À l’issue du chantier de fouilles qu’il a co-dirigées dans la carrière d’Hatnoub, l’égyptologue lyonnais Yannis Gourdon décrit le système inédit qui a peut-être servi pour soulever et tracter les énormes blocs de pierre
Yannis Gourdon est co-directeur de la mission Hatnoub (Ifao-Université de Liverpool). Chercheur associé à la Maison de l’Orient (Université Lyon2-CNRS) il préside aussi le Cercle lyonnais d’Égyptologie Victor Loret. réside aussi le Cercle lyonnais d’Égyptologie Victor Loret.
Quelles sont jusqu’à présent les hypothèses les plus sérieuses pour expliquer la façon dont les pyramides ont été construites ?
Il y a trois principales théories utilisant des rampes de construction. Une seule rampe droite qui s’élève sur une façade avec une pente de 5 à 10 %, mais cela pose des problèmes liés à la longueur de cette rampe. Les deux autres hypothèses, ce sont des rampes enveloppantes tournant autour de la pyramide à l’extérieur, ou bien à l’intérieur.
Photo G. Pollin / Ifao
Quoi de neuf à l’issue de vos fouilles sur la carrière d’albâtre de Hatnoub ?
Nous avons découvert un système de halage, qui servait à tirer des blocs du fond de la carrière vers l’extérieur. Il s’agit d’une rampe centrale taillée dans un calcaire dur et sur une pente d’au moins 20 % sur laquelle circulaient des blocs de plusieurs tonnes. C’est une pente extrêmement raide par rapport à ce qu’on connaissait.
Quel système permet de faire avancer les blocs de pierre ?
Cette rampe de trois mètres de large est bordée de deux escaliers. Sur ces deux escaliers, on a trouvé des trous pour loger des énormes poteaux. Il s’agissait de points d’ancrage pour les hommes qui tiraient, et pour accrocher des cordes d’origine végétale. Ils faisaient ainsi avancer le traîneau sur la rampe.
À quand remonte ce système ?
Si nous avions déjà pu dégager une partie de la rampe, le chantier de septembre l’a dégagée sur une plus grande longueur. Il a aussi permis de la dater en combinant les traces d’outils et les inscriptions sur les parois. Nous avons pu établir que le système remonte au plus tard, à l’époque de la construction de la Grande Pyramide de Chéops. Même si l’albâtre était réservé aux objets de prestige comme des statues, on sait désormais qu’on pouvait monter des blocs de plusieurs tonnes sur des pentes très raides, ce qui bouleverse complètement notre compréhension de la construction des pyramides.
Quelle sera la suite ?
La rampe doit mesurer environ 100 mètres. Il reste 70 mètres à dégager, parfois plusieurs mètres de déblais. Nous souhaiterions encore mieux comprendre le système et la manière dont il a pu être adapté à la construction des pyramides, notamment pour faire glisser au mieux les blocs qui pouvaient peser plusieurs dizaines de tonnes.
La mission Hatnoub
C’est une mission franco-anglaise, née en 2012 à l’initiative de Yannis Gourdon, chercher associé à la Maison de l’Orient (Université Lumière Lyon 2). Ce chantier international est financé par l’IFAO (Institut français d’archéologie orientale). Elle bénéficie aussi de la collaboration du Ministère des antiquités en Égypte et du soutien financier et matériel du Fonds Kheops pour l’archéologie, de Gedéon programme et de HIP Institute. Le dernier chantier a duré un mois et a mobilisé 90 personnes.
Photo Y. Gourdon / Ifao
Des tonnes de pierre transportées à 20 km
Nous ne disposons d’aucun écrit éclairant la manière dont les pyramides ont été construites. On s’interroge en particulier sur l’inclinaison des rampes et les techniques pour monter les blocs. Avec le dernier chantier de fouilles de la mission franco-britannique, en septembre 2018, un coin de voile se lève sur le système.
Plus d’une centaine de nouvelles inscriptions permettent aussi de comprendre l’organisation des expéditions menées dans les carrières de Hatnoub, depuis l’Ancien Empire jusqu’au Nouvel Empire. Elles nous disent par exemple que 4 000 hommes pouvaient participer à ces gigantesques chantiers.
L'albâtre aussi employé pour des objets de prestige
Le 30 octobre, le ministère des antiquités égyptien a annoncé la découverte, confirmant que c’était la première fois qu’on découvrait le système pour transporter et soulever des blocs de cette taille. Les antiquités égyptiennes ont aussi assuré que la mission continuera son travail. L’albâtre de Hatnoub n’a pas servi aux pyramides - faites de calcaire et de marbre- mais était employé pour des objets de prestige.
On la retrouve dans quelques temples et statues situées dans la nécropole de Guizeh. L’étude des gisements qui entourent la carrière où on trouve les restes des logements des travailleurs pourrait notamment nous éclairer sur leurs tâches et le processus d’extraction et de transfert, à environ 20 kilomètres de distance jusqu’au fleuve Nil, d’où ils étaient transportés en bateau.