Une communauté de sœurs orthodoxes a acheté un ancien domaine agricole de 60 ha en 1991. Le domaine avait été géré jusque là avec des méthodes conventionnelles, et les sœurs ont entrepris à transformer la ferme en exploitation agricole biologique. Depuis quelques années, le domaine est aussi classé dans le réseau Natura2000. Des écrevisses à pattes blanches (Austropotamobius pallipes), une espèce rare et protégée, y trouvent refuge, parmi beaucoup d’autres espèces.
Nous sommes allé découvrir le monastère de Solan un beau matin bien froid de janvier 2019. Nous souhaitions comprendre les motivations des moniales de cultiver leur ferme en bio et de mener une vie le plus que possible en respectant notre environnement. Nous voulions aussi comprendre le rôle que peut jouer ce lieu de foi dans la transmission d’une pratique écologique et plus généralement dans l’enseignement de la religion chrétienne-orthodoxe sur la relation entre l’homme et son environnement.
Une première chose très agréable était l’accueil extrêmement chaleureux de la jeune sœur qui nous a ouvert la vieille porte en bois du monastère. Le monastère se trouve dans un vieux mas joliment rénové et entretenu.
Ce lieu dégage un calme paisible qui cache bien l’emploi du temps chargé des 17 moniales vivant dans le monastère, les gardiennes de ce site.
Nous avons eu de la chance de pouvoir rencontrer une des sœurs fondatrices du lieu, la Sœur Iossifia.
Elle nous explique que, la crise environnementale que nous vivons en ce moment est liée à une perte de vie spirituelle de l’homme. La foi en Dieu peut remplir et nourrir l’homme. La disparition de cette foi, couplée avec la non-acceptation des limites, est à l’origine de cette crise. L’homme d’aujourd’hui refuse de tolérer une transcendance au-dessus de lui qui impose des limites:
«L’homme est fait pour l’infini. Il ne peut être rempli qu’avec de l’infini. Le seul qui peut le combler c’est Dieu. S’il n’y pas Dieu il va falloir qu’il se jette sur autre chose. Quand on essaie de combler notre soif d’infini avec des choses finies ca peut que mal se developper. Donc dès le moment ou l’homme tente de combler l’infini avec de la matière cela va finir par une exploitation effrenée de ce monde».
La soeur a partagé avec nous toute l’histoire du monastère, dès son début jusqu’à aujourd’hui.
En écoutant son récit captivant qui fait part de hauts et de bas, des problèmes à surmonter, des passages difficiles et remplis de doutes, ce qui étonne est que ces sœurs n’ont jamais abandonné leur vision, de faire de ce lieu un lieu d’accueil, un lieu ou la terre est respectée et choyée, ou elles peuvent vivre en cohérence avec leurs convictions. C’est leur foi et leur amour de Dieu qui les a guidées et aidées dans leur persévérance.
«La terre est la création de Dieu et nous sommes là pour la protéger. C’est ça notre projet de vie et le projet de notre monastère».
Pourtant, ces sœurs fondatrices n’étaient pas destinées à devenir des agricultrices. Elles sont toutes des citadines qui n’avaient aucune expérience dans le travail de la terre. C’était un petit potager qu’elles tenaient dans leur premier petit monastère dans le Vercors qui leur a ouvert les yeux sur l’importance de produire des aliments sains et sans ajouts chimiques. La Sœur Iossifia nous explique que l’Église orthodoxe est extrêmement attentive à la question environnementale, et ceci depuis longtemps. Déjà en 1988, le patriarche Demetrios de Constantinople a lancé un grand appel aux chrétiens pour la sauvegarde de la terre.
En acquérant le mas de Solan avec ses 60 ha de terre, c’était une évidence pour les sœurs de travailler cette terre en agriculture biologique.
«On s’est dit on est des gestionnaires, le patron c’est le créateur et bien sur qu’on va respecter la Création».
Or la conversion s’est avérée bien plus difficile qu’imaginée. La terre était épuisée, il n’y avait pas un verre de terre. Les rendements du domaine étaient bas et les sœurs se sont rapidement trouvées dans une situation difficile. Mais, elles ne voulaient pas abandonner leur idée de vivre en cohérence avec leur foi.
C’est une rencontre avec Pierre Rabhi, un des fondateurs du mouvement de l’agroécologie en France qui a conforté les sœurs dans leur intuition :
«Il ne faut pas abandonner, la terre c’est l’avenir»,
leur a dit Pierre Rabhi. Il les a aussi aidées à replacer ce qu’elles vivaient dans une crise beaucoup plus vaste de la société, dont la crise agricole n’est qu’un reflet.
Grâce à ses bons conseils et son soutien, les moniales ont commencé, petit à petit, aller vers une autosuffisance alimentaire. En même temps, il fallait avoir une production qui dégage des revenus. Pierre Rabhi les a encouragées à «aller à la rencontre de la terre»: concrètement, faire un inventaire des ressources et partir de l’existant, au lieu d’échafauder des projets en fonction, par exemple, des offres du marché. Or l’existant, c’était essentiellement la vigne: il y en avait huit hectares à leur arrivée. C’était donc la vigne qui était la culture la plus susceptible de les faire vivre. En parallèle, elles ont entrepris de diversifier les cultures, dans une optique vivrière. Elles ont commencé à cultiver du blé mais finalement, avec les sécheresses récurrentes et la pauvreté du sol, la culture céréalière a été abandonnée; elles ont aussi cultivé du tournesol, mais finalement elles ont dû y renoncer, et ont planté une oliveraie en 2006.
