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TRANSIT TIME Les marins invisibles

Dans les grands ports industrialisés, étendus, ultra-sécurisés, les escales d'aujourd'hui n'ont plus rien à voir avec celles d'autrefois.

De plus en plus brèves et fréquentes, elles obéissent aux injonctions de rapidité et de sécurité du commerce globalisé. Les machines doivent tourner, les marchandises doivent circuler.

Éviter tout grain de sable, réduire le temps à quai - Transit Time -, marteler les règles de sécurité - Safety First…Derrière les façades d’acier des coques et des containers, la place de l’homme se réduit, le marin est oublié, accessoire.

Règles de sécurité, contrôle des frontières, éloignement des centre-villes, disparition des bars et lieux de vie, tout s’oppose à la descente à terre des équipages.

Équipages internationalisés et réduits au strict minimum. Le plus grand des porte-conteneurs est aujourd’hui manœuvré par une vingtaine d’hommes, parfois moins. Les marins sont devenus des ouvriers mondialisés. Confrontés à la solitude et à l’isolement en mer, ils restent maintenant invisibles lors des escales.

Originaires en majorité des Philippines, où les très nombreuses écoles de formation du pays leur promettent de « See the world for free and have a girl in every port », ils s’endettent parfois pour payer leur formation. Mais le monde à découvrir gratuitement se révèle limité à des ports-usines déshumanisés, des entrepôts ou parking gigantesques. Il ne s’agit plus alors de voir le monde mais de faire vivre sa famille en passant des mois sur un cargo,

« It’s only for money, my friend ».

Jonathan Reasonable est cadet à bord du cargo roulier le World Spirit. Parti de Manille aux Philippines pour un contrat d’un an, il fera par la suite des contrats de 6 à 9 mois.

Choi Jeong Weon est le seul coréen à bord du M/T Oriental Patriot. L’internationalisation des équipages contribue beaucoup à l’isolement et la solitude des marins.

Les marins sont souvent confrontés à l’impossibilité de sortir des ports, de plus en plus étendus et éloignés des centres-villes.

Des brochures éditées par l’ITF (organisation syndicale représentant les travailleurs du transport) sont distribuées aux marins et leur prodiguent des conseils pour mieux vivre à bord des cargos.

Vue de la passerelle du Laura Ann, porte-conteneurs en escale à Port 2000.

Rey Calayo, deckman du cargo roulier le Grande San Paolo, en escale Terminal de l’Europe au Havre. Il ne descendra pas à terre durant les 12 heures à quai.

Au Havre, les bénévoles et salariés de l’AHAM - association havraise d’accueil des marins - font des allers et retours quotidiens à l’aide de deux minibus pour aller chercher les marins sur leurs navires et les conduire au foyer du Seamen’s club. Ils tentent ainsi de briser l’isolement des marins lors des escales.

Situé dans le centre-ville, au sous-sol de l’hôtel des Gens de mer, le Seamen’s accueille chaque jour des marins du monde entier pour leur offrir une parenthèse. Le club accueille, guide, aide...offre du calme surtout, après des semaines en mer dans le bruit constant et la chaleur des cargos.

«Un jour la carte d’identité d’un marin a été retrouvée par terre ; pour qu’il la retrouve nous l’avons affichée au mur, et finalement d’autres ont mis leur photo à côté. Aujourd’hui, le mur est recouvert, comme une toile qui témoigne de l’esprit universel de Seamen’s club»

Recroquevillés sur leurs téléphones, dans leur bulle, le temps de l’escale est le temps de la reconnexion. Redevenir un mari, un père, un fils, accrocher sa photo au mur du club, avant de remonter dans la « boite en fer»,

Back to life, back to reality.

9 000 marins de 50 nationalités différentes sont accueillis chaque année au Seamen's club du Havre

Credits:

©Laure Boyer

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