Il y a cinquante ans, le premier hypermarché Auchan RONCQ

Un mastodonte né en six mois

En août 1967, le premier hypermarché Auchan ouvrait à Roncq… après seulement six mois de travaux. Une petite performance pour Gérard Watel. Le jeune homme était alors le conducteur de travaux de ce magasin bâti en pleine campagne. Retour sur la construction express du premier magasin de ce genre qu'a connu la région, à l'époque le quatrième en France.

Ce n’était que des champs et une petite route qui serpentait vers Halluin. L’A22 n’était encore que des plans… et une belle opportunité pour Gérard Mulliez. C’est là « dans ce champ de patates » qu’il a choisi de créer son premier hypermarché. Le magasin de Roubaix a ouvert six ans auparavant.

Il convoque alors la même équipe de bâtisseurs et lui passe commande d’un bâtiment de 6.000 m². Une sorte d’immense boîte que l’aménagement intérieur transformera en hypermarché. « Au départ, je voulais ouvrir sur 3 000 m². La famille m’a alors dit : "Tu passes de 1 200 à 3 000 m², c’est pas mal, mais il faut faire 6 000 m²". Alors j’ai fait 6 000 m²», racontait Gérard Mulliez en 2011. La surface du magasin sera d'ailleurs doublée dès 1968, faisant à l'époque d'Auchan Roncq le plus grand hypermarché d'Europe.

Pour Gérard Watel, jeune conducteur de travaux chez Rabot-Dutilleul, la construction ne présente pas de difficulté.

Gérard Watel

« Il est toujours plus simple de construire sur un terrain où il n’y a rien », raconte aujourd’hui le septuagénaire. Mais c’est lorsque Gérard Mulliez annonce le planning des travaux que les « soucis » commencent. « Les travaux devaient commencer en février pour s’achever en… septembre. » Six mois pour construire le premier hypermarché de la région !

Gérard Mulliez l'a encore raconté en juin, lorsque l'anniversaire a été célébré dans le magasin. Il avait acheté des terrains pour faire construire l’hypermarché de Roncq « à une crémière de la rue Saint-Jacques à Tourcoing ». « Le terrain était bien placé. Il y avait la réserve pour l’autoroute. Il a fallu racheter les terres à une dizaine de propriétaires. Mon père m’avait laissé son carnet de chèques et quand il est rentré de vacances, un mois après, tout était signé ».

Le 20 juin 2017, l'anniversaire d'Auchan Roncq a été fêté en grande pompe dans le magasin, en présence de Gérard Mulliez. Mais le demi-siècle de l'hypermarché y est célébré tout au long de l'année. Au programme, animations, dégustations, événements pour les enfants, visites d’ateliers, mais aussi un « Musée Auchan Roncq » dans la galerie...

« À l’époque, on travaillait dix heures par jour »

Soixante-dix personnes sont mobilisées sur le chantier de gros œuvre. « Mais tout corps de métiers confondus on arrivera à deux cents ! À l’époque, on travaillait dix heures par jour et le samedi jusqu’à 16 heures mais on n’avait pas le «confort» des chantiers d’aujourd’hui », se souvient Gérard Watel. La base de vie se résume à quelques caravanes…

« On brûlait les chutes de chantier pour se réchauffer car nous n’avions pas de chauffage. Les bases de vie n’existaient de toute façon que sur les gros chantiers. La plupart du temps, il n’y en avait pas. »
Cette année-là, ce n’est pas le grand froid que les ouvriers devront combattre mais les tempêtes.

Gérard Watel est lui tous les jours sur le chantier… aux côtés du cousin de Gérard Mulliez qui supervise les travaux. « On a quasiment passé six mois ensemble », sourit le conducteur de travaux. D’autant que pour aller vite, l’entreprise expérimente une nouvelle méthode de construction. « On a commandé des poteaux préfabriqués qui étaient jusqu’ici utilisés en Allemagne et Belgique. On enfilait les poteaux dans une base puis on coulait le béton. »

Un jour c’est Gérard Mulliez qui vient inspecter les travaux. « On avait déjà installé plusieurs poteaux mais lorsqu’il est parti je me suis rendu compte qu’il y avait eu une inversion. On a dû tout démonter et M. Mulliez est revenu : il n’y avait plus un seul poteau », raconte avec le sourire Gérard Watel. Il veillera jusqu’à l’inauguration sur ce bâtiment aujourd’hui quinquagénaire avant d’aller construire d’autres Auchan à Leers, Englos et Villeneuve d’Ascq puis Euralille. Aujourd’hui, comme un clin d’œil, il habite à deux pas de ce premier hypermarché. « Un hasard », assure-t-il.

