Google, la poule aux oeufs d'or ?
Au-delà du moteur de recherche et presque 20 ans après sa création, le géant technologique propose pléthore de services gratuits et se rémunère via la publicité. En 2011, Google continue sa diversification et lance l'initiative Google Art Project (renommé depuis Google Arts & Culture). Celui-ci a pour but d'apporter les oeuvres d'art dans nos foyers en proposant aux institutions culturelles de numériser leurs oeuvres. Dès lors, Google Arts & Culture s'associe avec dix-sept entités dont le MoMA, la Tate Britain et en France le Château de Versailles. Cinq ans plus tard, il dépassait le millier de partenaires. Mais quel intérêt pour le mastodonte américain ? Au-delà des données, comment a t-il réussi le pari ambitieux de fédérer les institutions culturelles ? Avec quels outils et par quelle stratégie de communication digitale ?
Un bref retour sur l'histoire de Google
Google est un acteur du marché mondial qu’on ne présente plus.
Créé dans les années 1990 par deux étudiants de l'université de Stanford aux Etats-Unis, Sergueï Brin et Larry Page ; leur objectif initial était de concevoir un moteur de recherche ultra performant. Google est aujourd’hui le moteur de recherche le plus utilisé au monde.
À peine un an après sa création, Google dépasse les 10 000 requêtes par jour. En 2001, ils dépassent les 100 millions de recherches hebdomadaires. Sa croissance est sans pareille et au fur et à mesure des années, l’entreprise se diversifie, gonfle, absorbe tout ce qu’elle peut sur son passage.
Pour poursuivre cette croissance et agrandir son domaine d’activité, Google rachète Picasa, Android, Youtube, DoubleClick et Waze.
Elle fonde également le Google Labs, qui permet aux utilisateurs de tester les services et produits pas encore mis en vente ; Google News qui permet de suivre l’actualité, Gmail, sa propre messagerie électronique ou encore Orkut et Google Plus qui sont à ce jour des échecs relatifs au sein de la galaxie des réseaux sociaux.
Aujourd’hui, Google compte quasiment 60 000 employés dont la majorité travaille au siège mondial : le Googleplex situé à Mountain View en Californie. Le 1er février 2016, la firme américaine dépasse Apple avec une capitalisation boursière de 550 milliards de dollars. En 2018, elle est estimée à 795 milliards de dollars.
L'institut Culturel Google, à la croisée des innovations numériques
L’Institut Culturel Google est un espace physique situé dans les locaux de Google France à Paris et conçu pour encourager les échanges créatifs entre les secteurs des nouvelles technologies et de la culture.
Il a été inauguré fin 2013. Les programmes associés au lieu sont :
- Un atelier équipé de technologies expérimentales (écran géant destiné au prototypage d’interactions numériques, station de capture et d’impression 3D, outils de fabrication numérique, Art camera qui permet de réaliser des images en Gigapixels)
- Un programme d’événements, de séminaires et d’ateliers organisés régulièrement pour encourager la collaboration, la découverte et la créativité
- Un programme de résidence destiné à offrir à de jeunes artistes du monde entier la possibilité d’utiliser, pendant une période de deux à trois mois, les équipements disponibles sur place afin de créer et développer leurs idées, avec l’aide des ingénieurs de l’Institut Culturel
- Plateforme numérique de l’Institut Culturel “Google Arts & Culture” : plus de 6 millions de documents disponibles (photos, vidéos, textes)
L'objectif est de rendre plus accessibles les contenus culturels de partenaires du monde entier à travers des collections d'œuvres, des archives et des visites virtuelles.
Google Arts & Culture
En 2011, année de lancement du site Google Art Project (renommé depuis Google Arts and Culture), dix-sept institutions étaient associées au projet, dont le MoMA, la Tate Britain et en France le Château de Versailles. Cinq ans plus tard, il dépassait le millier de partenaires. Aujourd'hui, Amit Sood, [actuel patron de la division culture de Google] en dénombre 1 500, répartis dans 72 pays. L'objectif principal reste toujours de numériser un maximum d'oeuvres d'art, afin de les rendre accessibles au plus grand nombre.
Google invite à découvrir ou redécouvrir une grande diversité de contenus : des œuvres d’arts célèbres ou méconnues, des monuments / sites classés et des grands moments historiques qui ont marqué nos époques. La plateforme héberge également du contenu difficile à retrouver ailleurs. En effet, dans le cas concret de la Biennale de Lyon qui existe depuis 1991, Google Arts & Culture abrite l'ensemble des archives des années précédentes, pourtant pour la plupart détruites d'une édition sur l'autre.
Ici, Google Arts & Culture réalise un travail titanesque et indispensable. Outre la prouesse technologique, il s'agit de perpétuer un devoir de mémoire et d'archives de nos oeuvres. La numérisation du patrimoine culturel est l'une des priorités définies dans le cadre de l’action du ministère de la Culture et de la Communication :
La numérisation est un moyen d’accès privilégié à la culture pour un grand nombre de nos concitoyens et constitue un outil au service de la diversité culturelle. Elle démultiplie l’accès au patrimoine et à la création contemporaine dans une dynamique de démocratisation culturelle et de transmission des savoirs. Une politique publique ambitieuse de numérisation permet à notre pays de rester maître de ses ressources et d’en garantir l’accès aux divers utilisateurs tout en développant de nouveaux services innovants pour les citoyens.
