« On voulait terminer ensemble, à un moment où ça va bien pour nous, à Nantes où tout a commencé... »
« Un au revoir, pas un adieu », assure Jean-Louis Jossic, cofondateur de Tri Yann, qui a en tête plusieurs projets en studio. C'est la scène que le groupe a décidé d’arrêter après une dernière tournée. En 2020, l’année même où il fête ses 50 ans de carrière, battant par la même occasion la longévité des Frères Jacques (38 ans) ! Le Kenavo Tour (kenavo signifie « au revoir » en breton) se conclut à Nantes, leur ville d’origine, avec quatre concerts à la Cité des congrès. Les places se sont arrachées : « On savait que nous étions aimés par les Nantais. Nous sentions de l’affection mais à ce point, c’est beaucoup d’émotion… »
27 décembre 1970. C’est ce jour-là à Plouharnel (Morbihan) que Chocun, Corbineau et Jossic jouent pour la première fois. « Au départ, on faisait du théâtre amateur, on grattouillait aux entractes des chansons d’Hugues Auffray, Joe Dassin, les Beatles, Graeme Allwright… On ne pensait ni en faire un groupe, ni une carrière ! », se souvient Jean-Louis Jossic. Un de leurs danseurs les surnomme « Tri Yann an Naoned » (Trois Jean de Nantes). Il faudra attendre 1973 pour que le groupe passe professionnel. Son ambition, « réconcilier deux jeunesses : celle qui dansait avec un chapeau breton et celle qui écoutait les Beatles et les Stones. »
Mousquetaires. Comme eux, les Tri Yann ont longtemps été quatre ! En octobre 1971, à peine un an après leurs débuts, Bernard Baudriller rejoint le trio originel. Le contrebassiste est un élément clé des premiers albums. Il restera jusqu’en 1985 dans le groupe, qu’il rejoint à l’occasion sur scène (il devrait logiquement être de l’ultime concert nantais). Au total, 16 artistes ont fait partie de l’aventure Tri Yann. Ils sont 8 à se produire sur scène pour le Kenavo Tour.
Longévité. Quelle est la formule magique de Tri Yann pour durer ? Elle tient en trois ingrédients. D’abord l’amitié : « On était potes avant d’être musiciens, résume Jean-Louis Jossic. Quand l’un de nous avait un coup dur, une faiblesse, les deux autres étaient là pour le remonter. » L’autonomie, ensuite : « On a évité les chausse-trappes du showbiz, en devenant rapidement nos propres producteurs, en ayant notre propre studio. » Enfin, l’égalité : « Entre celui qui fait de l’administratif, l’auteur, le compositeur, on considère qu’il n’y a pas de boulot plus important qu'un autre. Sur les disques, tous les morceaux sont signés Tri Yann an Naoned, donc, pas de bagarre de fric ou d’ego ! »
Discographie. En 1979, leur 4e album "La découverte ou l'ignorance" devient disque d'or – cela avait été le cas pour leur premier opus, "Tri Yann an Naoned". En un demi-siècle, les Tri Yann ont écoulé 3,7 millions d’albums. Leur discographie comprend 16 albums studio, une demi-douzaine de lives et une quinzaine de compilations. Le Kenavo Tour s’accompagne de la sortie d’un CD+DVD live, enregistré au festival des Nuits salines de Batz-sur-Mer à l’été 2019.
Nantes, port d’attache. « On a toujours insisté sur le fait d’être Nantais. Et comme Hitchcock dans ses films, Nantes apparaît dans tous nos disques : dans un titre, au détour d’une strophe… » relève Jean-Louis Jossic. Lui-même a été conseiller municipal puis adjoint au maire de Nantes de 1989 à 2014. Les Tri Yann ont consacré leur 9e album, « Belle et Rebelle » (1990), à la Cité des Ducs : on y trouve même un instrumental intitulé « Produced and Bottled in Nantes » !
Tri Yann = BZH. Avec Alan Stivell, Dan Ar Braz, Gilles Servat, les Tri Yann sont les artistes les plus reconnus du mouvement de renaissance celtique des années 1960-70. Le groupe emploie des instruments traditionnels de la région. Sans être brittophone, il s’emploie à placer des titres en breton sur ses disques, dissèque le sentiment d’appartenance à la Bretagne, évoque l'histoire ou l'actualité de la Bretagne. « Musicalement, le folk des débuts s’est nourri de sonorités médiévales et baroques. Textuellement (…) les problèmes du temps sont de plus en plus abordés : la marée noire de l’Amoco Cadiz ou la lutte antinucléaire de Plogoff », souligne Jean Théfaine dans le Dictionnaire de Nantes. « La musique, c’est de l’émotion, du rêve, mais aussi la possibilité d’engagements humanistes. La musique peut être une arme de ce militantisme, elle est plus forte qu’un tract ! », complète Jean-Louis Jossic.
Conception/rédaction : Pierre-Yves Lange