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Liberté d'expression, éducation aux médias et à l'information à la lumière du cours de Lettres Hebdo Lettres Janvier 2021 - Académie de Grenoble

La liberté d'expression, socle de notre démocratie et de notre patrimoine littéraire, peut être mise à mal par la malinformation, l'infobésité et la viralité des réseaux sociaux. Comment éduquer les élèves à distinguer un fait avéré d'un contenu qui n'existe que par sa popularité ? En quoi l'étude de textes littéraires peut-elle participer à l'éducation aux médias et à l'information de nos élèves ? La capacité à lire et à exercer un esprit critique constituent le coeur de cette éducation aussi quelles pistes peut emprunter le professeur de Lettres dans ses classes ?

L'Hebdo Lettres de janvier 2021 se penche sur ces questions en donnant la parole à Lionel Vighier, professeur de Lettres et formateur Clémi et Dane dans l'Académie de Versailles. La seconde partie de ce numéro proposera des sites et outils pour permettre aux élèves de comprendre la manière dont ils se sentent informés, pour les aider à distinguer une source fiable d'une malinformation, pour les amener à adopter un regard critique.

Lionel Vighier, professeur de Lettres et chargé de mission DANE / Clémi de l’Académie de Versailles , forme les enseignants aux questions d'éducation aux médias et à l'information. Il propose de nombreuses pistes à exploiter en classe pour le professeur de Lettres dans l'entretien qui suit.
Lionel Vighier
Pouvez-vous vous présenter et plus spécifiquement votre activité de chargé de mission pour le Clémi de l’Académie de Versailles ?

Je m’appelle Lionel Vighier, je suis professeur de lettres modernes et j’enseigne dans un collège des Yvelines. A côté de cela, je suis également membre de la DANE de Versailles, au sein de laquelle j’occupe les fonctions de chargé de mission EMI dans le Val d’Oise et de formateur, en particulier formateur en EMI. En tant que chargé de mission, j’ai pour mission de former, accompagner, informer des équipes dans les pratiques en EMI, de valoriser les usages sur le terrain, de servir d’intermédiaire entre le CLEMI et les enseignants du Val d’Oise. Les chargés de mission départementaux suivent également de près les classes médias de leurs départements respectifs.

L’ éducation aux médias et à l'information est inscrite dans les programmes d’enseignement de français et plus largement dans chaque discipline. Quels ponts établissez-vous dans vos pratiques en classe et en formation entre la littérature et l’Education aux médias et à l'information ?

Il y a quelques années, j’étais en charge d’une formation intitulée “Eduquer aux médias dans le cours de lettres”. J’avais tenté de résumé le lien entre EMI et cours de lettres à travers cette carte mentale, qui a maintenant quatre ans mais qui peut tout de même donner des pistes.

La manière dont on peut imbriquer le programme de lettres et les compétences d’EMI peut s’envisager en deux sens : le cours de lettres peut aborder des contenus et notions spécifiques à l’EMI et inversement : des compétences EMI peuvent être travaillées dans le cours de lettres.

Effectivement les ponts sont nombreux entre les objets d’étude, les thématiques du cours de lettres, les notions et les contenus spécifiques à l’EMI.

Dans un article publié dans La lecture littéraire au cycle 4 édité chez Canopé, je développe à trois niveaux différents les compétences EMI qu’on peut travailler à travers la lecture et l’analyse d’oeuvres littéraires : étudier la propagande dans la représentation du héros en 5 ème, faire du “fact checking” à travers l’étude de Claude Gueux en 4 ème, travailler le dessin de presse en lien avec la satire en 3 ème.

Inversement des compétences EMI peuvent être travaillées à travers le cours de lettres, notamment en faisant s’exprimer les élèves sur les contenus propres à notre discipline, à travers des débats en classe, des oraux mais aussi des publications écrites ( webtv, webradio, réseaux sociaux…).