Depuis 1999, les sœurs vinifient la totalité de leur récolte. Et puis, 2 années de récolte partiellement détruites par des intempéries ont fait comprendre aux moniales qu’il était nécessaire à diversifier leur production. Elles ont alors perfectionné leurs méthodes de maraîchage, afin de pouvoir produire des conserves avec le surplus de la production, qui jusque là servait seulement à nourrir la communauté. Les oliviers, entrés en production, permettent de fabriquer des produits à base d’olives. Les plantations d’arbres fruitiers ont été aussi diversifiées. Grâce à un nouveau bâtiment qui abrite une cave et des locaux de fabrication, elles produisent toute sorte de conserves, des pâtes de fruits ou des vinaigres. Or comme la Sœur Iossifia remarque :
«C’est très beau de diversifier, et ce qu’il faut faire, car c’est la logique de la ferme, mais ce n’est pas la logique du monde d’aujourd’hui. Chaque arbre est différent, chaque arbre se taille différemment. Il faut acquérir beaucoup de connaissances».
Le dernier grand chantier, mis à part la construction de l’église du monastère, était la mise en place d’un grand potager.
Il était aussi nécessaire d’apprendre la vente de leurs produits. Et là, c’était le choix de vendre leurs produits au marché à Uzès, une petite ville touristique près du monastère qui s’est avérée la bonne décision. Ce marché, qu’elles ont fait pendant de longues années, leur a permis de connaître la population locale et aussi aux gens locaux de connaître et apprécier les sœurs. «Ce marché nous a ouvert énormément de portes», dit la Sœur.
Progressivement, depuis 2008, les sœurs vendent une part croissante de leurs produits dans leur propre magasin au monastère, pour limiter les sorties.
«Économie, l’écologie et l’éthique peuvent et doivent vivre ensemble. Le monastère de Solan est devenu un petit laboratoire d’expérimentation de ce qui est possible à faire, pour qu’on puisse cultiver la terre, gagner notre vie et vivre décemment et en même temps que tout le monde peut survivre, les écrevisses aussi», nous résume la Sœur.
Pierre Rabhi les a aussi encouragées de créer une association qui permette aux gens de tout horizon de participer à l’aventure des sœurs sans être «gênés» par le caractère confessionnel du monastère.C’est alors que l’association «Les amis de Solan» a vu le jour.
Son but est de soutenir la mise en valeur de la terre de Solan, comme unité de production et de consommation locales, comme site naturel protégé et comme lieu d’accueil, d’échange, de communication et de valorisation du patrimoine rural. L’association a aujourd’hui environ 320 membres ayant des parcours culturels et professionnels très divers. Des journées de travaux pratiques et d’échanges sont régulièrement organisées. L’événement majeur qui a lieu chaque année est la Journée de la Sauvegarde de la Création, qui a été initiée par le Patriarche de Constantinople. La matinée est consacrée à la prière et durant l’après-midi il y a des conférences sur différents thèmes. Durant les premières années, c’était des thèmes très techniques comme la gestion de l’eau ou du sol. Or assez vite, les membres de l’association se sont tournés vers des thématiques plus abstraites, liées à l’homme et à sa relation avec son environnement ou la création comme préfère dire la Sœur Iossifia. «Car c’est là où se trouve le problème», nous dit la Sœur Iossifia. «Les solutions techniques existent ou peuvent exister». Il y avait des conférences sur l’éducation, la relation au temps, de la capacité d’émerveillement, ou le risque et l’assurance. La journée est ouverte à tout le monde et peut accueillir un maximum de 200 personnes et la salle est normalement pleine.
Deux tiers du domaine sont couverts par une forêt, impénétrable et complètement embroussaillée à l’achat du domaine.
A l’aide d’un bucheron et son apprenti, une partie de la forêt a été réhabilitée avec des coupes sélectives, et en favorisant des semis directs. La grande découverte dans les bois était alors un petit ruisseau qui héberge des écrevisses à pattes blanches, une espèce rare et protégée. Depuis quelques années, tout le site du monastère de Solan est classé dans le réseau Natura2000. La forêt est à la fois une forêt nourricière, une forêt de protection et aussi un foret de conservation.
Une chose étonnante dans le récit des sœurs sont les rencontres, peut-être providentielles et heureuses, mais peut-être aussi signe du destin et aboutissement de leur foi, avec énormément des personnes prêtes à aider, soutenir, enseigner et accompagner les moniales tout au long de leur chemin.
Le monastère a beaucoup de visiteurs durant toute l’années. Ils viennent pour la prière ou pour des conférences, pour faire des achats au magasin, ou encore pour donner des coups de main. Et tous ces visiteurs voient comment vivent les moniales et peuvent remarquer leurs divers gestes pour éviter le gaspillage par exemple, leur attitude ouverte et positive envers ce monde et cet amour avec lequel elles travaillent la terre et qu’elles transmettent.
Ces sœurs montrent l’exemple. Elles nous parlent de l’environnement et en même temps elles nous indiquent comment faire et sont, de ce fait une inspiration.
Ce mot de la Sœur Iossifia résume très bien son récit :
«Quand on est près de la terre, on est près de l’essentiel. Et puis c’est assez humiliant, parce que la terre est basse et en plus tout ne dépend pas de nous. Il pleut ou il ne pleut pas, on fait comment ? C’est un exercice de foi et d’humilité. D’autre part, c’est une source d’émerveillement constant. On vit en rythme avec la terre et avec le créateur».
Credits:
DiversEarth & Monastère du Solan