La démocratie à bonne école

Éveiller à la citoyenneté : c’est le pari de l’école privée des Fourmis, à Draveil (91). Dans la lignée des écoles démocratiques, elle mise sur le libre choix des enfants pour définir leurs apprentissages et les règles de vie commune.

Pour Abel, c’est clair : « Ici, c’est pas la maîtresse qui décide ! » Sans cours ni professeur, l’école des Fourmis est démocratique. Chaque élève est libre d’apprendre à son rythme, en complète autonomie et comme il le souhaite. Avec des livres, mais pas seulement. En jouant de la musique, en cultivant le potager, en s’initiant à des jeux de société. Et en participant à des débats et à des procès comme dans les tribunaux. Un apprentissage de la démocratie qui commence très tôt.

« Jeudi 2 mars, conseil de classe pour parler des tablettes. Tout le monde est d’accord ? », demande Nathalie Lamplé, fondatrice de l’école et maman de deux écolières. Chaque élève doit exprimer son avis et s’engager sans être contraint. Les quatre plus grands, Laura, Abel, Lucas* et Maya, prennent place sur le canapé. Les deux cadets, Samuel et Malo, préfèrent jouer à côté. Chacun respecte le choix de l’autre, y compris Nathalie. Elle confirme : « J’ai autant de pouvoir qu’un enfant. » Tout fait l’objet d’une concertation, même la venue d’une journaliste.

Expression libre

Fondée en 2010 à Draveil, dans l’Essonne, cette école privée hors contrat compte aujourd’hui six élèves, âgés de 3 à 11 ans. Accueillis chez Nathalie, propriétaire des lieux, les enfants sont mélangés sans classes de niveau. Deux intervenants, l’un en anglais, l’autre en musique, complètent l’équipe pédagogique.

Le conseil de classe commence par un tour de parole. Chacun lève le doigt pour s’exprimer. Nathalie rappelle les règles : « Vous donnez des explications claires, sans répéter ce qui a été dit, et en essayant d’être le plus concis possible. » La discussion s’amorce. « Là, tu es dans le jugement. Ça va bloquer la personne en face de toi et compliquer notre échange », explique Nathalie en utilisant la communication non violente. Les joues de Maya, 9 ans, rosissent, ses yeux se mouillent. Derrière ses lunettes de grande, elle estime que l’utilisation des tablettes rend agressif. Nathalie reformule : « Ça te fait quoi ? – Ça me rend triste. » Quelques larmes coulent, mais la fillette ne quitte pas le cercle. Laura rétorque : « Accuser les autres, c’est facile. » Nathalie reprend la parole : « On a posé plein de choses. On avance. »

Passionnée par l’éducation, Nathalie souhaite « trouver des solutions collectives » en responsabilisant les enfants. Le déclic ? Quand sa fille, Laura, fait un cauchemar après une mauvaise note et quand son intérêt se limite à « ce qu’on doit apprendre ». Nathalie dénonce cette posture de soumission des enfants face à la hiérarchie qui les pousse à percevoir l’école comme une « prison ». Alors qu’au contraire elle doit les préparer à vivre en société.

Son rôle auprès des enfants ? « Je les accompagne pour trouver ce dont ils ont besoin pour apprendre. Je suis un réservoir à outils, mais je n’impose rien. Je n’ai pas la solution, j’apprends aussi tous les jours. » De leur côté, les enfants argumentent, veulent créer leurs propres règles. « Les adultes n’ont pas toujours raison, reprend la jeune femme, je m’adapte en permanence. »

Célina Kéchichi est membre de l'EUDEC (Communauté européenne pour l'éducation démocratique). Cette association soutient les projets d'écoles démocratiques en Europe, notamment l'école des Fourmis.

Lassé par la séance, Abel demande une pause : l’ajournement est rejeté par le vote. Après le tour de parole, place aux propositions. Maya lance : « On pourrait faire six étapes pour utiliser sa tablette. Si on respecte la première étape, par exemple dix minutes par jour, on peut passer à la deuxième, vingt minutes par jour. Mais, si on ne la respecte pas, on revient au début. » Laura voit les choses autrement : « Moi, je propose d’être toujours libre avec les tablettes. Mais, si on se sent agressé, on va régler ça au tribunal. »

Samuel, 3 ans, a déjà été juré au tribunal de l’école. « Les enfants y sont appelés autant pour s’expliquer sur une faute commise que pour donner leur opinion, précise Nathalie. Samuel a compris que, lui aussi, pouvait décider. » Pour déclencher « un tribunal », un enfant doit écrire ses récriminations sur un papier. Il peut le faire dès qu’il estime qu’une des deux (seules) règles de l’école a été enfreinte : ne pas faire de mal aux autres et ne pas empêcher les autres d’apprendre. « Le tribunal leur permet d’acquérir les moyens de régler des conflits. Au final, ils s’écoutent et sont dans l’empathie. »

Nathalie et sa fille aînée Laura

Tous différents

Du haut de ses 11 ans, Laura, l’aînée de la classe, est mature et affirmée. À chaque question, elle justifie et argumente. Avant les Fourmis, elle était dans une maternelle classique. « Je m’ennuyais, assure-t-elle, ce n’était pas adapté à chacun. » Elle est loin de regretter un enseignement plus traditionnel : « Mes copines n’ont qu’un jour pour faire ce qu’elles veulent, moi j’ai tous les jours. » Elle ajoute : « On est tous différents, on ne peut pas se comparer. »

Dans la salle, les propositions fusent. Abel, jusqu’ici silencieux, suggère que chacun s’engage à contrôler le temps passé avec sa tablette. Nathalie liste toutes les idées, y compris les siennes. Certaines se rejoignent. Elle propose de faire « un mix » : une échelle de responsabilisation selon ses capacités, allant du contrôle jusqu’à la libre utilisation de sa tablette. Motion votée à l’unanimité.

* Le prénom a été changé.

Texte : Marine Samzun

Photos : Julie Subiry

Infographie : Claire Pavageau et Sandrine Piquel

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