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Les jeunes à la conquête des partis politiques Par esther michon et camille kauffmann

En France, seuls 3% des jeunes de 18 à 24 ans sont encartés dans un parti politique. Comment des vocations peuvent-elles naître alors que les partis politiques connaissent un discrédit ? Rencontre avec des jeunes parisiens, ambitieux et loin d’être de simples machines à tracter.

De quoi rêve un adolescent ? Faire la fête, rencontrer l’amour, devenir indépendant ? Certains jeunes, eux, rêvent de politique dès le plus jeune âge. Ils gravissent ensuite les échelons dans les partis politiques pour faire entendre leur voix alors que les organisations politiques cherchent à assurer leur avenir en attirant des jeunes.

Le jour de ses 15 ans, alors qu’il est en troisième, Augustin Belloc s’est empressé de demander sa carte au Parti socialiste (PS). Une décision murement réfléchie pour ce jeune parisien qui passait ses journées à éplucher le programme du PS. Ses parents l’emmènent à son premier meeting à huit ans, celui de Ségolène Royal à Charléty. Augustin vient d’une « famille historiquement de gauche ». Ses deux grands-pères étaient communistes, sa mère travaille dans le syndicalisme patronal. « Je voulais me battre pour mes idées. C’est naturel, j’ai un objectif de société clair» explique cet étudiant de l’Essec qui revendique un militantisme idéologique. Il est aujourd’hui animateur du Pôle Jeunesse du parti Gauche République et Social, fondé il y a deux mois. Après les cours, il tracte près du siège du parti, dans le XIIème arrondissement de Paris.

Selon un sondage CEVIPOF et Opinionway paru en 2018, 61% des Français pensent que la démocratie française ne « fonctionne pas très bien ». Les partis politiques sont en crise, après l’effondrement du PS, la montée des populismes et l’affaiblissement du clivage gauche-droite. Mais cela n’empêche pas les jeunes de s’y intéresser. « Les ‘enfants du désenchantement’ n’ont pas quitté le terrain politique » écrit la politologue Anne Muxel dans Politiquement jeune. Toutefois, leur engagement est davantage associatif. Un jeune sur cinq est engagé dans une association de type altruiste ou militante. Seuls 9% des jeunes sont encartés, et ils ne sont que 3% à militer activement au sein d’un parti politique, selon un sondage réalisé par l’institut BVA en novembre 2016. Mais alors, qui est cette minorité de jeunes engagés et quelle est leur place au sein des partis politiques ?

Non loin du XIIème arrondissement, une jeune étudiante s’insurge à la terrasse d’un café place de la Sorbonne. En cause, la fermeture d’une terrasse chauffée où elle avait pris l’habitude de travailler. La solution ? Écrire sans plus attendre une pétition à destination du patron pour l’empêcher. Elle a été élevée par une mère sarkozyste mais abstentionniste et un père syndicaliste à la CFDT. À seulement 20 ans, Sabrina Arnal a déjà présidé la section Les Républicains (LR) à la Sorbonne C’est dans cette université de gauche et symbole de mai 68, en licence d’histoire et sciences politique qu’elle s’engage pour la première fois. L’an passé, elle a effectué un stage à l’Assemblée Nationale aux côtés du député Julien Aubert, député LR de la cinquième circonscription du Vaucluse. La jeune femme a de l’expérience.

« Les ‘enfants du désenchantement’ n’ont pas quitté le terrain politique » écrit la politologue Anne Muxel dans "Politiquement jeune".
Sabrina Arnal, présidente de l'Union des Jeunes pour le Progrès sort de ses cours de sciences-politiques à la Sorbonne.

Si l’adhésion de ces deux jeunes s’explique en partie par une culture familiale, d’autres s’encartent dans un parti en réaction à une injustice. C’est ce sentiment qu’a ressenti Landry Ngang, lorsqu’en 2017 aucune de ses candidatures à l’université n’a été acceptée. Son militantisme naît lors d’un printemps social agité : « Je me suis engagé sur plusieurs batailles, principalement Parcoursup, la loi asile et immigration et aussi pour les cheminots. » Titulaire d’un bac S avec mention, Landry vient de Seine Saint-Denis et souhaite représenter les jeunes des quartiers populaires. Il y a deux ans, il voit par hasard sur Facebook un discours de Jean Luc Mélenchon. Le leader de La France Insoumise présente son programme sur le plateau de Laurent Ruquier. « Je regardais, j’étais en train de cocher des cases parce que je me retrouvais dans ce qu’il disait. C’était compréhensible, c’était lisse, et c’était politique » se souvient-il.

Les partis politiques font de la place aux jeunes

Landry est désormais le 28ème candidat sur la liste de la France Insoumise aux Européennes aux côtés de la tête de liste Manon Aubry, qui a seulement 29 ans. Jordan Bardella a 23 ans, il est tête de liste du Rassemblement National (RN). François-Xavier Bellamy, qui représente la liste Les Républicains illustre aussi la stratégie commune des partis pour rajeunir leurs candidats. « Nous assistons à quelque chose de nouveau. Les candidats n’ont jamais été aussi jeunes. Bellamy, a 38 ans, Ian Brossat en a 39. Lors du débat des têtes de listes, un Benoit Hamon de 51 ans paraissait terriblement vieux », constate Bruno Cautrès, chercheur CNRS au CeEVIPOF. Sur les listes pour les élections européennes, c’est une impression générale de rajeunissement qui transparait dans tous les partis politiques.