Nord Eclair du 24 août 1967

Les souvenirs du premier directeur

C’est un témoignage précieux. Il y a cinquante ans, Philippe Duprez prenait la tête d’Auchan Roncq, le premier hypermarché de la marque. Il se souvient de l’enthousiasme des salariés, du sentiment d’être pionniers, de la foule des premiers jours, mais aussi de l’hostilité qu’a provoquée l’ouverture du magasin.

Le premier patron

Philippe Duprez était patron d’une entreprise textile à Tourcoing. Rien ne le prédestinait au commerce, mais il avait connu un certain Gérard Mulliez chez les Scouts et les deux hommes partageaient leurs séjours au ski. « Un jour, il me proposa de prendre la tête d’Auchan Roncq. J’ai eu beaucoup de difficultés à accepter car ce n’était pas le même métier et j’avais l’impression d’abandonner ceux de mon entreprise. Mais finalement, j’ai tenté l’aventure ! » Philippe Duprez est embauché en août 1966. Il est formé pendant six ou sept mois à Auchan Roubaix. En 1967, il coordonne les travaux.

« C’était un pari, on voulait réussir car nos associés textile ne comprenaient pas pourquoi on s’intéressait à la distribution. C’était une aventure formidable mais j’avais eu la chance de recueillir le témoignage de Gérard Mulliez qui revenait des États-Unis. Il était sûr que c’était ce qu’il fallait faire. »

Le premier jour

Philippe Duprez recrute ceux qui feront vivre Auchan. « Avec le début de la crise du textile, nous avons pu facilement recruter du personnel souple, habitué au travail, qui s’adapta très vite à leur nouveau métier bien différent. »

Commencé en janvier 1967, l’hypermarché ouvre ses portes en août 1967. « Et là, on ne s’attendait pas à ce qu’il y ait autant de monde. Cela a été de la folie. »

Ce jour-là, Maurice Schuman, ministre, lui remet le… permis de construire. Le colosse de béton avait été bâti sans!

Vu l’engouement, Philippe Duprez et Gérard Mulliez décident d’agrandir le magasin. Et Auchan Roncq ne séduit pas que les consommateurs. « Nous avons été reçus par le maire communiste de Roncq, Alphonse Lœul. Il a ouvert le champagne en disant : «C’est bien la première fois que des communistes saluent les intérêts capitalistes ! » Dans les années qui suivent, des cars sont affrétés de Belgique ou de certains quartiers de Tourcoing pour venir jusque Auchan Roncq, temple de la modernité.

Les premières hostilités

Mais l’ouverture d’Auchan Roncq ne plaît pas à tout le monde. « Certains fournisseurs ne voulaient plus nous livrer considérant que l’on cassait trop les prix au préjudice des détaillants. J’ai assisté impuissant devant certains fournisseurs qui, tous les matins, avec leur équipe et dès l’ouverture du magasin, venaient vider les rayons de leur marchandise, payer aux caisses, et empêcher nos clients de les acheter. »

Philippe Duprez raconte même que certains garagistes refusent de venir en aide à certains automobilistes en panne. « Ils demandaient d’abord où ils avaient pris leur essence. S’ils répondaient Auchan, le garagiste disait «la panne c’est normal, ils coupent l’essence avec de l’eau !» » Enfin, il y a les clous de tapissier sur le parking pour crever les pneus sur le parking. Une légende raconte même que Gérard Mulliez les ramassait pour les remettre en rayons. Des menaces de bombes et des demandes de rançons suivront même.

Les premières caissières

Avec leur blouse et leur énorme caisse, elles ont été les pionnières de la grande distribution. « Elles représentaient quand même 20 % du personnel. Au début, on ne leur a pas prêté forcément beaucoup d’attention. Mais nous nous sommes vite rendu compte qu’elles avaient une influence prépondérante sur le commerce. Parce que c’était à elles que les clients signalaient ce qui n’allait pas. »

Autant hypermarché que magasin du quartier des Orions, ces caissières fidélisent les clients. « Il fallait absolument valoriser leur travail et leur permettre de concilier travail et vie de famille. » Philippe Duprez imagine une organisation « par îlot ». « Ainsi, elles s’organisaient entre elles en fonction des moments de pointe. »

La première ménagerie

C’est le souvenir de beaucoup de clients. À l’ouverture, une ménagerie est installée (à la place de l’actuel Flunch). « C’était autant un zoo qu’une ménagerie. C’était pour vendre et pour amuser les enfants. Mais cela nous a donné tellement de soucis. Il y avait même un petit lion qui, malheureusement, n’a rien trouvé de mieux que de s’étouffer en mangeant sa couverture. » Mais il y avait surtout un singe… très malin. Philippe Duprez en rit encore.

