NosDéputés.fr, les yeux citoyens
Proposer aux citoyens un accès simplifié au fonctionnement des institutions parlementaires à partir des données publiques. C’est précisément ce que permet NosDéputés.fr, une initiative pionnière en la matière.
Le collectif Regards citoyens, fondé en juillet 2009 par quatre informaticiens et développeurs adeptes du logiciel libre, a créé NosDéputés.fr deux mois plus tard. Le site recense et scrute l’activité des parlementaires. Pour chaque député, il propose une fiche synthétique, une infographie, un nuage de mots-clés permettant de lister les domaines dans lesquels se sont exprimés les élus… Aujourd’hui, NosDéputés.fr compte une cinquantaine de membres contributeurs et sept administrateurs bénévoles. Il rencontre un franc succès avec environ un million de visiteurs uniques par an. Le collectif a lancé d’autres plates-formes sur le même modèle : NosSénateurs.fr, NosDonnées.fr, NosFinancesLocales.fr. Rencontre avec Tangui Morlier, l’un des cofondateurs de Regards citoyens.
Comment l’idée de ce site vous est-elle venue ?
On partait tous du même constat : pourquoi un lobbying citoyen ne serait-il accessible qu’à des citoyens bien équipés en connaissance et en matériel informatiques ? L’outil NosDéputés.fr a été imaginé pour mettre en valeur l’activité des parlementaires. La première cible : les citoyens qui n’ont que peu de temps à consacrer à leurs élus. La seconde : les citoyens plus experts, adeptes de la veille, intéressés par des sujets précis au sein de l’Assemblée nationale, qui souhaitent interpeller leurs élus. Grâce au site, ils peuvent les identifier et lire les débats parlementaires, qu’il s’agisse d’amendements, de rapports, etc.
Pourquoi s’intéresser à l’Assemblée nationale ?
En observant les débats dans l’hémicycle, on a constaté que les questions au gouvernement étaient anecdotiques comparé au travail effectif réalisé par les élus. Pour le citoyen lambda, l’Assemblée c’est les séances du mercredi et les rencontres dans les marchés relayées par la presse régionale. Sur les 577 députés, le citoyen en connaît une dizaine, et rarement le sien. On a voulu apporter une autre source d’information plus proche de ce qu’est réellement le travail parlementaire comme les interventions en commissions ou les rédactions d’amendements.
Depuis l’affaire Cahuzac et la loi sur la transparence de la vie publique qui en a découlé en 2013, constatez-vous une amélioration dans les mœurs parlementaires ?
Oui, car, depuis l’affaire, les députés sont obligés de montrer patte blanche [obligation de remplir des déclarations d’intérêts et de patrimoine, NDLR]. Mais, pour les comptes bancaires [sur lesquels est versée l’indemnité représentative de frais de mandat, NDLR], le problème se pose encore, il n’y a aucune obligation.
Comment faire pour rendre plus transparentes les dépenses liées à cette enveloppe ?
Chaque député ayant un compte séparé, il leur suffirait d’utiliser notre logiciel de publication. En effet, le compte bancaire de l’association Regards citoyens est disponible sur le site et mis à jour quotidiennement par un robot ; idem pour les déclarations d’intérêts des sept administrateurs. Afin d’être irréprochables, nous nous appliquons la transparence démocratique que nous défendons par ailleurs. Selon nous, c’est ainsi que doivent fonctionner les institutions.
Les classements établis par les médias à partir de votre site, sur la présence des députés dans l’hémicycle ou leur assiduité au travail, ont fait polémique. Qu’en pensez-vous ?
Nous avons toujours refusé de faire des classements. Cela nécessite un travail éditorial, ce n’est pas notre rôle. Qui est un bon ou un mauvais élu ? Je n’ai pas la réponse. On ne fait que proposer des données brutes, les plus exhaustives possibles, mais certaines font défaut car l’Assemblée nationale ne donne pas accès à toutes ses données. Par exemple, les informations sur les votes ne sont que partiellement publiques : qui est réellement présent dans l’hémicycle lors des votes ? Qui se fait représenter par un collègue ?
Les questions écrites n’ont-elles pas également provoqué la controverse ? Étant comptabilisées comme une activité parlementaire, plus les élus posent de questions, mieux ils sont classés.
NosDéputés.fr est souvent accusé de susciter la course à la question écrite entre parlementaires. En réalité, cette accentuation vient de la numérisation des travaux des parlementaires. Les députés posent beaucoup de questions écrites par courriel. Nous n’avons fait que rendre visible ce phénomène. De plus, en 2014, une limitation des questions écrites à 52 questions par an et par député a été votée pour remédier à l’inflation.
Comment réagissent les élus à NosDéputés.fr ?
