Tetsuo Shima De l’instabilité nait la lumière

Lancé à grande vitesse sur les routes délabrées de ma ville je ne vois plus rien. Un vaste complexe miteux, bétonné. La célérité remplace les quelques éclairages publiques restants par de vagues loupiotes, lointaines mais pourtant omniprésentes. Comme un conglomérat de méduses. Cambré sur le guidon de ma moto, le vent me plaque les cheveux sur le crâne. C'est une course à la mort, un slalom miné de débris sur lesquels la carlingue que je chevauche pourrait s'abîmer à tout moment. Ce qui ce soir avait commencé comme une guerre de gang avait peut-être bien dégénéré. En tout cas c'est ce que semblait laisser entendre les sirènes et l'hélicoptère à double rotor de l'armée en train de survoler ma position. Pour la première fois de la soirée je ne peux compter que sur moi-même, alors que je fonce sur lui. La lumière étirée de ses phares s'amenuise, je gagne du terrain. Devant nous se dresse un mur de ferraille ne proposant qu’un vulgaire interstice en guise d'échappatoire. Je le vois déraper et se heurter de plein fouet à son destin. Quel guignol.

À présent je n'ai plus qu'à calibrer mon coup. Stabiliser la moto, sortir la masse contondante, allonger le bras et viser juste. D'un geste ample, le tuyau décanille l'épais bob de fer qui lui sert de casque et le décalotte. Enfin! Jubilation extrême. Je replace les mains sur le guidon et... Dans mes phares se dresse une maigre silhouette. Un jean, un bombers rouge et jaune. C'est un enfant. Il a à peine le temps de se cacher les yeux que ma moto l'embrasse puis... explose? Soufflé par l'explosion et collé dos au sol je vois son visage horrifié. Ses traits sont laiteux, morbides. Pourtant il se tient toujours debout, au même endroit. Intact.

Je m'appelle Tetsuo Shima. À présent tout a changé.

Neo-Tokyo en 2088. Ma ville porte encore les vestiges de l'explosion qui l'a ravagée il y a une centaine d'année. Ici, nous ne sommes plus que des ombres qui errent dans la prohibition. Sans avenir. Traumatisées.

Dopé aux médicaments, allongé sur mon lit d'hôpital, j'ai le mauvais sentiment qu'on me martèle incessamment le crâne. Où est passé le gamin? Et qui sont ces gens qui s'affairent autour de moi?

Je veux fuir. Loin d'ici.

Les vêtements encore maculés du sang du clown que je viens de tabasser, les bandages de mon crâne se défont. Devant moi se dresse mon meilleur ami, Kaneda. Il m'intime, comme à son habitude, l'ordre de m'arrêter. Quand comprendra-t'il enfin que je peux prendre mes propres décisions? Une lame de fond balaie mon esprit, m'obligeant à m'adosser au mur. Des hallucinations sanguinolentes, des images subliminales me parviennent des limbes. Je sens mon corps se décharner, mes viscères s'étaler sur le sol. Et un nom: Akira. La douleur m'immobilise juste assez pour qu'on me sédate et me ramène sur mon lit d'hôpital.

Le visage encore transpirant je mords l'oreiller pour calmer la douleur. Ma chambre est dévastée. Les hallucinations sont de plus en plus oppressantes. Je dois trouver ce gamin. À peine le pied posé dans le couloir, des gardes me tombent dessus. D'un simple geste je les fais exploser, retapissant les murs de sang coagulé. Les couloirs s'entrecroisent et les cadavres s’amoncellent.

Leur résistance est futile, la seule force de mon esprit suffit à plier leurs balles

À présent s'ouvrent devant moi les portes d'une immense salle de jeu. Contraste saisissant au sein d'un campus militaire aussi protégé. À l'intérieur c'est un réel colosse de peluche qui m'attend. Il dépasse très largement les murs du château de princesse qui trône au milieu de la pièce. Pourtant il me suffit d'un seul mot pour le détruire. Un seul cri. "ASSEZ !". De son corps sortent 3 gamins ridés. D'ailleurs IL est là, en train de se relever au milieu de ce carnage de poupées. Je les vois se masser autour d'une grosse pouponnière. Ils sont 4 enfants, dotés des mêmes pouvoirs que moi. Pourtant ils ne peuvent pas m'arrêter.

