Loading

Insupportable Chants et banderoles jugés homophobes, interruption du match Nice-OM... Comment les Ultras et les instances en sont arrivés à cette situation intenable.

Textes Mathieu Faure, Franck Leclerc & Thierry Prudhon

La rencontre Nice-Marseille a été interrompue pour deux banderoles et des chants à caractère homophobe, mercredi à l'Allianz Riviera, en match de la 4e journée de Ligue 1, mercredi, dans un contexte de lutte contre ces comportements en tribunes. Selon L'Equipe, le procureur de la République de Nice a décidé d'ouvrir une enquête judiciaire.

À la 27e minute et après plusieurs chants historiques des duels niço-marseillais (“Marseille j’enc... ta mère”, et “les Marseillais sont des PD”, sans oublier le “La Ligue on t’enc...”), l’arbitre de la rencontre Clément Turpin a décidé de renvoyer tout le monde au vestiaire.

Une interruption d’une dizaine de minutes où le délégué principal Marc Bastet, qui a tout consigné, s’est entretenu avec Patrick Vieira pour lui expliquer la situation. De son côté, Wylan Cyprien montrait une grande lucidité au micro de Canal +: "On ne va pas arrêter le match à chaque fois qu’il y a des débiles qui agissent, sinon c’est n’importe quoi. Depuis la nuit des temps il y a des insultes entre supporters. Mais je suis contre toutes les formes de discrimination. Ce sont des insultes qui n’ont rien à voir avec la communauté gay."

À ces chants, les Ultras de la Populaire Sud y avaient ajouté deux banderoles aux jeux de mots qui ont fait sourire les uns, et grimacer les autres. La première faisait référence au nouveau patron du Gym, Ineos, qui a racheté l’équipe de vélo Sky de Egan Bernal vainqueur du tour de France. L’occasion d’adresser ce clin d’œil: "Bienvenue au groupe INEOS à Nice aussi on aime la pédale." Le dernier terme coloré aux couleurs LGBT...Puis d’enchaîner quelques minutes plus tard avec : "LFP/instance, des parcages pleins pour des stades plus gay". Un message qui fait également écho aux nombreuses interdictions de déplacement des supporters dans le pays depuis de nombreuses années.

Le match a été interrompu pendant une dizaine de minutes après l'apparition de plusieurs banderoles dans la tribune Sud. (Photos JFO & DM)

La goutte d’eau pour l’arbitre qui stoppait le match une dizaine de minutes. Le temps pour Marlène Schiappa, secrétaire d’État à l’égalité femmes-hommes et lutte contre les discriminations de déclarer sur les réseaux sociaux :

"Bravo à l’arbitre Clément Turpin dont on connaît l’engagement pour le respect dans le football d’avoir interrompu le match alors que, malgré plusieurs demandes de retrait une banderole homophobe salit les tribunes. Le football est une question de passion pas de haine".

Renaud, supporter : "La polémique est grotesque. Le seul ennemi, c’est la ligue"

Renaud, 48ans, est juriste.Il estime que son activité professionnelle ne lui permet pas de s’afficher dans ces colonnes en qualité de supporter, ses propos risquant de lui porter préjudice. "Je me retrouve dans la position d’un LGBT il y a vingt ou trente ans: je suis obligé de me cacher." Au cœur la génération des fondateurs de la BSN en 1985, il a déjà été épinglé lors de sa dissolution, ce qui ne l’empêche pas de participer à l’écriture des banderoles de la Populaire Sud. Il en minimise la portée : "On est en train de nous jeter à la gueule plus de trente ans d’un fonctionnement de société." L’homophobie ne fait pas partie de son schéma de pensée. "Dans un vestiaire, on se fout de savoir qui est gay et qui ne l’est pas", assure cet ancien footballeur amateur. Des homos au sein des Ultras? "Objectivement, je ne sais pas. Aucun qui se soit déclaré à ma connaissance. À la limite, j’aimerais bien, ça montrerait bien que cela ne pose aucun problème particulier."

Photos JFO & DM

Arnaud, qui était au bord du terrain mercredi soir, juge les réactions "disproportionnées" et s’attend à ce que la tribune Sud soit pénalisée. Ce qui, selon lui, aurait pour effet de cristalliser la colère de supporters pouvant se sentir jugulés par des règles "liberticides". Avec, in fine, une tendance à "dresser une communauté contre une autre". La faute à qui ? "Il est évident que le seul ennemi, c’est la ligue. Qui nous interdit les fumigènes et même l’alcool, à nous, pauvres cons de la Populaire, alors que dans les loges, on peut se bourrer la gueule tranquillement."

"On ne fait pas de poésie"

Sur les slogans, chants et banderoles, Renaud évoque une volonté de provoquer les instances. Tant pis si, en face, un club en prend pour son grade. "On ne cherche pas à faire de la poésie", rappelle ce passionné qui parle plutôt de "disqualifier l’adversaire". Il se souvient d’un accueil à Saint-Etienne, au début des années 2000. "Les Stéphanois chantaient: ‘‘Les Niçois sont des pédés’’. On a nous-même repris ces paroles !"

