En ces temps de fermeture imposée par les restrictions sanitaires, le Casino Luxembourg – Forum d’art contemporain souhaite néanmoins vous faire partager ses expositions en cours.
Sans avoir besoin de vous déplacer, nous vous proposons de vous plonger dans le monde des trois artistes actuellement exposés au Casino. Au programme : présentations d’œuvres, photographies, textes et illustrations d’artistes, vidéos et vision élargie de l’univers des artistes.
À la fin de chaque page se trouve une sélection de textes disponibles en ligne via le réseau des bibliothèques pour vous permettre d'approfondir le sujet à la maison.
Deep | Dark | Dank
Deep | Dark | Dank est une installation immersive de l’artiste Ben Wheele. Grâce à une série de techniques d’animation numérique, l’artiste développe un monde fantastique envahi par des créatures sinistres, des abominations corporelles grotesques et une bonne dose d’humour noir. Son travail traîne souvent dans les méandres du « côté obscur de YouTube », une zone peu connue où se regroupent des vidéos mystérieuses, générant toutes sortes de théories du complot et de vidéos de réactions terrifiées en ligne. En plus de ses films précédents, l’installation présente Top 5 Animation Containers, son dernier projet. L’œuvre imite le format d’une vidéo YouTube de décompte « top 5 » pour explorer l’évolution des mèmes Internet viraux, en particulier des histoires creepypasta (histoires d’horreur en ligne diffusées par « copier-coller ») et des mèmes dank. Respirez un bon coup… avancez dans l’obscurité… préparez-vous à entrer dans le monde dank de Ben Wheele.
BEN WHEELE
Ben Wheele (né en 1987 à Ditchling, GB) est un développeur d’animation numérique et un artiste visuel basé à Londres. Il est diplômé du Royal College of Art depuis 2011. Ses films d’animation ont été programmés dans des festivals internationaux, notamment à Annecy, au Pictoplasma Festival de Berlin, au London International Animation Festival, au Rotterdam Film Festival et à l’ITFS de Stuttgart. Son travail a été exposé à la Sunday Painter Gallery à Londres et à l’espace d’art numérique Gazell.io, et est diffusé sur Adult Swim et Channel 4 (Royaume-Uni). Wheele est le fondateur de Studio Ponk et enseigne actuellement l’animation et les jeux en 3D à l’université de Middlesex à Londres.
Focus
Surréalisme tchécoslovaque
Le surréalisme, mouvement artistique et intellectuel né en France et en Belgique au début des années 1920 va créer une grande ébullition en Europe. Il s’agit moins d'un mouvement que d’une façon d’être et de créer en respect des principes généraux (Manifeste du Surréalisme, André Breton, 1924). Son impact est particulièrement important en Tchécoslovaquie où trois artistes – Toyen, Jindřich Štyrský et Vítězslav Nezval – fondent, en 1934, le « groupe des surréalistes en Tchécoslovaquie ». Suivant les principes de son aîné, le groupe s’intéresse au rapport entre réalité et rêve, à la psychanalyse, à l’écriture automatique.
Très en vue dans les années qui suivent sa création, le groupe perd de son aura après la guerre, contraint à la clandestinité par le régime politique en place. Il reprend paradoxalement un second souffle après le Printemps de Prague (1968) avec une nouvelle vague d’artistes dont certains sont toujours actifs aujourd’hui.
Jan Švankmajer
Né la même année que le groupe des surréalistes de Tchécoslovaquie, Jan Švankmajer intègrera le mouvement en 1970, après avoir débuté sa carrière au théâtre (notamment de marionnettes). Comme beaucoup, Jan Švankmajer est contraint de composer avec la censure communiste, qui influence ses médiums de travails (le cinéma était beaucoup plus surveillé que le théâtre de marionnettes, plus « traditionnel »), et donc son esthétique.
Alors que le surréalisme s’intéresse aux relations entre réalité et rêve, Jan Švankmajer explore une vision beaucoup plus noire, voire cauchemardesque de ces rapports, décrivant un monde déshumanisé, où les humains sont objetisés et les objets humanisés, analysés, choyés, mis en scène. On retrouve dans ses films, courts ou longs métrages, une esthétique directement issue du théâtre de marionnettes où se mêlent l’absurde, l’inconnu, l’étrange. Son style se démarque surtout par le mélange de stop motion, d’animation et de prises directes.
Initiateur d’une esthétique graphique et cinématographique unique, Švankmajer reste une référence pour de nombreux réalisateurs. On peut aisément retrouver son influence chez Tim Burton, Terry Gilliam, et bien évidemment chez Ben Wheele.
HENRY EATS (2003)
Dans ses premières vidéos, Ben Wheele utilise une méthode d’animation nommée cut-out. Il s’agit d’une technique de découpage par laquelle les différents éléments du personnage sont combinés sous forme de jointure. Traditionnellement, les cut-outs sont réalisés à l’aide de papier découpé puis assemblé, et la vidéo naît d’une chaîne de photos comme l’on peut observer dans l’extrait ci-dessous. Cette technique est appelée « animation en volume » quoique le terme anglais stop motion est plus répandu.
