transition alimentaire, un enjeu multidimensionnel
La transition face à un modèle en proie à ses contradictions
L’urgente nécessité d’une transformation de nos modes de production agricoles et du système alimentaire repose sur plusieurs arguments :
- Les pressions croissantes subies par les terres et exploitations agricoles en lien avec l’extension urbaine et le modèle d’agriculture intensive ;
- La responsabilité de l'agriculture dans les émissions d’une importante part des Gaz à Effet de Serre (GES) constatées annuellement en France et des pollutions issues de l'usage des pesticides ;
- Une orientation de l'agriculture vers l'export au détriment de la demande alimentaire des habitants du territoire (exemple des Hauts-de-France et notamment de la Picardie) ;
- L'impact de notre "assiette" sur l'environnement.
Quels leviers pour une transition alimentaire inclusive ?
Favoriser une alimentation durable grâce aux outils de gouvernance locaux
Comment se définit l'alimentation durable ?
L'alimentation durable doit aboutir à une réduction de l'impact de notre assiette sur l'environnement tout en proposant une nourriture saine et équilibrée répondant aux besoins nutritifs.
La structure Solagro, qui œuvre pour la transition alimentaire, a produit un scénario intitulé Afterres qui permet de réduire l'empreinte surface ainsi que les émissions de GES et l'utilisation d'intrant. Celui-ci passe par une alimentation plus végétale et plus orientée vers le "bio".
Pour y parvenir, des études ont été publiées afin d'éclairer les décisions publiques, c'est le cas notamment de « Politiques publiques : pour une alimentation bénéfique à la santé de tous et au climat » qui contient une liste de 70 recommandations publiées octobre 2019 avec le Réseau Action Climat.
L'échelon local apparait dès lors comme particulièrement pertinent dans la mise en œuvre d'une gouvernance alimentaire qui prenne en compte les enjeux territoriaux. Cela passe notamment par les Plans Alimentaires Territoriaux (PAT).
Les orientations qui s'incarnent au sein des PAT sont :
- Protéger les espaces agricoles
- Changer les pratiques, en réduisant notamment l'usage des pesticides
- Disposer localement d'outils de logistique (légumeries, abattoirs, moulins,...)
- Jouer sur le levier de la restauration collective
- Mobiliser les acteurs, sensibiliser, informer, et favoriser la participation des habitants
Jardins "vivriers", agriculture urbaine, terreaux d'expression citoyenne
"Les jardins sont des morceaux de terre empruntés à la ville"
Pour Victoria Sachsé, docteure en géographie et chargée de recherche pour les transitions, "la démocratie locale se redéfinit aujourd'hui dans son articulation aux enjeux écologiques". Ainsi, les jardins partagés contribuent à inventer de nouveaux modèles d’aménagements qui œuvrent pour le développent durable et contribuent à la transition. Ils présentent de nombreux atouts :
- Fonction de production alimentaire faisant référence à la notion d'économie de la subsistance ;
- Développement d'actions pédagogiques et de sensibilisation autour du jardinage et de la prise de conscience de la saisonnalité des produits ;
- Capacité d'inclusion : activité qui traverse les origines sociales et identitaires ainsi que les générations (cf. ville de Strasbourg) ;
- Favorisent la biodiversité en milieux urbains ;
- Interrogent la place de la nature en ville dans les processus d'aménagement du territoire et la réappropriation de l'espace public par les habitants.
Ces espaces doivent être pleinement intégrés par la stratégie alimentaire territoriale en complémentarité des espaces agricoles périurbains.
Vers une alimentation durable dans les quartiers prioritaires
Précarité alimentaire et santé publique
Source photo : foodtruck des ambassadrices santé, site internet Amiens Métropole
L'alimentation joue un rôle central dans la prévention de certaines maladies.
Un rapport de l'Observatoire National de la Politique de la Ville sur la santé des habitant.e.s en quartier prioritaires démontre des indicateurs plus dégradés que le reste dans agglomérations dans lesquelles ils se situent.
Un des constats de ce rapport est que plus de la moitié de la population y est en surpoids , le lien est fait avec l’alimentation moins équilibrée à laquelle elle a accès (par exemple accès plus difficile à des fruits et légumes).
Cette même étude et la littérature mettent en évidence des inégalités sociales et territoriales de santé pour les pathologies chroniques, telles que le diabète liée, dans 80 % des cas (type 2), aux modes de vie et à l’alimentation.
La situation de précarité alimentaire est multidimensionnelle, comme évoqué au sein du dossier ressource "alimentation et territoires : comment garantir localement une alimentation de qualité et accessible à tous" publié par Fabrique Territoires Santé. Elle sous-tend en effet des questions d'accessibilité financière, d'emploi mais aussi géographiques et culturelles.
Les systèmes de l’aide alimentaire, bien qu’indispensables, visent à réduire les difficultés d’accès sur le court terme et n’apportent pas de solutions pérennes aux ménages. C'est le propos défendu au sein d'une étude-action sur la précarité alimentaire menée par le Labo de l’Économie Sociale et Solidaire.
Ces enjeux multidimensionnels de la précarité alimentaire ainsi que l'aide alimentaire, qui devrait être cantonnée à des situations provisoires, démontrent le besoin d’inventer de nouveaux dispositifs et initiatives afin de donner accès massivement à une alimentation plus qualitative pour les habitants des quartiers prioritaires.
Dépasser une logique « par défaut » de lutte contre la précarité alimentaire
Source photo : La MANNE créée par l’association des Anges Gardins, https://lamanne.info/
A noter le contexte actuel lié aux financements issus du plan relance qui soutient des initiatives qui œuvrent pour un accès à une meilleure alimentation notamment au sein de son axe "transition agricole, alimentation et forêt".
Quelques exemples de dispositifs et politiques publiques qui interviennent dans ce champ :
- Les bailleurs sociaux, au titre du dispositif fiscal de l’abattement de 30 % de la Taxe Foncière sur les Propriétés Bâties ;
- Les projets d'agriculture urbaine soutenus par l'appel à projet quartiers fertiles de l'ANRU ;
- Les politiques publiques en matière d'alimentation et de santé : avec l'organisation d'une semaine dédiée à l'alimentation sur la C.A du Douaisis et les ambassadrices santé et alimentation sur Amiens Métropole.
Zoom sur...
Source image : VRAC
L’association Vers un Réseau d’Achat en Commun (VRAC) développe des groupements d’achats dans les quartiers prioritaires.
Boris Tavernier, à l'origine de sa création, mentionne que l'idée part du constat d'une "double peine" : la volonté de bien manger existe mais les difficultés résident à la fois dans le manque de moyens mais aussi l’insuffisance de l’offre.
Les avantages de la démarche sont nombreux :
- Les achats sont effectués en groupe, en réduisant les intermédiaires et en privilégiant les circuits courts. Les produits sont ensuite revendus à prix coutant, cela agit directement sur le reste à vivre des habitants ;
- Les habitants se réapproprient leur consommation et peuvent ainsi se questionner, et faire leurs choix ;
- Création de lien social lors des distributions et via l'organisation d'évènements autour de la cuisine lors des distribution ou de manière exceptionnelle avec l'organisation de concours.
La structure s'appuie sur les potentiels des habitant.e.s des quartiers prioritaires avec la publication d'un livre de cuisine "Femmes d'ici, cuisine d'ailleurs".