Quelques exemples :

Se lancer dans une pédagogie de projet en produisant une émission radiophonique sur Cris de Laurent Gaudé entièrement écrite, enregistrée et montée par les élèves, ce qui les amène à un travail très complet sur l’oeuvre qui va développer des compétences de lettres et en EMI à la fois :

  • Relevé en amont de passages, d’extraits qui leur semblent intéressants et qui leur permettront de fournir des exemples, des preuves à ce qu’ils avanceront ;
  • Choix d’un angle, et organisation d’un propos cohérent, organisé en fonction de cet angle ;
  • Ecriture (très spécifique à la radio) ;
  • Travail sur les compétences orales.

Proposer un débat radiophonique sur Le Horla de Maupassant : entre explication rationnelle et explication irrationnelle.

Le débat peut tout aussi bien se tenir en classe, mais le débat radiophonique permet de ritualiser l’instant, impose une préparation rigoureuse (comme devrait l’imposer un débat en classe, d’ailleurs) et permet de garder une trace numérique, qu’on peut reprendre en classe en aval pour revenir sur les arguments et l’exploitation des exemples.

D'autres pistes en lien avec les lectures cursives ou l'enseignement de la langue peuvent être explorées :

• demander aux élèves des comptes rendus de lectures par vidéos, articles ou stories sur les réseaux sociaux

  • Travailler sur un "fact checking" (vérification des faits) grammatical : on vérifie des présupposés ou règles grammaticales. Ensuite les élèves mettent en forme leurs analyses et réalisent un podcast sur le sujet.
Pouvez-vous nous expliquer comment vous faites vivre cette éducation aux médias et à l’information en tant qu’enseignant de Lettres à l’échelle d’une séance ? D’une séquence ? D’un projet ?

Le projet "classe médias" au collège Pablo Picasso a vu le jour à la rentrée 2014. L'objectif de ce projet est de rassembler les élèves et l'équipe pédagogique de la classe autour d'un fil conducteur : la veille et le décryptage médiatiques. Certains échanges en classe ont mis au jour le crédit accordé à de nombreuses publications sur la toile, en particulier les publications complotistes. A moins que le professeur connaisse parfaitement le dossier en question (ce qui est très rarement le cas !), il ne s'agit pas de débattre du bien-fondé et de la véracité de ces théories, mais plutôt de permettre aux élèves d'affûter leur esprit critique et de prendre du recul par rapport à ce qu'ils entendent, lisent et voient. Pour le professeur de français, il est intéressant d'analyser avec eux les rhétoriques (audiovisuelles et langagières) qui animent les thèses (ou récits) complotistes.

La séquence s'intitule "Comme par hasard..." et s'articule autour de deux objectifs :

  1. analyser les mécanismes d'une théorie du complot (dominante : lecture)
  2. créer, monter, diffuser une théorie du complot à l'occasion de la Semaine de la Presse et des Médias (dominantes : écriture et/ou oral)
Avec l’assassinat de notre collègue d’histoire-géographie Samuel Paty, c’est l’enseignement de la liberté d’expression s’est trouvé menacé; menace véhiculée, nourrie et relayée par la viralité de l’information sur les réseaux sociaux. De nombreux collègues se demandent s’ils peuvent recourir aux réseaux sociaux dans un cours de Lettres ? Mais comment les utiliser « éthiquement » pour un cours ?

C’est une question très complexe. Les meilleures réponses apportées au sujet sont dans le guide des réseaux sociaux du CLEMI et de la DANE Paris (2019), notamment pour un usage légal, responsable et éthique des réseaux sociaux en classe.

