Textes Vincent Menichini (avec William Humberset)
Jean-Pierre Rivère et Julien Fournier ont quitté le club en janvier pour y revenir 7 mois après avec l’homme le plus riche du Royaume-Uni. Récit d'un come-back.
En ce 11 janvier, il règne une atmosphère étrange au centre d’entraînement de l’OGC Nice. Jean-Pierre Rivère et Julien Fournier viennent de convoquer les journalistes pour une conférence de presse exceptionnelle et improvisée. Rares alors sont ceux qui, mis dans la confidence très tôt dans la matinée, savent ce que vont annoncer les deux dirigeants autour de 14 heures. Pour comprendre cette fuite, il faut remonter beaucoup plus loin. En réalité, l’entente n’a jamais été vraiment cordiale entre l’exécutif et les investisseurs sino-américains présentés par Eric Besson en 2016.
Les relations avec l’actionnariat sino-américain se sont même rapidement détériorées, ce que Lucien Favre avait flairé quand il a vu débarquer Mounir Obbadi et Bassem Srarfi au cœur de l’hiver 2017, alors que son équipe jouait le titre. Elles sont même devenues délétères à l’été 2018. Rivère et Fournier s’épuisent à convaincre leurs patrons qu’il faut prolonger Dante, acheter Atal ou miser gros sur Danilo (8 millions d’euros), ce qui pour l’heure n’est pas la meilleure idée qu’ils aient eue. Chien Lee, cornaqué par Paul Conway, que « JPR » et « JF » ne supportent pas, demande des explications sur chaque dossier, malgré une profonde méconnaissance du microcosme du football. Il ne dit jamais non mais ne valide jamais rien. Alex Zheng, qui a un temps songé à éjecter Lee et créer une holding avec Rivère et Fournier, est porté disparu.
Les deux dirigeants "historiques" passent leur temps à échanger des mails pour entériner telle ou telle décision. Les différents fuseaux horaires entre la Chine, l’Europe et les Etats-Unis ne facilitent rien.
"Mais t’en as pas marre de composer avec eux ? Mais pourquoi c’est toujours aussi compliqué ? » demande régulièrement Madame Rivère à son mari, "fatigué" sur la fin de passer ses soirées au téléphone à la maison.
Fournier, lui, ne supporte plus de devoir rendre des comptes à des "incompétents" et des "tordus". Il voyage, rencontre des joueurs… pour rien, ce qui met en péril tout ce qui a été construit ces dernières années. Le club est à l’arrêt. Il prend du retard sur tout, ne peut retenir ses meilleurs éléments et perd beaucoup de crédit.
Un départ inéluctable
En plein mercato d’hiver, après avoir compris qu’ils n’allaient pas pouvoir renforcer l’effectif, malgré le départ de Mario Balotelli, Rivère et Fournier quittent l’OGC Nice et abandonnent Vieira, qui ne sera prévenu que trop tardivement. Le champion du monde 98 est sous le choc. Il ne comprend pas l’attitude de ceux qui sont venus le chercher à New-York et lui ont vanté le projet, sans rien lui cacher néanmoins. Vieira sait tout de l’inimitié entre actionnaires et a glissé une clause dans son contrat qui lui permet de quitter le club sous dix jours en cas de retrait de Rivère-Fournier. Il ne la lèvera jamais mais gardera une rancœur tenace à leur encontre. Plus tard, le duo regrettera la forme, prenant en considération les états d’âme de Patrick Vieira, mais en aucun cas cette décision. "Car sans ça, on serait encore là avec les autres et rien n’aurait changé", affirment-ils.
En interne, ces départs laissent un vide immense. L’autorité et la rigueur de Fournier manquent à certains salariés, alors que d’autres se réjouissent de ne plus croiser le "grand", comme le surnomme affectueusement Rivère. Certains en profitent pour se rapprocher de la nouvelle direction et pointer du doigt tous les défauts des anciens qui n’ont certes pas tout bien fait sur la fin. A l’association, où Fournier est tout simplement détesté par ceux qui l’appellent "le Marseillais", on sabre le champagne. Quand le chat n’est pas là, les souris dansent…
Entre Rivère et Fournier, le contact n’est jamais rompu. Ils se sont toujours tout dit, pour le meilleur et pour le pire. Ils sont très différents, mais c’est, selon eux, leur force. Dans chaque situation, l’un joue le méchant, l’autre le gentil, des rôles qu’ils peuvent intervertir selon le contexte et les interlocuteurs.
