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Place des femmes dans l’espace public en Martinique Rapport | Novembre 2020 | CÉSECÉM

Etat des lieux et contextualisation

En Martinique, les femmes représentent 53.8% de la population. L’enquête Virage Dom menée par l’Institut national d’Etudes démographiques insiste sur les violences auxquelles ces personnes sont spécifiquement exposées, parce qu’elles sont femmes, dans l’espace public.

Les faits déclarés les plus courants dans les espaces publics sont les sifflements ou interpellations sous un prétexte de drague : ils concernent la moitié des femmes (51%) et leur taux est 2.5 fois plus élevé que dans l’hexagone où le taux est près de 20%. Les auteurs des différents faits sont quasi exclusivement des hommes.

Loin d’être anodins, ces actes pèsent sur le quotidien des femmes et devraient être davantage considérés par les pouvoirs publics. Il s’agit en effet d’un symptôme de la persistance d’une domination masculine qui porte toujours atteinte à l’égalité des droits entre les femmes et les hommes.

En Martinique, la concentration des discours valorisant à l’égard de la « Fanm poto mitan »* renforce paradoxalement ce phénomène en rappelant que la place légitime des femmes se trouve dans l’espace privé, c’est-à-dire la maison.

Hors de cet espace très limité du foyer, les hommes martiniquais disposent dans un large espace public de lieux où la domination masculine est peu remise en question. Une minorité qui souhaite imposer son statut dominant et performer une forme de prise de possession du corps des femmes dans l’espace public peut donc le faire avec une certaine légitimité offerte par le mutisme collectif.

*En Martinique, se concentre un discours à l’égard de la « Fanm poto mitan » -- - poutre maitresse - allégorie des femmes bénéficiaires de la matrifocalité. Cette matrifocalité donne parfois le sentiment que la femme serait préservée de la domination masculine, en fait elle participe à l’idée que la place légitime et réifiante des femmes se trouve dans l’espace privé, c’est-à-dire à la maison. La séparation public/privé que l’on connait déjà dans les sociétés occidentales européennes n’est donc pas ici amoindrie, mais bien renforcée par le modèle matrifocal et par sa reconnaissance collective sous le vocable « fanm poto mitan »

Définitions : Qu’est ce que le harcèlement de rue ?

Le harcèlement de rue a été reconnu comme un délit par la loi Schiappa d’août 2018, dans le cadre d’une réforme du Code pénal qui reconnait l’outrage sexiste. (Art.222-33 et 621-1). Comme l’indique le site de l’association Stop au Harcèlement : « le harcèlement de rue, ce sont les comportements adressés aux personnes dans les espaces publics et semi publics, visant à les interpeller en leur envoyant des messages intimidants, insistants, irrespectueux, humiliants, menaçants ou insultants en raison de leur genre. »

Quelle est la place, tant physique que symbolique, des femmes dans l’espace public à Fort-de-France ? Peuvent–elles jouir au même titre que les hommes, de leur droit fondamental à circuler dans les rues de la ville capitale ? Quelles solutions à ce problème démocratique ?

Quelques chiffres…

Selon l’INED, sur l’hexagone, c’est en Île-de- France que les violences dans l’espace public sont les plus fréquentes : 37% des femmes et 18% des hommes âgés de 20 à 69 ans ont déclaré avoir subi au moins un fait dans les douze derniers mois. (source : Lebugle & équipe enquête VIRAGE, 2017)

Et pour la même enquête, en Martinique, près de 3 femmes sur 5 (57%) ont déclaré au moins un fait subi dans les espaces publics au cours des 12 mois précédant l’enquête (Stéphanie CONDON- Sandrine DAUPHIN – Justine DUPUIS, 2019)

Notons que ces chiffres concernent l’ensemble de l’île et ne reflètent pas la situation dans l’agglomération de Fort-de-France. Une étude menée par la Délégation régionale aux droits des femmes et à l’égalité de Martinique et Nadia CHONVILLE (Sociologue) nous révèle l’ampleur du phénomène dans le centre ville de Fort-de-France.

En effet, deux tiers des personnes qui circulent la journée à Fort-de-France sont des femmes. Elles y mènent essentiellement des activités de consommation liées à l’approvisionnement du ménage en vêtement, fournitures et en denrées, ainsi que des démarches liées à la santé et aux obligations légales du ménage.

Bien qu’ils soient moins nombreux que les femmes en ville, les hommes y mènent plus souvent qu’elles des activités de détente. Ils s’asseyent quatre fois plus que les femmes sur le mobilier urbain, ce qui visuellement et dans les modes de relation marque une véritable occupation du lieu. Ils consacrent peu de temps à des tâches d’approvisionnement du ménage, ont un rythme plus lent, et envisagent plus souvent de se rendre en ville uniquement pour se promener.

51% des Martiniquaises interrogées dans l’enquête Virage / Ined de 2018 ont signalé avoir subi des sifflets et interpellations sous prétexte de drague dans les 12 derniers mois.