Tracter et coller des affiches sont les activités de base d'un jeune militant.
« Pouvoir recruter des jeunes signifie pour un parti qu’il est tourné vers l’avenir, qu’il est en phase avec son époque », précise Sylvain Crépon, sociologue et spécialiste de l’extrême-droite en France.

Ce changement d’image est-il une stratégie des partis pour pousser les moins de 25 ans à mettre leur bulletin dans les urnes le 26 mai ? Près de 30% des 18-24 ans n’a pas voté aux élections présidentielles de 2017. Quant à l’élection européenne de 2014, elle n’a mobilisé que 27% des moins de 35 ans. Un constat sans surprise, compte tenu du fait que la moitié des 18-24 ans déclare ne pas s’intéresser à la politique selon un sondage ENEF CEVIPOF 2017. « Pouvoir recruter des jeunes signifie pour un parti qu’il est tourné vers l’avenir, qu’il est en phase avec son époque », précise Sylvain Crépon, sociologue et spécialiste de l’extrême-droite en France.

Tenter de convaincre les Français d’aller voter, de soutenir leur partis, par des tracts ou des affiches et promouvoir des candidats souvent bien implantés dans le paysage politique : autant d’actions que beaucoup de jeunes militants font toujours mais qui ne les satisfont plus. Pour un bon nombre d’entre eux, la politique n’est pas un passe-temps, mais un plan de carrière. Ces activités militantes sont souvent effectuées par des membres des mouvements de jeunesse au sein des partis. Des « Jeunes avec Macron » aux « Jeunes Républicains », en passant par le « Mouvement des Jeunes socialistes », chaque parti s’est doté d’une section jeune, un passage obligé pour la formation politique. Ces mouvements de jeunesse ne suivent pas toujours la ligne du parti. Le MJS, traditionnellement plus à gauche que le PS, était qualifié d’ « école du vice » par l’ex-président François Mitterand qui désignait par là les magouilles politiques.

Chez Europe-Écologie-Les-Verts, la section jeune des « Jeunes Écolos » prône son indépendance vis à vis du parti. Un jeudi soir d’avril, les Jeunes Écolos organisent un apéritif-débat. Le local, éclairé au néon, est rempli d’affiches et de tracts aux couleurs du parti. Ce soir-là, ils ont invité David Belliard, candidat aux élections municipales de Paris en 2020. Il est venu chercher le soutien de ces jeunes car ils peuvent décider de ne pas porter sa candidature. À la question posée par le candidat, « Qu’attendez-vous de la rencontre de ce soir? » Alexandra, jeune militante affirme vouloir connaître la place prévue pour les jeunes dans sa campagne.

Des militants Jeunes Ecologistes rencontrent David Belliard, candidat aux municipales de Paris pour décider de le soutenir ou non.

Jeunes militants mais pas moutons

En effet, les jeunes ne veulent plus être des plantes vertes dans des structures qui ne les impliquent pas assez dans les décisions politiques. Certains ont créé des organisations ouvertes uniquement à leur classe d’âge. Le parti « Allons Enfants » créé en 2014 par Pierre Cazeneuve (voir encadré) en est l’exemple. Uniquement composé de jeunes de 18 à 30 ans, ce parti a vocation à représenter la jeunesse dans les institutions politiques. «On a au pouvoir des gens qui ont de l’expérience, est ce que cela fait d’eux des gens compétents ? » argue Sophie Caillaud, 23 ans et présidente du parti. Certains membres du parti vivent là leur premier engagement en tant que militants. D’autres, déçus de leur rôle dans les sections jeunes, ont rejoint ce parti.

Sophie Caillaud, présidente du parti "Allons Enfants" défend la place des jeunes en politique.

La structure de ces organisations créé une compétition en interne. Les mouvements de jeunesses reproduisent souvent le pire de ce qui existe en politique. Sabrina, ancienne LR se souvient d’un « ramassis d’opportunistes ». Ces cercles politiques junior sont des « fabriques à apparatchiks » et des « partis dans le parti », ajoute Augustin qui a vu de près les MJS, sans toutefois y avoir adhéré. « Je ne me suis jamais auto-censuré. Ce n’est pas parce que je suis jeune que je ne peux pas me mêler des affaires des grands » insiste-t-il, fier de ne pas « rentrer dans le moule des organisations de jeunesse ».