La bonne étoile de “JPR”
Une semaine qu’ils ne sont plus là, mais le Gym est au cœur de leurs échanges. Ils n’ont qu’une idée en tête : sortir les Sino-américains et placer le Gym entre les mains d’un actionnaire responsable, avec ou sans eux. "Ce qui les attristait le plus, c’était de voir 8 ans de boulot partir en fumée, avance un proche. Ils ont toujours gardé un regard paternaliste à distance, affectueux et peu affairiste." Comme par enchantement, deux mois après que Rivère a tenté d’entrer en contact avec la famille Ratcliffe, Bob tape à la porte. La bonne étoile de Rivère scintille encore. "Peut-être, mais il fallait aller la chercher celle-là. Depuis très jeune, j’ai toujours pensé que rien n’était impossible", nous confiera Rivère huit mois plus tard.
Le deal n’est alors qu’un mirage, Fournier a du mal à y croire lorsqu’il se rend à Londres pour rencontrer Bob Ratcliffe, mais a toujours fait confiance aux intuitions de son président. Il informe Vieira du début des tractations avec INEOS, prend les choses en mains car c’est une "opportunité unique" pour l’OGC Nice, un club auquel il est très attaché, lui l’ancien dirigeant de l’Olympique de Marseille. En parallèle, il discute avec des écuries de Premier League qui souhaitent le recruter. Fournier ne ferme pas la porte mais roule pour le Gym.
Du bon temps en famille
En privé, Rivère avance qu’il y a plusieurs repreneurs potentiels mais qu’il y en a qu’un seul qui "ferait basculer le Gym dans une nouvelle dimension." Le tout, avec le sourire en coin de celui qui a un plan en tête, déjà. “JPR” ne dit rien de l’identité de cet investisseur qui n’est autre que Jim Ratcliffe. En parallèle, il discute avec des fonds d’investissement, une option qui ne l’enchante guère car elle ne permettrait pas au club de sa ville de voir en grand. Loin du foot, Rivère jure qu’il est "heureux", ce qui fait sourire quelques proches qui pensent l’inverse. Il reprend de façon active ses affaires dans l’immobilier et ne s’interdit plus de faire du business dans sa cité. Il skie à Auron, profite de la famille, de ses enfants, même si ces derniers s’inquiètent de ne plus pouvoir aller dans le vestiaire les soirs de match depuis que leur papa a rangé son costume de président.
"C'est ça la belle vie"
Sur la brèche depuis de trop longues saisons, Fournier prend également du bon temps en compagnie de ses proches. Il n’avait plus eu la possibilité de "ne rien faire" depuis des années. Emoussé par la fin à Nice, il se régénère. Il apprécie de ne pas arriver en retard à des dîners entre amis, auxquels il peut enfin participer les idées claires, sans penser au match du week-end ou au transfert d’un joueur à boucler. Il a le bonheur de déposer sa fille à l’école le matin, la récupérer le soir, voir plus souvent son fils et s’adonner à sa passion pour le padel qu’il pratique jusqu’en Espagne afin de peaufiner sa technique raquette en main. "C’est ça la belle vie", glisse-t-il, à ses proches.
En février, Bob Ratcliffe visite le centre d’entraînement. Chien Lee est vendeur. Le milliardaire britannique a rencontré Rivère et Fournier avec qui il souhaite collaborer pour "éviter de faire les mêmes erreurs qu’à Lausanne". L’histoire est en marche…
Retrouvailles avec Vieira
Or, les Chinois font machine arrière et prétendent que le club n’est plus à vendre. Vieira lâche Rivère et Fournier qu’il accuse de déstabilisation et de mensonges. Ratcliffe ne vacille pas, rencontre les anciens actionnaires et Gauthier Ganaye à Londres. Il leur fait part de ses intentions et de la somme qu’il est prêt à injecter pour racheter le club. La présence de Rivère dans le deal est un problème majeur. Alex Zheng et Chien Lee menacent de faire capoter l’affaire s’il revient aux manettes. Rivère est prêt à se retirer si sa présence est un obstacle, mais Fournier n’a pas l’intention de revenir sans lui. En ville,” JPR” assure à tout le monde que le foot est de l’histoire ancienne pour ne pas froisser la susceptibilité des Chinois qui lui vouent une haine profonde.
Le dimanche 14 juillet, Fournier et Vieira ont rendez-vous. Ils ne se parlent plus depuis des mois et s’accusent mutuellement de trahison. Au téléphone, ils ont eu des échanges musclés mais l’heure du règlement de comptes attendra car il y a un mercato à faire. Les deux hommes valident une liste de joueurs que Fournier se charge de convaincre. Un numéro d’équilibriste tant qu’il n’est pas officiellement revenu aux affaires, ce qui ne sera effectif que le 29 août. Ce jour-là, Rivère reprend également son fauteuil de président, comme un retour à la normale.
"On n’est pas lié à vie, mais n’avait pas fini le job", lâchent en cœur Rivère et Fournier, qui ont réussi leur tour de force mais aussi l’impensable pour le Gym.