Ils consultent le site, mais leurs préoccupations ne sont pas les mêmes que celles des citoyens. Ils sont surtout intéressés par les critères et indicateurs de présence, tout comme les journalistes, d’ailleurs. Les députés aiment bien aussi se comparer. Nous avons des relations régulières avec eux. Ils essaient de comprendre comment on fonctionne. Actuellement, ceux qui se représentent aux législatives de juin 2017 nous contactent pour avoir leur bilan de mandature sur cinq ans et connaître l’étendue du travail qu’ils ont réalisé.
Pour aller plus loin : Dans l'émission "Complément d'enquête" diffusé le 9 mars 2017 sur France 2 sur le thème : "Fillon, FN : candidats sous surveillance", écoutez les fondateurs du site NosDéputés.fr (à partir de 45 '48 '')
Comment les députés sont-ils indemnisés ?
Aux sièges, citoyens !
Le 4 mars 2017, La Relève citoyenne a tenu sa première réunion, à Montreuil, rue de la Révolution… non loin du métro Robespierre. Tout un symbole. Le collectif, indépendant de tout parti, entend former des citoyens à se porter candidats aux élections.
La voix est chaleureuse et enthousiaste. Ce samedi 4 mars, dans la salle éclairée par une vaste verrière, Anne Lefèvre inaugure la journée de lancement du collectif La Relève citoyenne. « Notre démocratie étouffe, dit-elle. La professionnalisation de la politique fait le terreau des baronnies et du clientélisme. » Le mouvement a été créé en février 2017, à l’initiative d’une dizaine de citoyens (ingénieur, journaliste, sociologue, informaticien…) originaires de tout l’Hexagone. Son but : présenter des candidats issus de la société civile pour les législatives de juin 2017 et constituer un noyau de futurs élus pour les municipales de 2020. «Nous sommes des gens informés et nous avons encore la capacité d’agir, ajoute Anne Lefèvre. C’est à nous de nous bouger ! » Le public, composé d’une vingtaine de personnes de tous âges, est attentif. Charlotte Marchandise, candidate victorieuse de la primaire citoyenne sur LaPrimaire.org* en décembre 2016, est venue apporter son soutien. « Dès lors qu’il y a des lieux où les politiques lâchent le pouvoir, les citoyens s’impliquent. Y’en a marre d’être toujours dans le négatif ; il faut agir et y aller », dit-elle.
Tweet du collectif La Relève citoyenne
D’un mouvement à l’autre
L’équipe de La Relève est rodée. Les deux tiers de ses fondateurs viennent du parti politique Nouvelle Donne, qu’ils ont quitté fin 2015. Ainsi Anne Joubert, énarque, en deuxième position sur la liste du parti de Pierre Larrouturou aux élections européennes de 2014. Selon elle, « le collectif n’y avait plus sa place ». La Relève, comme #MaVoix ou LaPrimaire.org en 2015 et 2016, a émergé du ras-le-bol citoyen face à l’opacité du système politique… mais le projet qu’elle défend est plus complet. « Le collectif a bâti un programme politique, souligne Anne Lefèvre. Notre engagement est de mener trois transitions : démocratique, économique et écologique. » Isabelle Brokman, journaliste et militante de La Relève, ajoute : « C’est aussi un outil pour aider les futurs candidats : on offre des ressources, des conseils, des formations. »
« Notre engagement est de mener trois transitions : démocratique, économique et écologique. »
Dans l’après-midi, place est donnée aux ateliers pratiques. David Vannier, un « geek » âgé de 29 ans, chapeaute le groupe « Devenir candidat ». Il raconte ses premiers pas de futur candidat aux législatives, et notamment son passage à la préfecture du Val-de-Marne pour déclarer son mandataire financier – démarche indispensable pour ouvrir un compte de campagne. « J’ai été reçu par le chef du bureau des élections, dit-il. En entendant le nom de “Relève citoyenne”, il a pris un ton un peu condescendant. Mais il a bien fait son job, ajoute-t-il, souriant, en m’expliquant le système des parrainages, le plafond des dépenses de 38 000 €... J’étais rassuré d’avoir passé cette première étape. » Le chemin est encore long, mais l’espoir et l’envie sont bien là.
*LaPrimaire.org est la première primaire en ligne ouverte à tous les citoyens pour leur permettre de choisir leur(s) candidat-e(s). Elle a départagé 16 puis 5 candidats issus de la société civile. Charlotte Marchandise a remporté 32 000 votes sur 130 000.
Rédactrice : Rébecca Denantes. Illustratrices et infographes : Charlotte Howland et Agata Frydrych. Secrétaires de rédaction : Noluenn Bizien, Hélène Février.