Réalisée du 19 au 29 août 2021
''OHHHH mois d'août 2021, où es-tu passé ? OHHHH chaleur estivale, peux-tu revenir s'il-te-plait ?''. Vous l'aurez compris, la dernière quinzaine du mois d'août de cette année a été particulièrement humide et fraiche en Suisse. À en devenir presque climatosceptique. Blague à part, les nuages ne nous lâcheront pas d'une semelle toute au long de cette étape, nous cachant la plupart des paysages suisses. Ce sont les joies de l'aventure mais ce temps ne rassure en rien par rapport à l'automne qui va arriver à grands pas en montagne.
A côté de la météo, un autre sujet viendra rajouter un peu plus d'incertitudes sur la suite de l'aventure. C'est bien évidemment ma douleur au tibia qui n'a pas dit son dernier mot, au grand dam de mon porte-monnaie. Mais cette histoire sera racontée ultérieurement.
Pour le moment nous profitons d'un temps clément au-dessus de Grindelwald. Le Mönch et surtout la face Nord de l'Eiger se révélant face à nous lors de la montée au Grosse Scheidegg.
Bien qu'il n'atteigne pas la barre symbolique des 4000m d'altitude, l'Eiger 3967m a toutes les caractéristiques d'un haut lieu de l'alpinisme : une altitude non négligeable et un relief vertigineux. Sa première ascension date de 1858 par le Britannique Charles Barrington notamment qui la réalise par son versant Ouest. Un plus grand défi tient à son immense face Nord, une falaise de 1800m qui constitue l'une des plus hautes falaises d'Europe. Cette face faisait partie du trio des ''trois derniers problèmes des Alpes'' selon l'expression datant de 1938 de l'alpiniste autrichien Fritz Kasparek. Par cette expression il faisait référence aux trois grandes faces Nord des Alpes n'ayant pas encore été conquises par l'Homme. Il s'agissait alors de la face Nord du Cervin, celle des Grandes Jorasses et enfin celle de l'Eiger. Ces trois versants ont été gravis dans les années 1930, celle de l'Eiger étant la dernière a avoir été vaincue en juillet 1938 au bout de trois jours d'ascension. L'alpiniste français Gaston Rébuffat est le premier à réaliser l'ascension des trois faces Nord dans les années qui suivent la Seconde Guerre mondiale. Avant son ascension, la face Nord de cette montagne était l'objet de fantasmes pour les alpinistes et de nombreuses tentatives ont conduit à des drames.
Après le Grosse Scheidegg on descend sur l'autre versant du col et nous entamons la traversée de Haslital, une vallée surplombée par d'imposantes falaises et des glaciers suspendus. La fin de cette vallée débouche sur la petite ville de Meiringen.
Cependant, c'est en dévalant vers Meiringen que la douleur au tibia prend de l'ampleur. Elle devient tellement douloureuse que marcher devient délicat, ce qui est assez problématique pour quelqu'un qui veut traverser les Alpes à pied. Pas le choix : je dois reposer ma jambe quelques jours. Ne supportant plus la douleur, nous devons même stopper l'étape du jour et emprunter un bus qui nous conduira à Meiringen. C'est dans cette ville que nous nous reposerons 2 jours et demi dans l'espoir que cette probable périostite cesse aussi vite qu'elle est apparue.
L'ennui fut total pendant ces jours de repos. Je me forçais à marcher le moins possible : des heures couché sur un matelas, à cloche pied pour remplir la gourde que je garde près de moi, des litres d'eau avalés et quasiment autant d'évacués. Vous rajoutez à cela le stress qui s'installe sur une possible fin de l'aventure si cela ne guérit pas. Le seul réconfort tient au fait que nous nous trouvons dans la capitale de la meringue ! Nous avons tout de même bougé de nos lits pour déguster un ''tête-à-tête'' (c'est le nom de la meringue).
Le karma en rajoute une couche avec un séjour à Meiringen sous un grand soleil, alors qu'évidemment, pour la reprise, les perturbations ont prévu un défilé sur les Alpes suisses.