D’un point de vue pédagogique, il est intéressant de pratiquer un usage élargi des réseaux sociaux, comme outil de publication dans des "stories, tweets ou posts" sur des auteurs, des oeuvres, des genres littéraires. Ainsi, vous pouvez retrouvez la story Instagram sur la Métaphysique des tubes d'Amélie Nothomb proposée par Margot et Clément, élèves en 3ème Classe Médias, par exemple. Les élèves peuvent pratiquer le “booktube” ou l’ “instabook” ( voir quels néologismes francophones on peut trouver pour nommer ces pratiques !). Beaucoup de jeunes se créent plusieurs comptes sur un même réseau social, avec des lignes éditoriales et des identités numériques bien marquées et bien distinctes, ce qui montre qu’ils prennent conscience de l’impact de cette identité numérique. Ce genre de pratique culturelle de réseau social permet d’en exploiter les potentialités positives : partager sur une passion, diffuser du contenu culturel...

Toujours d’un point de vue pédagogique, on peut utiliser les réseaux sociaux avec les élèves pour appréhender les phénomènes sociétaux et informationnels propres à notre époque : les mécanismes de la viralité, de la désinformation, de la propagande. Inversement, les réseaux sociaux permettent de s’informer si on sait les utiliser : on peut partir des pratiques effectives des élèves pour les amener à un usage responsable et à des pratiques informationnelles renforcées, consolidées par le travail sur l’esprit critique. C’est aussi une potentielle énorme ouverture sur le monde, si chacun parvient à briser sa “bulle de filtre”.

Dans un contexte d’infobésité médiatique, il est fréquent d’assister à un désengagement des élèves et des adultes face à un excès d’informations qui n’est pas traitable ou supportable sans nuire aux personnes ou à leur activité. Les informations sont de plus en plus morcelées, répétées, "likés", "twittées", diffusées sans vérification. Comment engager nos élèves à exercer leur esprit critique ?

Pour répondre à cette question très complexe, qui fait tout l’objet de certains ouvrages entiers de chercheurs, de didacticiens, mais aussi de formations que nous menons au CLEMI, cette appréhension de l’information peut se faire à travers plusieurs moyens, plusieurs temps / activités pédagogiques :

Des temps d’information : on parle beaucoup de désinformation ou de malinformation, mais il est tout aussi important de faire lire, voir, entendre aux élèves des informations diverses, sur supports divers, sur des sujets très variés, pour développer leur écoute, leur compréhension des “discours” (au sens linguistique), leur compréhension du monde et surtout leur curiosité, leur ouverture d’esprit.

Des temps d’analyse, pour analyser la manière dont une information est fabriquée, pour vérifier une information, pour évaluer la dose de subjectivité et la finalité d’une information, pour déconstruire éventuellement des informations fallacieuses.

• Des temps d’expression, où les élèves sont eux-mêmes placés dans une posture de publication, de médias, qui leur permet de saisir les rouages en jeu dans la chaîne de l’information.

Dans cette vidéo, Lionel Vighier explique comment il sensibilise les élèves aux théories du complot : il établit des analogies entre la création d'univers romanesques et cette écriture fictionnelle, mensongère de l'information complotiste. Il invite ses élèves à étudier des parodies de vidéos complotistes (exemples "Les complots" dans l'émission Le before du grand journal diffusé par Canal + ) afin d'en comprendre les mécanismes avant de les laisser réaliser leurs vidéos parodiques pour affûter leur esprit critique.

Enfin l’esprit critique ne s’exerce pas qu’à travers la pratique informationnelle : c’est également dans les contenus disciplinaires et dans la vie de tous les jours que les élèves sont amenés à exercer leur esprit critique. Par le dialogue, l’écoute et l’accompagnement, tous les acteurs de leur éducation (enseignants, parents, proches) ont un rôle important à jouer.