Pour Anne Muxel, les organisations traditionnelles sont contournées par les jeunes. « Toute forme d’emprise d’une hiérarchie est condamnée au profit d’un fonctionnement en réseaux, privilégiant les initiatives individuelles et des fédérations d’alter ego », écrit - elle. Ainsi, des jeunes s’engagent vers des petits partis offrant une plus grande marge d’action. Sabrina Arnal a quitté Les Républicains et préside l’Union des Jeunes pour le Progrès, un mouvement fondé en 1965 par Charles De Gaulle. Ce parti, moins connu aujourd’hui, lui promet davantage de liberté dans l’organisation de conférences. Au temps où elle était présidente de LR-Sorbonne, elle s’était fait pousser vers la sortie après avoir invité la présidente de la "Manif pour tous", Ludovine de La Rochère. Augustin Belloc lui, a rejoint la Gauche Républicaine et Sociale, une scission du PS opérée par Emmanuel Maurel et Marie-Noëlle Lienemann, dès sa création, il y a deux mois. Il est animateur du pôle jeunesse au niveau national. Cela lui permet d’être au « cœur du réacteur ».

Rejoindre les partis populistes

Une autre alternative séduit chez ces millenials: rejoindre les partis populistes. Ils ont le vent en poupe depuis les élections présidentielles de 2017. En effet, la France Insoumise a récolté 28% des voix des 18-24 ans lors du premier tour des présidentielles de 2017 et le Rassemblement National 23 %. Si le RN séduit autant la jeune génération, cela serait, selon Sylvain Crepon, grâce à la capacité du parti à accueillir toutes les catégories sociales et surtout les plus précaires. « Parmi cette génération qui arrive sur le marché du travail, en pleine crise de l’emploi, certains ont peu de diplôme, ne maîtrisent pas les langues étrangère, ou le langage intellectuel. Ils peuvent avoir un sentiment d’exclusion en termes d’accès à l’emploi et à la mondialisation. Le FN leur offre un sentiment d’appartenance» remarque le sociologue spécialiste du parti.

Marc-Antoine Ponelle est le chef d’orchestre de la trentaine de jeunes militants RN à Paris. Étudiant en droit à Assas, il vante d’une voix calme et assurée la place accordée aux jeunes au sein du RN : « J’ai quitté l’UMP il y a trois ans. En tant que jeune, on pouvait seulement participer à des dîners et les vieux nous méprisaient. » À ses débuts en tant que militant RN, il est séduit par la diversité des profils des adhérents. « Il y avait de tout, des bourgeois parisiens, des boulangers, des bac pro, des homos, des hétéros, je ne m’y attendais pas. » A 23 ans, il est coordinateur de Génération Nation , le parti jeune du RN, en Île-de-France. « Tu ne vas pas attirer des jeunes en leur disant qu’ils vont coller des affiches. Les gens aiment réfléchir, apprendre des choses», ajoute Marc-Antoine. L’étudiant en droit part du constat que les jeunes ne lisent pas. En supplément des conférences qu’il organise chaque mercredi pour les jeunes, il a développé des fiches de lecture, une « base idéologique » destinée aux militants de Génération Nation.

Landry Ngang, 19 ans et candidat La France Insoumise aux élections européennes a déjà pris ses marques au siège du mouvement.

Mettre les jeunes en avant c’est également le choix qu’a fait La France Insoumise (LFI). Candidat sur la liste aux européennes après seulement un an de militantisme, Landry se réjouit d’être considéré comme n’importe quel candidat. « Le mouvement a vraiment confiance en moi. Je parle avec les médias que je veux, j’organise les réunions comme je veux, je suis très libre » se réjouit le jeune Insoumis. Au siège du mouvement, au 43 rue de Dunkerque à Paris, comme un poisson dans l’eau, il papote avec les militantes qui empaquettent les affiches de la campagne, trouve même le local un « peu petit » et vient s’approvisionner en tracts. Landry parle posément, le récit de son parcours militant est bien ficelé. Il a bénéficié d’un « media training » de la part de LFI, pour l’aider à maîtriser sa respiration et cadrer ses réponses à la presse afin de ne pas s’éparpiller. « On m’a dit : quand tu réponds à une question, prends seulement un axe de réponse et tiens-y-toi pour ne pas perdre les gens » explique t-il.

Une fois les élections passées, les jeunes n’abandonneront pas la politique. Ils s’y destinent. Tout en affirmant qu’il ne s’agit pas d’une profession, ils expriment pudiquement leur envie de faire carrière. Ces dernières années, les élus ont été vivement critiqués pour s’être accroché à leurs mandats trop longtemps. Emmanuel Macron avait promis lors de sa campagne présidentielle en 2017 de réformer les institutions en limitant à trois le nombre de mandats consécutifs pour les députés, les sénateurs et les maires de communes de plus de 9000 habitants. Beaucoup de militants évoquent les risques de considérer la politique comme une profession alors qu’elle est soumise aux aléas électoraux, ce qui risque d’altérer leurs idées. Le paradoxe de cette nouvelle génération est qu’elle est à la fois consciente de l’instabilité du monde politique mais déterminée à y faire sa place coûte que coûte. Pour Augustin, le choix est fait : « je ne veux pas faire de carrière politique pour ma gloire personnelle, mais si me battre pour mes idées implique de gravir les échelons, alors je les gravirai ».

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