Vidéo d'explication du cut-out
Ben Wheele, quant à lui, utilise l’ordinateur pour animer ses découpages. Dans la vidéo Henry Eats, il est possible de voir comment les personnages prennent vie grâce aux mouvements de jointures.
Val Val Val (2009)
HER LOVELY FEARS (2009)
DECORATION (2013)
Réalisée en 3D, Decoration marque un tournant dans l’œuvre de Ben Wheele. Pour créer ses personnages et l’univers dans lequel ils évoluent, Wheele utilise un logiciel qui se base sur le concept de sculpture d’argile. L’artiste débute avec un « bloc » qu’il remodèle, auquel il enlève des couches ou augmente le volume, etc. Une fois que le modèle est prêt, il est possible d’y ajouter différentes textures, de régler l’éclairage et de l’animer.
L’avantage de la modélisation 3D est que la sculpture est formée de centaines ou de milliers de petits polygones qui interagissent. Ainsi, l’animation n’est plus limitée aux jointures ce qui lui permet une plus grande latitude de mouvement et d’expression.
Avec Decoration, Ben Wheele explore la texture et la réflexion ainsi que les combinaisons « organiques » que la modélisation 3D permet.
BUMP CLASSIQUE (2016)
FOCUS
CREEPYPASTA
La « Creepypasta » définit une branche de légende contemporaine qui prend vie dans le cyberespace et puise son vocabulaire dans le domaine du macabre et du lugubre, voir de l'horreur. À l’origine, ce terme est dérivé de la fonction copy/paste (copier/coller) qui, dans les forums en ligne, s’est transformé en « copypasta », consistant à copier des textes pour les coller à d’autres endroits. Les « creepypastas » en sont devenues un sous-genre.
Leur forme se rapproche de celle de la légende au sens traditionnelle du mot. Ces histoires se veulent transmédiales : le texte est privilégié comme support aux « preuves » visuelles. Ainsi, dans un effort de rendre le récit véridique, ces textes sont souvent rédigés à la première personne et se déroulent dans des lieux réels. Ces gages de plausibilité sont habituellement incomplets pour laisser place à l’interprétation du lecteur. C’est dans ces zones floues que les « creepypastas » s’épanouissent. Dans le processus de partage, le récit prend de nouvelles formes, subit des modifications narratives ou de nouvelles interprétations. Ce mécanisme de transmission renforce son caractère folklorique.
Publiée pour la première fois en 2009, l'histoire du Slender Man (l’homme mince) est sans doute la « creepypasta » la plus célèbre. Elle a pour sujet un homme sans visage à la figure allongée qui, dans les forêts et les parcs, la nuit venue, chasse les enfants pour les tuer. En plus des partages sur les forums et les blogues, la websérie Marble Hornets a alimenté pendant plusieurs années la légende sous la forme de capsules qui exploraient la responsabilité du Slender Man dans la disparition d’un ami du protagoniste. L’esthétique de la série cherche à renforcer le caractère documentaire de la narration : filmé à main levée, documents à l’appui, etc.
L’histoire s’est tristement transformée en réalité en 2014, lorsque deux jeunes filles de douze ans ont poignardé une de leurs amies, acte qu’elles ont qualifié d’offrande au Slender Man.
Introduction – Marble Hornets (2009)
Top 5 Animation Containers (2019)
POUR ALLER PLUS LOIN
Textes disponibles sur a-z.lu :
Surréalisme slave
- Ivins-Hulley, Laura. « A Universe of Boundaries: Pixilated Performances in Jan Švankmajer’s Food », Animation, vol. 8, n° 3, 2013, p. 267–282.
- Joschko, Lucie, et Michael Morgan. « Learning from the Golden Age of Czechoslovak Animation: The Past as the Key to Unlocking Contemporary Issues », Animation – An Interdisciplinary Journal, vol. 3, n° 1, 2008, p. 66–84.
- Sera, Mareike. « Jan Švankmajer’s Don Šajn (1970): Puppets as Intimate Objects », Animation, vol. 13, n° 1, 2018, p. 35–52.
- Švankmajer, Jan. « Cabinets of Wonders: On Creating and Collecting », The Moving Image: The Journal of the Association of Moving Image Archivists, vol. 11, n° 2, 2011, p. 103–105.
Théorie de l'animation
Creepypasta
- Balanzategui, Jessica. “Creepypasta, ‘Candle Cove’, and the Digital Gothic.” Journal of Visual Culture, vol. 18, no. 2, 2019, pp. 187–208.
- Blank, Trevor J., and Lynne S. McNeill. Slender Man Is Coming : Creepypasta and Contemporary Legends on the Internet. 2018.
- Cnyrim, Petra. Slenderman Und Smile Dog : Creepypasta Und Grossstadtlegenden. 1. Auflage.. ed., 2015.
- Henriksen, Line. “‘Spread the Word’: Creepypasta, Hauntology, and an Ethics of the Curse.” University of Toronto Quarterly, vol. 87, no. 1, 2018, pp. 266–280.
Casino Luxembourg - Forum d'art contemporain
Ben Wheele - DEEP | DARK | DANK
29.02.2020 - 19.04.2020
Recherches et rédaction : L'équipe de médiation
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