Ces jours de repos forcé seront l'occasion de visionner quelques films. Notamment ''Les Chemins de la Liberté'' datant de 2010 qu'Estebane ne connaissait pas. Un hymne à la liberté en temps de guerre et de totalitarisme que je recommande grandement. On fait d'ailleurs facilement la parallèle avec notre aventure alors que tout s'oppose : dictature vs démocratie / souffrance vs émerveillement / mort vs vie / contrainte vs liberté. C'est un film qui, non seulement, nous fait prendre conscience de la chance infinie que nous avons de vivre en Europe aujourd'hui mais qui nous amène aussi à un peu d'humilité sur notre voyage.
Le jour du grand redémarrage approche ! Le douleur s'est estompée, la bosse sur l'avant du tibia et le traumatisme sur la zone sont toujours présents mais je peux marcher sans difficulté. Ça tombe bien, la pluie est de retour au-dessus de Meiringen, de quoi ne pas trop faire chauffer les mollets.
Meiringen se situe à à peine 600m d'altitude. La montée sera donc conséquente pour retrouver les crêtes et les plateaux. Depuis la ville nous grimperons dans un premier temps vers Planplatten 2245m, un sommet marquant le début d'une traversée à la fois sur des arêtes, en balcons puis sur des plateaux.
Très vite, en traversant les crêtes et les plateaux, les nuages se font de plus en plus encombrants puis, c'est au tour de la pluie de prendre le relai mais sous forme d'averses pour le moment.
Nous mangerons à l'abri près de ce lac. Nous faisons la rencontre d'une famille de Tibétains alors en voyage en Suisse pour visiter un membre de leur famille qui travaille ici. ''Prochain objectif l'Himalaya !'' nous lancent-ils avant d'avoir pitié de nous en nous donnant un peu d'argent et un peu de nourriture. Choses dont nous n'avions pas besoin ni demandé. Mais ils ont insisté.
Malgré la pluie, nous sommes motivés à enchainer les kilomètres. Cela faisait quasiment trois jours que nous tournions en rond dans un hôtel de Meiringen. Alors même si le temps est plus que mauvais, nous nous dirigeons vers la prochaine ville : Engelberg. Il nous faut auparavant franchir le Jochpass, où nous changerons de canton pour atterrir dans le Canton d'Obwald. La pluie s'est d'ailleurs calmée après manger. Nous nous faisons par la même occasion de nouveaux amis de galère.
La suite de l'étape se fera sous une pluie battante. Nous dévalerons tout de même le col jusqu'à la vallée. Lors d'une accalmie nous arrivons à monter rapidement la tente mais pour ce qui est de la douche et de notre séchage, c'est une toute autre affaire. Il a fallu se résigner à se doucher sous la pluie une fois la nuit tombée. Le séchage fut improvisé et plutôt bien géré. La journée se termine avec une bonne purée mousseline aux alentours de 23h mais un matelas percé pour Estebane. Le fait positif du jour ? Malgré plus de 30km de randonnée, la douleur au tibia ne s'est pas manifestée !
Au réveil, les nuages sont encore bien présents mais la pluie s'est arrêtée. Nous avons un peu l'impression d'être dans le film ''Sunshine'' tant le soleil peine à se montrer. C'est donc au sec que nous commençons l'ascension du col du jour : le Surenenpass. La nébulosité se contente des cimes, nous laissant apercevoir quelques pans des montagnes. Nous changeons de nouveau de canton avant d'attaquer la montée : après un bref passage dans le Canton d'Obwald nous arrivons dans le Canton d'Uri.
Heureusement les nuages du col se dissiperont avant notre passage. Une longue descente vers la vallée nous attend. Vallée qui bénéficie de quelques rayons lumineux contrairement aux massifs.
Cette basse vallée (400m) relativement urbanisée sera l'occasion : pour Estebane d'essayer de faire réparer son matelas et pour moi de trouver un manchon de compression pour consolider mon tibia, au cas où. Ces deux missions couplées à un besoin de ravitaillement nous ferons perdre du temps le lendemain. C'est pourquoi la montée du prochain col s'effectuera en stop, d'autant plus qu'il s'agit d'un col routier : le Klausenpass.
Au coeur de cette vallée se trouve une petite oasis alpine dont l'emplacement secret nous a été révélé par les personnes chez qui nous avons dormi à Brigue, au début de la Suisse. Pour y accéder : pas d'indication, presque pas de chemin et un peu de chance.