J'entends parler de laboratoire, d'expériences. La douleur revient, lancinante. La petite fille dans la pouponnière me parle d'Akira. De sa grande puissance, trop forte pour moi, et du mal que je fais. À présent il faut prendre une décision. L'éliminer. D'une impulsion je décolle dans le cœur de Neo-Tokyo où mes guenilles s'accordent parfaitement avec le paysage. Désormais je suis maître de mon destin. De mes choix. Il est temps qu’ils le comprennent. À pieds je me dirige vers le repère de camés qui nous servaient de QG. Il n'y a plus d'amitié ni de compassion. Juste un déferlement de force brute, une démonstration. Un dieu parmi les ruines.

L'armée déploie son armada à tous les coins de rue. Tanks, missiles, lasers. Du vent pour moi. Je suis un traumatisme. Pour moi, pour Neo-Tokyo, pour l’avenir. Dans une ville violente, contrôlée par la corruption et l’armée, j’apporte une réponse cinglante. Un concentré d’aigreur refoulé pendant des années. Pour la première fois je suis traité à ma juste valeur et la douleur ne me taraude plus le crâne. Je contrôle la situation, déchaine les passions et la peur. Personne ne peut me contredire, et ce n'est pas la foule de fanatiques qui se dresse derrière ma cape rouge qui le nierait. La ville connaît le leader qu'elle mérite.

Seul Akira, l’énergie à l’état pur, peut me défier. Pourtant il est étalé devant moi, à ciel ouvert. Comment ont-ils pu le réduire à cet état ? Une collection de bocaux remplis de cellules. Un puzzle de systèmes nerveux, d’organes, d’hémoglobine. C’est donc ça le sort qu’on me réserve ? Un écrin de verre pour une telle puissance ? Mes espoirs de vengeance s’estompent en même temps que la moto rouge de Kaneda se profile à l’horizon. C’est la dernière fois qu’il se met sur mon chemin. Ses assauts sont des piqûres, j’ai du mal à le viser sur l’éclair rouge qu’il chevauche. Puis soudain la douleur. Mon bras droit se disloque, emporté par la puissance du rayon SOL, ultime assaut militaire en provenance de l’espace. Mes tempes tambourinent, ma vision se trouble, mon cerveau se bloque. Sans médicaments mon esprit s’emporte et je perds le contrôle.

Les doigts crispés sur mon accoudoir de pierre, j’observe la prothèse biologique qui me sert désormais de bras. Formée par les débris elle s’agite, laissant échapper de puissants tentacules d’acier. Elle se fait de plus en plus pesante, oppressante, comme les pensées qui me compressent le cortex. Ais-je passé le stade de la démence ? Je me sens glisser, aspiré par mon nouveau membre. Hors de contrôle, le manque de comprimés se fait ressentir. La douleur m’emporte. Un nouvel assaut de Kaneda finit de me faire sombrer. Ma peau se boursoufle, mes muscles se décuplent. Mon corps est une multitude d’extensions, un patchwork de chair, de veines et de tentacules. Une géante immondice phagocytaire, avalant tous les organismes vivants. Un inexorable appétit qu’aucun obstacle ne semble pouvoir arrêter. Sauf le puissant noyau de lumière qui se développe devant moi. Akira. Pleinement reconstitué par les 4 gamins. Le champ de force qu’il projette me rappelle à la réalité et m’apaise. Enfin le silence. L’aura finit par englober la ville. Mais cette fois pas d’explosion. Akira, les enfants et moi, en partant de la sorte, c’est une renaissance que nous laissons. La promesse d’un monde stable, recentré.

Created By
Thomas Hazera
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