Zoom sur Les publications "Lettres et E.M.I de l' Académie de Grenoble "
Présentation du projet interdisciplinaire "INFORMER/DESINFORMER A L’HEURE DU NUMERIQUE" -Auteurs:Marianne BIELICKI (Collège Ponsard - Vienne); Marine CHANEL et Alexis GELAS (Collège Brassens – Pont Evêque)

Deux équipes enseignantes, interdisciplinaires, de deux collèges se réunissent pour apprendre aux élèves, par la pratique, à différencier l'information de la désinformation. Un projet porté par Marianne Bielicki, professeure de Lettres au collège Ponsard de Vienne et par Marine Chanel, professeure de Lettres au collège Brassens de Pont Évêque en Isère. Présentation du projet "Informer Désinformer" - Séminaire des IAN de Lettres - les 10 et 11 mars à Paris.

Diaporama à retrouver sur le mur de ressources du projet.

" Après une première journée de la presse en mars 2015, les attentats du 13 novembre sont douloureusement venus réactiver le sens de ce projet. Le jour de la minute de silence, sont remontées des élèves beaucoup de demandes concernant les « hoax » (même si cette terminologie leur est généralement inconnue...) : Est-ce qu'on nous cache des choses ? Qui faut-il croire ? Comment savoir si ce qu'on lit et qu'on voit sur Facebook est vrai ou faux ? Est-ce que c'est vrai que d'autres attentats ont été déjoués ? Comment peut-on être sûrs que les terroristes sont bien les personnes qu'on nous a présentées à la télé ?

Notre démarche consiste à esquiver les crispations et les positions de principe en mettant les élèves dans la situation de tester, par eux-mêmes, la validité et surtout l'invalidité de ces « théories du complot ». Le travail en petit groupe, qui favorise les échanges avec l’adulte et entre élèves, est également un élément-clé du projet. Pour cela, nous proposons aux élèves des missions qui s’apparentent à des jeux de rôle et des cas concrets, proches de leur quotidien, de leurs préoccupations et de leurs pratiques numériques, avec l’idée d’axer la réflexion plus précisément sur la circulation des informations via les réseaux sociaux. Nous espérons ainsi contribuer à développer l’esprit critique de futurs citoyens et à responsabiliser ceux-ci en tant que spectateurs et acteurs de la société de l’information. "

Les élèves sont invités à lire l'article de Le Tigre sur "La vie de marc L" dans lequel des journalistes narrent la vie de Marc L. en traçant les multiples traces numériques qu'il a laissé sur Internet. « En décembre 2008, un gars découvre un jour que toute sa vie est dévoilée à la Une d’un magazine !!! Les journalistes voulaient simplement attirer l'attention sur le fait que sur le net on n'est pas toujours aussi anonyme qu'on le pense et ils avaient « surfé » à la recherche d’informations sur ce jeune – choisi tout à fait au hasard ! De quoi faire frémir, non ? »

Ce travail édifiant sensibilise les élèves sur les questions d'identité numérique et d'illusion d'anonymat sur le web. Ils peuvent vérifier leur identité numérique sur webmii .

Ensuite, les élèves poursuivent la réflexion depuis l'excellent Do Not Track (Arte) une série documentaire de sept épisodes sur la collecte des informations réalisée à l'insu des internautes. Do Not Track est une série documentaire personnalisée dans laquelle l'internaute est rendu acteur.  Réalisée par Brett Gaylor, consacrée à la vie privée et à l'économie du Web, elle pose cette question : "« Savez-vous par qui et comment vos données personnelles sur Internet sont récupérées ?»

"La malinformation, la malbouffe de l’esprit " : une expression d' Yves Agnès dans "Le grand bazar de l’info", publié dans les années 2000.

Comment amener l'élève à interroger l'information qu'il reçoit ? Comment l'amener à chercher une information fiable ?

LUMNI propose de nombreux contenus du cycle 3 ou Lycée, en voici quelques unes.
Des jeux en ligne pour permettre aux élèves de connaître les chemins de l'information. (en autonomie)
Ces jeux peuvent être proposés en autonomie dans un "pour aller plus loin" ou s'envisager comme une "mise en bouche" avant une séquence.
Hebdo Lettres Grenoble
Created By
Laila Methnani
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Credits:

Laila Methnani Pixabay