« Une nuit évidemment entre samedi et dimanche, ce singe a réussi à ouvrir sa cage, mais il a également réussi à ouvrir les autres cages. »

Résultat : oiseaux, serpents, lapins s’éparpillent dans les rayons. « On a dû rattraper tout le monde. Quelle histoire ! Mais quand on a fait l’inventaire, il nous manquait deux serpents ! Et six mois après, en plongeant dans un bac textile, une cliente en a ressorti un serpent. Ah, quelle histoire ! Elle s’est mise à hurler. On l’a réconfortée et on lui a payé son caddie. » Finalement, la ménagerie est fermée quelque temps plus tard. « C’était pas très hygiénique, ça sentait l’urine, il valait mieux arrêter ! »

Jeannine et Claudine, salariées de la première heure

Des anciens d'Auchan Roncq racontent la grande et petite histoire de ce magasin historique, dans lequel beaucoup de Tourquennois ont des souvenirs.

Jeannine et Claudine avaient une vingtaine d’années. « Il y avait une baraque sur le parking. C’est là que je me suis inscrite pour travailler chez Auchan », raconte Jeannine, qui est aujourd’hui à la tête du club des anciens d’Auchan Roncq. Claudine, qui avait une formation de couturière, fait de même.

Les deux jeunes femmes sont embauchées et partent travailler dans le supermarché des Hauts Champs à Roubaix. « C’était notre apprentissage. On a tout appris à Roubaix-Motte. » Claudine découvre la « bible » rédigée par Gérard Mulliez qui décrit les tâches et comportements :

Claudine

« Nous n’avions pas le droit de faire passer les gens sans articles à nos caisses. Un jour, M. Mulliez s’est présenté. Conformément à la «bible», je lui ai dit qu’il ne pouvait pas passer. Il est reparti furax et moi, je n’ai jamais su si c’était un test pour voir si j’appliquais bien les consignes. »

Rompues au maniement des caisses qui pèsent plusieurs kilos, les caissières ont également appris les prix par cœur. « On tapait à l’aveugle sans voir le clavier. » Claudine et Jeannine prennent ensuite leur poste à Auchan Roncq, quelques jours avant l’ouverture. « Dans la région, on n’avait jamais vu un tel hypermarché. C’était formidable, immense… Il y avait un enthousiasme incroyable. » Les deux femmes forment une vingtaine de personnes et se préparent à l’ouverture.

Une foule à l’inauguration

« Ce fut, ce jour-là, une pure folie. » La foule vient découvrir ce concept inspiré des États-Unis et qui est inauguré par Maurice Schumann, ministre lillois des Affaires étrangères de De Gaulle. Les clients sont libres de se servir. « C’était très novateur. Auparavant, dans tous les magasins, il fallait demander les produits aux vendeurs », raconte Claudine.

Jeannine

« Les clients se battaient aux caisses. Les gens venaient de partout : de Valenciennes, du Pas-de-Calais, de Belgique… Il y avait eu tellement de publicités. Un véritable phénomène de curiosité ».

Le magasin fait déjà nocturne jusqu’à 22 heures ! Claudine raconte que l’hypermarché pouvait ouvrir très tard. « Les avant-veilles de fête, le magasin ouvrait jusque minuit - une heure du matin. Pour fermer, on était obligé de mettre les gens dehors. Et il y en avait qui tapaient sur le rideau en fer, d’autant que l’on faisait des soldes sur les plats préparés. »

La folie durera plusieurs jours et les employés du premier hypermarché de France en tireront une certaine expérience. « Après, on est allé donner un coup de main lorsque Leers et Englos ont ouvert… » De véritables pionniers de la grande distribution.

Depuis son ouverture, l’hypermarché Auchan Roncq attire beaucoup de Belges. Jeannine et Claudine, caissières depuis l’ouverture, racontent. « Il y avait des autobus, je crois que c’est des bus Foulon, qui partaient de Belgique pour venir à Auchan Roncq. Et c’est Auchan qui payait le bus ! », assure Jeannine. Claudine en poste à la caisse principale était devenue agent de change. « Les Belges devaient impérativement passer en caisse principale pour changer l’argent. Ensuite, toutes les caissières ont eu une double caisse : francs français et francs belges. » Aujourd’hui encore, un client sur cinq de l’hypermarché vient de Belgique.

Created By
Magalie Ghu
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