65.7% des femmes de 15 à 40 ans interrogées dans l’enquête DRDFE / N. CHONVILLE, ont indiqués y recevoir souvent des sifflets ou onomatopées inappropriés.

40% des femmes de 15 à 40 ans interrogées déclarent avoir été plusieurs fois, voire souvent confrontées à des hommes inconnus leur faisant des propositions sexuelles, en pleine rue au centre ville.

71.7% des femmes de 15 à 40 ans disent avoir été confrontées au harcèlement de rue dans des rues fréquentées. Cette pratique apparait régulière dans la rue la rue piétonne. Il pourrait donc être envisagé que les passant.e.s , témoins de ces actes, participent à leur dénonciation. Or selon l’enquête DRDFE / N. CHONVILLE (2020) :

70.6% des témoins d’interpellations inappropriées au centre ville n’ont eu aucune réaction – 26.4% se sont opposés et 3.0% ont dénoncé.

Les femmes sont exposées aux violences dans l’espace public

L’occupation de l’espace par les hommes et les femmes reflète le genre, soit la répartition des rôles selon le sexe des individus, dans une société donnée. Ce n’est pas un phénomène spécifique à la ville de Fort-de-France : la capitale présente juste une vision épaissie par la densité du flux. Il en va de même pour les violences faites aux femmes.

Les propositions d’ordre sexuel restent un phénomène discret mais particulièrement violent, autour duquel règne un tabou construit par la sidération individuelle et collective. Des hommes souvent âgés de plus de 50 ans, projettent sur des femmes qu’ils croisent un acte sexuel, sans avoir toujours le projet de l’obtenir mais avec une prédation sexuelle immédiate. Ces pratiques sont formellement condamnées par la loi Shciappa d’août 2018. La plupart des propos sont murmurés, ou dits à proximité directe de la victime, sans la possibilité, pour les passant.e.s, d’avoir conscience de la commission du délit.

Représentation des femmes dans l’espace public

La persistance d’une faible dénonciation publique des violences faites aux femmes et le peu de connaissance collective quant aux conséquences psychosociales de ces actes sont certainement pour une grande part responsables de cette situation (Decker 2019).

  • Les représentations politiques des femmes dans l’espace public en Martinique sont lacunaires.
  • Très peu de rues ont des noms de femmes. Seuls 6 collèges sur 43 honorent une femme (7%) et 1 lycée sur 23 et seule une place publique désigne une femme.
  • Aucune femme martiniquaise célèbre n’est représentée. – Des hommes martiniquais célèbres sont représentés quoique peu nombreux.
  • La représentation des femmes à Fort-de-France est essentiellement portée par les commerçant.e.s qui présentent assez légitimement au vu de leurs activités des visages et bustes de femmes aux qualités esthétiques remarquables.
  • Les artistes représentent eux aussi en priorité des femmes, dans des allégories paysannes ou des postures esthétiques.

Cela nous donne à voir un décorum urbain où les femmes ont un rôle esthétique, un rôle économique passé ou lointain et aucun rôle politique. Les hommes ont quant à eux d’abord un rôle économique marqué par des images figuratives, ensuite un rôle politique, et enfin, épisodiquement, un rôle esthétique. Cette situation peut alimenter visuellement l’idée que les femmes seraient des objets de consommation esthétique et sexuels à disposition d’un regard masculin dominant.

Ceci étant dit les représentations hypersexualisées sont rares au centre ville, et dans les représentations mixtes, les femmes sont rarement en position dominée. Les représentations hypersexualisées sont d’ailleurs justifiées (il s’agit essentiellement de magasins vendant des bikinis échancrés – selon enquête DRFRE / Chonville). Mais on peut remarquer que les représentations politiques n’ont pas pris le parti de déconstruire les phénomènes de genre à l’origine des violences faites aux femmes, ni de les contrebalancer.

Les recommandations

  1. Prise en compte du concept de genre dans les politiques publiques
  2. Former les médiateurs de rue et engager plus de médiatrices, afin que ces personnes puissent apporter une aide réelle aux victimes et faire de la prévention.
  3. Sensibiliser tous les acteurs urbains, dont les prestataires de transport en commun pour que les délits soient systématiquement signalés (exemple de l’exhibitionnisme)
  4. Réduire le coût du stationnement et des transports afin que la ville soit plus accessible aux femmes martiniquaises, qui sont souvent pauvres.
  5. Aider l’activité économique pour que les commerces mettent en valeur leur attractivité face aux centres commerciaux. (Clientes de condition modeste, âgées et sans moyen de locomotion)
  6. Mettre davantage de beauté dans la ville (les fresques du FIAP sont plébiscitées).
  7. Mettre en valeur, dans les rues, un numéro à contacter en cas d’agression.
  8. Mettre davantage de toilettes publiques autolavantes à la disposition du public.
  9. Générer des activités de plein air à destination des femmes pour susciter leur occupation de l’espace public.
  10. Organiser des campagnes d’affichage non accusatoires. (Exemple : Une femme n’est pas des seins ambulants)