Comment résister à la poésie de l’arbre dans le mur effondré, Comment résister à la couleur glauque de la lumière tamisée de poussière, comment résister au silence, comment résister à l’étrange immobilité d’un tel espace ? Il aura fallu plus d’un siècle pour que la porte s’ouvre à nouveau sur le temps suspendu de la fabrique de pianos, les rails restent le seul témoignage de l’ activité qui régnait dans cet immeuble.
A côté des grandes toiles, la palette se recompose à l’infini, du cadmium rouge sous un bleu outremer. un tortillon de blanc de zinc et un mélange de gris sur lequel gisent de gros tubes éventrés .Des pinceaux abandonnés et des vieux pots se sont fossilisés dans l’épaisseur des strates de peinture et de tâtonnement. la térébenthine s’est gélifiée brunâtre en dégageant son parfum de résine.
Pendant que je travaille, une branche d’arbre crisse sur la verrière, un courant d’air bouscule les feuilles de papier, éparpille les vieilles lettres qui attendent de vivre sur la toile, je les regarde s’envoler, du fusain est écrasé sur un sol constellé de tâches colorées. j’observe un papillon, il hésite à se poser sur le bord d un verre d’eau, en levant la tête on voit le ventre rond et doux des oiseaux, un bourdon se cogne sur la vitre, mais d’où vient la petite abeille ? Il suffisait de reconnaître la vie sous les gravats pour qu'elle retrouve toute sa place. Dans l’indifférence du petit immeuble qui les longe, les rails qui menaient à l’oubli ,conduisent aujourd’hui à un atelier ensoleillé de questions, de peinture et de musique.