L’allusion à "la pédale", en référence au repreneur britannique du club niçois, par ailleurs propriétaire d’une équipe cycliste victorieuse au dernier Tout de France, le fait rire. "L’idée, je la trouve géniale. Drôle, pleine d’imagination. La polémique est grotesque. Rien que des postures de dirigeants carriéristes. Personne, à la ligue, ne lève la main pour proposer, au lieu de tout ce bruit, un vrai travail d’éducation."

Quant aux stades « plus gay » (sic), il parle de second degré. "On aurait pu dire : des stades moins tristes. C’est juste un petit coup de dérision." On objecte que le terme n’est pas anodin et que la référence peut heurter les intéressés. "Pas s’ils ont de l’humour, ce que je crois."

Les Ultras seraient donc victimes d’une "chasse aux sorcières". Dans une société où "le politiquement correct et la bien-pensance" seraient dominants, Renaud rejette tout soupçon d’homophobie comme il élude d’éventuelles accusations de racisme. Il suggère que l’on se batte plutôt contre "les droits des femmes bafoués par l’islam radical dans une piscine à Grenoble", ou que l’on s’insurge contre "une atteinte à la liberté d’aller et venir" lorsque des sanctions empêchent les déplacements. "Chez nous, les gays on ne sait pas, mais les Arabes et les Noirs, il y en a. Notre tribune n’a jamais fait de discrimination et s’est toujours montrée apolitique. Or, j’ai peur que, demain, on nous mette à huis clos."

Nicolas Hourcade: "​Nous sommes dans un dangereux cercle vicieux"

Le Sociologue Nicolas Hourcade, spécialiste du sujet des supporters et membre de l'Instance nationale du supportérisme, est revenu sur l'arrêt du match Nice-OM suite à des banderoles déployés par certains supporters niçois. Pour le sociologue, le contexte actuel du mouvement ultra français est à prendre en compte dans cette lutte contre l'homophobie.

Est-il possible d’appréhender le cas des banderoles injurieuses aperçues lors de Nice-OM sans prendre en compte le contexte tendu entre la LFP, les autorités publiques et les ultras ? Il y a plusieurs sujets qui se télescopent. D’un côté, la volonté louable de la Ministre des sports de lutter contre l’homophobie, et de l’autre un contexte extrêmement tendu entre les autorités, incarnées par la LFP, et les ultras du fait des interdictions et restrictions de déplacements et des conflits sur l’usage des fumigènes. En ce début de saison, de nombreuses interdictions de déplacement ont été prononcées, sans oublier le débat sur l’alcool dans les stades, et là, on en arrive à des arrêts de matches sans qu’il y ait eu au préalable de dialogue avec les clubs et les supporters. Les ultras ont répondu à cette volonté de sanctionner par ce qu’ils savent faire : de la provocation. Nous sommes dans un dangereux cercle vicieux.

Quels sont les enjeux immédiats ? Sortir de l’hystérie et de cette escalade de tensions. Il faut se poser et consulter toutes les parties. Pour le moment, les clubs, les éducateurs, les arbitres, les supporters, les joueurs, personne n’a été véritablement intégré à la réflexion. Lutter contre les discriminations et donc l’homophobie, c’est nécessaire. Mais on veut lutter exactement contre quels phénomènes ? Et comment ?

"Les ultras ont une tendance naturelle à se sentir persécutés, et parfois ils ont de bonnes raisons de le penser"

Les supporters ultras ont-ils raison de se sentir persécutés ?Les ultras ont une tendance naturelle à se sentir persécutés, et parfois ils ont de bonnes raisons de le penser. Là, ils ont peur de perdre leur liberté d’expression. Mais ils ont aussi une forme d’introspection à faire. Ont-ils tous conscience de la violence de certaines insultes ? Il ne faut pas mettre dans le même sac toutes les insultes, elles ne sont pas toutes aussi graves, mais une réflexion sur certains slogans pourrait être effectuée. La société a évolué : des insultes qui pouvaient paraître folkloriques il y a trente ans sont aujourd’hui perçues comme blessantes par certains. Les ultras ont une vision du football qui n’est pas celle du fair-play, ils vont tout faire pour permettre à leur équipe de gagner quitte à déstabiliser l’adversaire, y compris par le chambrage. Ils ne veulent pas d’un stade aseptisé : sans alcool, sans tribune debout, sans fumigène, sans chant, sans chambrage. Il faut entendre leur crainte d’une aseptisation des stades, mais il est important aussi de délimiter un cadre car tout ne peut pas être permis. Je pense possible de travailler avec les supporters sur les insultes, à condition de leur donner le sentiment de les respecter et d’entendre certaines de leurs revendications sur d’autres sujets.

"Il me semble que c’est à l’Etat, censé œuvrer pour le bien commun, de créer les conditions de sortie de ce conflit."

La France est-elle répressive avec ses supporters ? Les mesures prises en France pour interdire ou restreindre les déplacements des supporters ont peu d’équivalents en Europe occidentale. L’Allemagne ou l’Angleterre ne prennent pas de telles mesures attentatoires aux libertés. Oui, les banderoles niçoises sont outrancières mais certains arrêtés limitant les libertés des ultras sont tout aussi outranciers. Il me semble que c’est à l’Etat, censé œuvrer pour le bien commun, de créer les conditions de sortie de ce conflit.

