Menacé de disparition dans les années 1970, Trémargat, village des Côtes-d’Armor, déborde aujourd'hui de vitalité. Ses secrets : un grand dynamisme associatif et une forte participation aux projets municipaux. Pourtant, certains veulent aller plus loin.
Vendredi 3 mars, 20 heures. L’épicerie associative vient de fermer, et le bar est plein. Comme tous les vendredis ou presque. Il y a des anciens, des parents avec leurs enfants, des adolescents. Deux jeunes femmes esquissent quelques pas de danse tandis que le bruit des balles du baby-foot résonne dans l’arrière-salle. Sur un mur, le calendrier des événements de l’association Pause-Toit, créée en janvier pour venir en aide aux migrants, est plein. Le tableau des bénévoles aussi.
Quinze associations, un bar ouvert même le dimanche, une épicerie, un restaurant, un paysan-boulanger… Pour un petit village de seulement 200 habitants, Trémargat fait preuve d’une vitalité étonnante. En déclin tout au long du xxe siècle, il s’est totalement transformé depuis la fin des années 1970. L’arrivée de six couples néoruraux, il y a quarante ans, sur cette terre granitique réputée médiocre a donné l’impulsion décisive. Parmi eux, l’actuelle maire et son mari. "On n’avait pas beaucoup de moyens. On a été obligés de se donner des coups de main pour s’en sortir", se souvient Yvette Clément. Ce goût de l’entraide va gagner le village tout entier. En 1995, les ex-néoruraux remportent la mairie et en modifient radicalement la gouvernance.
« Chacun se sent responsable »
Première règle : impossibilité pour le maire de briguer un deuxième mandat. Le processus démocratique est entièrement refondu. "Ici, avant les élections municipales, on organise beaucoup de réunions publiques", explique Yvette Clément. "D’abord, on en fait une pour dresser le bilan du mandat écoulé. Puis, on expose nos projets pour le mandat à venir. Enfin, on liste ceux qui veulent entrer dans le conseil municipal." Bref, on vote pour un programme, non pour une personne. Afin d’impliquer la population dans les grands projets, quatre commissions thématiques sont créées. Mais il y a aussi beaucoup de participation spontanée, se réjouit la maire : "En septembre, plusieurs habitants ont décidé de construire un four au centre du village. Certains ont fourni du bois, d’autres la main-d’œuvre." L’élue est fière du parcours accompli. "La force de Trémargat, c’est le collectif. Chacun se sent responsable du développement de la commune."
Pour maintenir cet esprit collectif, le village compte sur les nouveaux arrivants. Et ils sont nombreux. Trémargat est l’une des rares communes de Bretagne à voir sa population augmenter depuis vingt-cinq ans. Face à cet afflux, les habitants ont opté pour un projet d’éco-habitat participatif destiné à sept familles en situation précaire. Un projet totalement novateur dans le département. Ces logements seront construits en respectant le patrimoine naturel local et en impliquant les futurs locataires dans le choix des espaces communs. Les membres de la commission habitat auront également leur mot à dire au moment de la conception du projet. Arrivés ici récemment, d'autres ont emménagé dans des caravanes ou des mobile-homes. Comme Anne-Marie et Baptiste Gilbert, un couple de trentenaires qui veut se lancer dans le maraîchage. "Notre but c’est de produire nos légumes au village", déclare Anne-Marie. "Je voudrais aussi tenir le rayon fruits et légumes de l’épicerie associative", complète Baptiste. "On ne peut pas imaginer rester ici sans s’impliquer dans des associations. On est venus là pour ça", assure Anne-Marie.
Encore plus de démocratie ?
Trémargat est-il un modèle de démocratie participative ? Pas pour tout le monde. "Je suis un peu frustré par la façon dont les choses se décident ici", confie Alain Depays, quinquagénaire très actif. "Il y a de la rétention d’information. Elle est souvent involontaire", regrette-t-il. L’ancien éducateur écologiste converti à la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon aimerait que les habitants soient régulièrement consultés par votation, comme en Suisse. Notamment pour tout ce qui touche « au paysage et au foncier, aux usages de la nature, aux biens communs ». Si l’on veut vraiment donner la parole à tout le monde, "il faut une méthode", insiste-t-il. "Moins tu prends de décisions, moins tu as envie d’en prendre. Il faut que tout le monde puisse se former à la prise de décision collective. C’est la prochaine étape", conclut Alain Depays. Pour Brigitte Plunian, agricultrice bientôt retraitée, il faudrait élargir la participation au plus grand nombre. "J’ai connu le Larzac, j’ai vécu dans des communautés où on réfléchissait tous ensemble, où tout le monde donnait son avis", raconte-t-elle. "La vraie démocratie, c’est quand les gens interviennent à la fois dans la réflexion et dans la décision."
Ces critiques ne douchent pas l’enthousiasme d’Aubéri Petite. "Ici, il y a toujours de nouveaux projets, ça n’arrête pas. C’est ça qui est bien !" témoigne cette grande brune de 30 ans qui a grandi au village. "On est tout le temps en train de se réunir, de se former et de débattre." La jeune femme assure avoir beaucoup mûri grâce à la démarche participative encouragée par la municipalité. "J’ai appris à discuter, à accepter de ne pas être d’accord." Aubéri ne votera pas lors de l’élection présidentielle. Mais elle a des tas de projets pour Trémargat.
« Vivre et faire ensemble »
Trémargat, modèle de démocratie locale ? Le village breton a préservé son modèle original de développement. La solidarité, l'entraide ne sont pas des mots creux : "Le collectif tient l'histoire".
Texte et vidéo : Samy Archimède. Photos : Ian Dalipagic. Infographie : Sophie Bernard, Éric Dally et Angélique Le Quéré. Secrétaires de rédaction : Sandrine Piquel, Sarah Laoubi, Samy Cohen, Claire Pavageau