On a tous des proches expatriés qui, lorsqu’ils rentrent en France, n’ont qu’un seul mot à la bouche : manger du fromage. Dès lors que le plateau de fromages passe devant eux, avant le dessert, ils sont incapables de s’arrêter. Mais on les excuse, ils n’en mangent jamais les pauvres...
"Comment voulez-vous gouverner un pays où il existe 258 variétés de fromage ? » Charles de Gaulle
Le Général avait raison, les Français sont fous et le fromage figure parmi les grandes fiertés dans notre pays. Chaque département possède, au moins, un fromage local. Et ce ne sont pas les 3 000 fromageries présentes sur notre territoire qui nous feront dire le contraire. Le fromager, de son vrai nom crémier-fromager, est un véritable expert, il sélectionne, affine, transforme et conseille. Certains vont même jusqu’à tenter des associations surprenantes comme un Roquefort aux marrons, un brie aux truffes ou un camembert au Calvados. C’est ce que fait Claire Griffon fromagère et gérante de la fromagerie Griffon à Paris (7ème arrondissement). Elle aime le côté artistique de son métier « j’essaie de bousculer les codes, avec des goûts et des couleurs différentes que le client n’a pas l’habitude de manger. »
Ce n’est que le 2 décembre 2014 que la profession s’est vu attribuer le statut d’artisan par Carole Delga la secrétaire d’Etat chargée du commerce et de l’Artisanat à l’époque (décret entré en vigueur le 1er juin 2015). C’est dans la fromagerie de Claire Griffon que cette annonce a été faite. Les crémiers-fromagers pourront accéder au statut d’artisan « dès lors qu’ils effectuent un acte de transformation » (communiqué de presse de Carole Delga le 2 décembre 2014). Avant cette date les crémiers-fromagers n’étaient considérés que comme de banals commerçants. Aujourd’hui le statut d’artisan reconnaît publiquement que, comme tout métier de bouche, le fromager apporte une transformation au produit, qu'il a une réelle qualification et un savoir-faire unique. De plus il permet de le faire perdurer.
Un vieux métier qui a de l'avenir !
Comme la plupart des secteurs de l'artisanat, le métier de fromager a traversé les âges. Autrefois chacun avait sa vache et faisait son propre fromage, aujourd'hui ils ne sont pas beaucoup en France à savoir le fabriquer et l'affiner. Mais grâce au statut d'artisan que la profession a décroché, elle peut avoir une perspective d'avenir et faire perdurer son savoir grâce à la création d’un CAP de crémier-fromager. Les premiers élèves en CAP ont commencé leur formation en septembre 2019. La plupart du temps ce sont des personnes en reconversion professionnelle. Ce certificat assure à la profession une pérennité et une professionnalisation.
Artisan du savoir-faire français
Dans la profession, on se considère artisan depuis longtemps. Les crémiers-fromagers valorisent la gastronomie, font vivre le terroir et préservent la richesse et la diversité du patrimoine fromager français. Pour vendre ce patrimoine, l’artisan sélectionne les meilleurs produits dans toute la France. Il faut connaître les bons producteurs qui font les bons fromages. Cela passe par les rencontres faites en province ou dans les salons, mais aussi par les contacts et le réseau qu’a su se forger l’artisan novice au sein de la profession. « Entre fromagers on se repasse l’adresse, on se déplace chez les producteurs pour aller voir les produits » commente Philippe Gireaud un fromager-affineur à Bellevigne-en-Layon (Maine-et-Loire) avec qui nous avons passé une matinée.
« Être fromager c’est aussi être sur le terrain, aimer le contact ». Claire Griffon
Le fromager doit bien sûr aimer et connaître ses produits et leurs caractéristiques. Un Brie n’a pas le même temps d’affinage qu’un Mont d’Or, et « certains clients préfèrent un chèvre pâteux alors que d’autres non » explique Claire Griffon. « Il doit être capable de finaliser le produit, de le traiter, de le soigner. Il va faire mûrir les fromages, les faire sécher, crémer, patienter en caves, etc ». C’est la qualification d’affineur qu’ont certains fromagers.
La chaîne du formage est assez longue : elle commence par le producteur de lait qui va vendre son lait au fabriquant (producteur de fromage) qui l’enverra ensuite à l’affineur qui affine le fromage selon les besoins. Une fois cette étape passée, l’affineur vend le fromage au crémier-fromager qui va finaliser l’affinage (s'il le peut), faire s’il le souhaite une transformation du produit avant de le vendre. Entre ses deux derniers acteurs, le fromage peut passer par un grossiste.
Parfois certains combinent plusieurs postes comme Philippe Gireaud, producteur de fromage, affineur et fromager.
Connaître le produit permet au fromager de bien le vendre. Comme un caviste pourrait le faire, le crémier-fromager conseille les clients selon leurs goûts, selon la saison et selon les accompagnements. Le fromager doit aussi être capable de faire des changements ou des roulements dans sa boutique. S’il découvre un nouveau fromage chez un producteur, il l’achète et le met en boutique au détriment d’un autre. Il faut faire tourner les fromages en fonction de ses envies et des saisons. Le métier de fromager demande énormément de travail, comme tous les métiers de l’artisanat, les fromagers ne comptent pas leurs heures. « C’est un métier de labeur, on travaille dans le froid, on est souvent debout » assume Philippe Gireaud.
“Une expérience bien conçue et bien conduite procure un plaisir comparable à celui qu'éprouve l'artisan devant un travail bien fait.” Pierre Joliot
Redorer le balson de l'artisanat
Être crémier-fromager n'est certes pas de tout repos, mais c'est un métier de passion. Une passion présente dans tous les secteurs de l'artisanat. Le problème est qu'aujourd'hui, dans notre pays, on ne valorise pas assez les métiers manuels. Lorsque les élèves arrivent à l’étape de leur vie où ils doivent faire un choix, les CAP et les BAC professionnels sont peu mis en avant. On préfère les orienter vers la voie généraliste, la voie « royale ». Et puis s’ils peuvent aller en filière scientifique, c’est encore mieux. Pourtant on a plus de chance trouver un emploi quand on sort de l’apprentissage que de la « voie classique ». Dans les Pays de la Loire, il existe 65 000 entreprises artisanales qui emploient près de 13 000 apprentis. 70 % d’entre eux sont assurés de trouver un emploi dans les sept mois qui suivent la formation (chiffre de la Chambre des Métiers et de l’Artisanat). La majeure partie du temps c’est l’entreprise de formation qui recrute. L’apprentissage permet à l’artisan de transmettre son savoir et à l’apprenti d’acquérir de l’expérience en étant au cœur de l’action. Il faut donc aider les jeunes à mieux "affiner" leur choix d'orientation, sans négliger l’artisanat qui est un secteur d’avenir, puisque 700 000 emplois à pourvoir en France dans ce domaine ne trouvent pas preneurs.
"Sublimer le produit", voilà le but ultime du crémier-fromager. L'artisan met tout son amour et son savoir-faire dans son œuvre. Il participe à l'utile comme nous le dirait nos amis philosophes. D’ailleurs l'artisan est-il un artiste ? Non, l'artisan est plus que ça. Il détient un savoir et une technique qu'il a appris. L'artisan est donc un artiste et un spécialiste. Ici les historiens nous dirons qu'il n'y avait pas de différenciation entre "artisan" et "artiste" jusqu'en 1762. Et en effet les deux produisent une œuvre, mais le premier a appris la technicité, l'autre fait fonctionner son imagination. Puis comme le dirait Jean de la Fontaine, « A l’œuvre, on connaît l’artisan ».