Un léger changement de temps s'opère pour la suite et fin de cette Via Alpina suisse. Les nuages sont toujours en nombre mais le soleil arrive tout de même à se frayer un chemin ici et là. Depuis la petite ville de Linthal, ce n'est pas encore bien visible. Mais lors de l'ascension du Richetlipass 2261m nous nous extirpons de la nébulosité en passant au dessus de la mer de nuages, une fois la barre des 2000m franchie.
De l'autre côté, nous descendons en direction du village de Elm. Mais plus nous avançons plus nous entendons d'étranges sons qui résonnent dans la montagne.
Des bruits d'armes à feu font écho dans l'alpage. Ça n'a pas l'air de surprendre le bétail des environs. Ce ne sont pas chasseurs, le bruit étant beaucoup plus important que celui des armes qu'ils possèdent. En scrutant sur les cartes, il est indiqué un centre d'entrainement militaire de l'armée suisse en fond de vallée. C'est donc sous les bruits de bombe que nous descendrons de cette montagne. L'ambiance est étrange, on se croirait en pleine guerre en plein milieu des Alpes, dans l'un des pays les plus neutres de la planète en plus ! En sortant de la forêt nous apercevons les premiers groupes de militaires. Eux aussi bivouaqueront dans la vallée de Elm. Ils auront peut-être même plus à manger que nous !
Après Elm, nous entamons l'ascension du dernier col de la Via Alpina suisse : le Foopass. La Suisse nous offre une belle journée pour cette occasion. Le temps est agréable jusqu'en milieu d'après midi. En montant, les vaches de l'alpage sont très sociables, et vont jusqu'à nous lécher le bras lors de notre passage. Il faut dire que les vaches grises suisses sont les plus gentilles des Alpes. Elles n'ont pas peur de l'être humain et ne disent pas non pour se faire gratter le cou ou le museau.
Après ce dernier col, une longue descente d'abord sur les alpages puis sur la route nous conduit directement dans la Vallée du Rhin. Le ciel se couvre mais les précipitations restent encore discrètes. Nous n'atteindrons pas le Liechtenstein ce jour-là. La Vallée du Rhin est une vallée profonde et large qui nécessitera une étape supplémentaire pour son franchissement. Nous établirons donc notre bivouac légèrement en amont de cette vallée, au-dessus de la ville de Mels. Malgré le temps nuageux, nous pouvons apercevoir pas moins de trois pays depuis notre tente : la Suisse, le Liechtenstein et l'Autriche.
La dernière étape de la Via Alpina verte nous fera traverser villes, villages, collines, autoroute et frontière. Ce ne sera pas l'étape la plus sauvage de notre projet mais poser ses pieds dans la principauté du Liechtenstein revêt un caractère assez particulier : qui aurait imaginé poser les pieds dans ce petit pays ?
Pour le Liechtenstein, ce royaume constitue la dernière monarchie des Alpes. Ceci est d'ailleurs inscrit sur certaines de ses cartes postales. Cependant, ils ont omis que Monaco est également considéré comme un pays alpin, la Via Alpina rouge traversant l'arc d'un bout à l'autre démarre, ou se finit, dans cette petite monarchie constitutionnelle côtière.
D'ailleurs, les drapeaux sont en berne à notre arrivée. Un habitant nous indiquera que l'une des grands-mères est décédée il y a peu et qu'un deuil national avait été décrété.
Cette principauté, à l'instar de ses consoeurs du Sud comme Monaco ou Andorre, possède un territoire très restreint puisque s'étendant seulement sur 25km de long du Nord au Sud. De plus, les trois quarts de son territoire sont montagneux, les zones habitables se situant donc majoritairement entre le Rhin et les premières pentes. Ce petit Etat est extrêmement riche. Son PIB par habitant est d'ailleurs deux fois supérieur à celui de la Suisse. Autant vous dire que nous ne ferons aucun ravitaillement dans ce pays. Il n'a pas sa propre monnaie et utilise le Franc Suisse. Nous flânons tout de même quelques instants dans la petite capitale du royaume qui n'a rien de bien intéressant, sauf peut-être son église et son château.
Pourquoi sommes-nous passés par le Liechtenstein si les prix sont à pleurer et le paysage peu intéressant ? Cette principauté se trouve être le carrefour entre plusieurs itinéraires de Via Alpina. Située sur la fin (ou le début) de la Via Alpina verte, elle est également traversée par l'itinéraire rouge permettant soit de monter vers l'Autriche et l'Allemagne soit de descendre vers les Grisons. La Via Alpina jaune n'est pas non plus si éloignée de ce royaume. Bref, au-delà de l'aspect symbolique de passer par le Liechtenstein, il y a aussi un réel intérêt lorsque nous traversons les Alpes.