On retrouve une carte qui permet de naviguer à travers des oeuvres réunies sous la forme de clusters. L'expérience est complètement ludique et très aboutie. L'utilisateur peut se balader assez facilement et découvrir les fonctionnalités de la plateforme. Par exemple, il est possible de faire des recherches par courants artistiques, par couleurs dominantes, par décennies...
Les musées partenaires sont libres de choisir les oeuvres mises en avant par Google. Ils peuvent administrer leur catalogue comme ils le souhaitent pour publier de nouveaux contenus, créer de nouvelles expositions ou bien modifier ce qui est déjà en ligne, sur leur propre site ou sur la plateforme en question. Pour le mobile, l’Institut Culturel de Google propose également des outils d’édition et de gestion d’applications.
Lors de l'inauguration du Lab en 2013, Aurélie Flippetti, alors Ministre de la Culture en France boycotte l'événement. Elle explique au magazine Le Monde ne pas "vouloir servir de caution" au géant américain. Entre autres, Aurélie Flippetti reprochait à Google de ne pas s'engager plus résolument sur plusieurs sujets, comme la fiscalité et la protection des données personnelles. L'autre raison invoquée est probablement celle du "Culture Washing", c'est à dire que Google espère très probablement préserver son image auprès des institutions :
On trouve un début de réponse sur le site de l’Institut culturel : «La mission de Google est d’organiser les informations à l’échelle mondiale.» La logique de Google est une logique de données, Amit Sood [actuel patron de la division culture de Google] l’avoue : «Nous ne connaissons rien à l’art.»
Quelles avancées pour le marketing digital ?
Si l'intérêt de Google n'est certes pas philanthropique, il faut reconnaître que son investissement et sa plateforme séduisent. Elle a le mérite de dépoussiérer certaines institutions et de démocratiser l'accès à la culture. En plus de cet important travail d'archivage, le géant américain apporte son savoir-faire en matière de connaissance de son public. Celui-ci aspire à se rapprocher d'avantage d'un public biberonné au digital.
Depuis le mois de février, Google Arts & Culture a signé un partenariat avec le musée des Beaux Arts de Lyon, la Biennale de Lyon, le musée des Confluences, l'Opéra National de Lyon et l'association Historical Cities. Ces institutions ont décidé de s'unir afin de réaliser 37 expositions virtuelles. Selon Google Arts & Culture, elles vont permettre "d'appréhender la richesse patrimoniale de la ville de Lyon et la découvrir sous l'angle de la culture, de l'architecture ou encore de l'Histoire". En plus de ces expositions virtuelles, les ingénieurs de Google ont créé des visites à 360° via la technologie Street View.
Le petit clin d'oeil aux communautés digital natives va à son alliance avec la Youtubeuse Manon Bril. Avec plus de 122 000 personnes qui la suivent sur sa chaîne, Manon Bril est doctorante en histoire de l'art et se targue d'apporter son savoir chez vous, en direct de ses expéditions. Elle souhaite parler d'histoire autrement, avec une approche plus humoristique, à la limite de la vulgarisation positive. On vous laisser deviner l'intérêt trouvé par Google...
En janvier dernier, Google surprend à nouveau en ajoutant une nouvelle fonctionnalité à l'application mobile, permettant de comparer ses selfies avec de célèbres peintures exposées dans des musées :
L’application fournit même une jauge de compatibilité entre les deux images. Et si parfois la ressemblance saute aux yeux, les rendus ont parfois de quoi laisser perplexe. Google Arts & Culture propose ensuite d’en savoir plus sur la peinture avec des précisions sur son titre, le peintre, la date de création ou encore la collection à laquelle elle appartient. Autrement dit, le service propose d’enrichir notre culture générale grâce à des selfies. Une initiative qui a le mérite d’être originale et qui vise à attirer davantage d’utilisateurs sur l’application.
Sur la toile, c'est l'émulation : des articles regorgent pour expliquer les fonctionnalités de l'application et les twittos s'enflamment. À noter néanmoins que l'option "Is your portrait in a museum?" n'est pas encore disponible en France. Avec cette opération, l'application Google Arts & Culture gagne un gain de popularité important avec plus de 5 millions de téléchargements. Le buzz est là pour Google ! Mais comment fonctionne t-elle ?
L'expérience repose sur la technologie de reconnaissance faciale Face Net. Développée par Google, elle scanne la photo envoyée par l'utilisateur pour créer une empreinte numérique de son visage et la comparer aux 70.000 œuvres de sa base de données. Une fois les correspondances trouvées, les résultats les plus pertinents sont affichés avec leur pourcentage de ressemblance.
Néanmoins, la nouvelle fonctionnalité divise. En effet, le contexte social de certaines des oeuvres (l'esclavagisme, l'absence de représentation des femmes ou alors leur hyper-sexualisation) créent quelques non-ressemblances assez gênantes. Ainsi, les personnes à la peau noire se verront associées avec des personnages typiques des stéréotypes racistes du XIXe siècle. Les femmes quant à elles seront bien souvent associées à des hommes. Cela amène donc à réfléchir sur la représentation de la diversité du genre humain dans l'histoire de l'art.
Merci Google ! :)
L. D.