Néanmoins, il existe un vrai souci d'homophobie dans le football? Certains agissements sont intolérables et certaines insultes aussi. Aujourd’hui, un homme devrait pouvoir être ultra et homosexuel de manière libérée, comme les femmes devraient avoir une place dans les tribunes populaires, ce qui est inégalement le cas.

Les ultras se drapent souvent dans le folklore et le second degré pour justifier leurs agissements. L’argument du folklore a conduit à une tolérance parfois excessive. Il y a trente ans, dans les stades français, on disait que faire des cris de singe ou jeter des bananes en direction des joueurs de couleur faisait partie du folklore. Il a fallu une prise de conscience des autorités comme des supporters pour que ces manifestations s’arrêtent à l’exception malheureusement de quelques individus ou groupuscules d’extrême droite.

"La méconnaissance de Roxana Maracineanu et Marlène Shciappa est profonde"

Le message est louable, mais celles qui le porte - Roxana Maracineanu et Marlène Schiappa - ont-elles connaissances du contexte des stades de football ? Non, la méconnaissance est profonde. Elles interviennent sans un dialogue préalable avec les supporters, qui serait pourtant nécessaire, et dans un contexte déjà très tendu où les supporters ont des raisons de se sentir stigmatisés. Il ne faut pas amalgamer toutes les insultes. L’exemple du virage sud de Bordeaux est révélateur : ils ont déjà brandi des banderoles pour lutter contre l’homophobie, participé à des rencontres avec des associations LGBT, banni le mot "PD" de leur répertoire mais ils ont scandé «La Ligue on t’encule» lors du début de saison car c’est un chant de contestation.

Quel avenir voyez-vous ? Je ne sais pas… L’INS (Instance nationale du supportérisme) a été mise en place en 2017 : elle rassemble tous les acteurs et a permis de premières avancées sur les tribunes debout, les places en secteur visiteur à dix euros. Surtout, elle vient d’ouvrir le débat sur les fumigènes, les déplacements, les discriminations. Je crains que des mois de travail soient foutus en l’air de manière abrupte par cette séquence. Au-delà du monde du sport, ça peut participer à la distance entre les élites et une partie de la population qui a l’impression que ses manières de faire ou de parler sont injustement stigmatisées. Que la ministre des sports veuille mettre en place une politique globale de lutte contre l’homophobie dans le sport, c’est utile, mais prenons le temps, tous ensemble, de définir les contours et les manières de le faire, tout en respectant les supporters.

Jean-Luc Romero: "Il faut arrêter définitivement le match"

Premier homme politique à avoir révélé sa séropositivité, en 2002, Jean-Luc Romero est très engagé dans la lutte contre le sida.

Votre sentiment sur ce qu’il s’est passé à Nice et dans d’autres stades ces temps-ci ?Ces derniers mois et même ces dernières années, on assiste à une augmentation de l’homophobie. Ça ne veut pas dire que la population est plus homophobe, mais il y a des gens qui se radicalisent. Et dans ce milieu du foot où l’on sait que l’homosexualité est taboue, les insultes homophobes sont devenues légion. Il commence à y avoir des réactions mais il était temps ! On n’a pas beaucoup entendu les instances du foot sur ces questions. On va tout de même avoir une Coupe du monde au Qatar, un pays qui met en prison les homosexuels, ne respecte pas les droits des femmes et expulse les personnes séropositives.

Vous parlez de recrudescence, mais cela fait des décennies que l’on entend « Ho ! hisse ! enc…» derrière les gardiens et ce n’est pas pour autant que tous les supporters sont homophobes. Ne surjoue-t-on pas l’indignation, en taxant d’homophobie ce qui n’est que de la crétinerie ordinaire ? Non. Cela peut paraître excessif pour certains, mais on voit bien qu’il y a une petite frange des supporters qui est réellement homophobe. Ce ne sont pas juste des plaisanteries. A un moment, il faut montrer la ligne rouge. Voit-on de grands joueurs de foot dire leur homosexualité ? C’est rarissime, parce que c’est impossible dans ce milieu-là. Il y a quelque chose de particulier au sport et plus encore au football. On ne voit pas la même chose dans le rugby. Il ne faut pas s’offusquer de tout. Mais là, on est arrivé à un point de non-retour.

Que faire alors ? Sanctionner les clubs ? Les individus ? Quand il y a réellement des insultes homophobes, il ne faut pas suspendre le match dix minutes, ça ne sert à rien, mais l’arrêter définitivement. Le jour l’on fera ça, les gens qui ne sont pas homophobes seront furieux et peut-être que cela aidera à raisonner la minorité qui se permet n’importe quoi.

Credits:

Photo JFO & DM

Report Abuse

If you feel that this video content violates the Adobe Terms of Use, you may report this content by filling out this quick form.

To report a copyright violation, please follow the DMCA section in the Terms of Use.