C'est d'ailleurs bien la première fois que nous voyons le nom des villes indiqué par un panneau de la Via Alpina verte ! J'exagère certes mais il faut savoir que la plupart des panneaux indicatifs de randonnée, en tout cas sur cet itinéraire, indiquent la direction non pas seulement du prochain col, non pas seulement du prochain sommet mais surtout le prochain restaurant ou hôtel que nous croiserons sur notre route. Cela en dit long sur les intérêts de la Suisse.
Cependant, une nouvelle fois, le temps va se dégrader. Une goutte froide présente sur l'Europe centrale va tournoyer plusieurs jours sur elle-même, amenant de la pluie sur le Nord de l'arc alpin. Avec cela en tête, nous modifions de nouveau notre tracé. Nous éliminons l'Allemagne de nos ambitions et privilégions une descente sur la frontière austro-helvétique en direction du Sud-Est. Nous ne voulons pas partir trop au Nord alors même que le temps est mauvais sur l'Autriche et surtout l'Allemagne. Notre instinct nous dit de partir vers le Sud. Ce sera également une opportunité pour nous de découvrir un bout du Canton des Grisons. Nous qui pensions en avoir fini avec les prix suisses....
Je vous entends déjà vous précipiter sur internet pour écouter un podcast d'Evelyne Dhéliat expliquer le phénomène de goutte froide qui vous a pourri tout votre été ! Ce phénomène est assez compliqué mais pour faire court, et d'après ce que j'ai compris, la goutte froide est une poche d'air froid se situant généralement vers 5000m d'altitude. Combinée à la chaleur présente au sol, cela crée un conflit de masse d'air favorisant l'instabilité avec des orages et des pluies parfois importantes. Elle se caractérise également par un blocage météorologique, c'est-à-dire qu'elle n'est pas perturbée, ou très peu, par les flux en place. Par exemple, en France, nous sommes influencés par un flux d'Ouest, la plupart des perturbations venant de l'Atlantique et rentrant sur le continent européen en traversant le pays. Une goutte froide, de par son altitude, ne serait pas influencée par le flux d'Ouest classique. C'est pour cela qu'elle peut tournoyer autour d'une zone précise en état stationnaire, créant ainsi de fortes intempéries comme ce fut le cas en Allemagne début juillet.
Après avoir bravé la pluie quelques heures sur les hauteurs de Vaduz, nous renonçons à continuer notre chemin, l'étape nous faisant passer par des cols à plus de 2000m d'altitude. N'étant pas contraints par la durée de notre voyage, seulement par la météo, nous décidons de redescendre dans la vallée et de nous diriger vers la ville autrichienne de Feldkirch pour s'y reposer quelques jours. Cette décision aura deux avantages : nous éviterons le gros des précipitations, la goutte froide restant en place environ quatre jours de suite sur l'Europe centrale, et je pourrai une nouvelle fois reposer ma jambe. C'est d'ailleurs à la suite de ces 2 jours de repos que je ne sentirai plus aucune sensation de douleur ou de gêne à l'avant de mon tibia.
C'est donc en stop que nous relierons la capitale liechtensteinoise à la bourgade autrichienne, transportés par un belge travaillant en Suisse et parlant français. Sur la route, une de nos premières réactions en passant la frontière entre la Suisse et l'Autriche a été notre étonnement en apercevant les prix à la pompe : deux fois moins cher qu'en Suisse. S'en est suivi le prix des kebabs, des glaces, des pintes de bière et de l'hôtel. Nous avons définitivement bien fait de sortir de Suisse.
La cinquième étape de notre Via Alpina s'achève donc en Autriche, à Feldkirch. Elle fut probablement l'étape la plus compliquée au niveau physique, mental et météorologique. Plus sauvage que la première partie de la Via Alpina suisse, la portion orientale est encore un secret pour nous, tant la majorité des paysages ont été cachés par la nébulosité. Heureusement, nous pourrons nous rattraper lors de l'étape 6 puisque nous n'en avons pas fini avec la confédération.
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