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Il y a 77 ans, le procès des "42"

Résistants communistes. Le 15 janvier 1943 s’ouvre le procès dit des "42". Devant le tribunal militaire allemand des résistants communistes, arrêtés par l’appareil répressif de Vichy et livrés à l’Occupant en août 1942. On dénombre 40 Nantais et Rezéens. Ils sont jugés pour des actes de résistance qui vont du sabotage à l’exécution du responsable du personnel de l’usine des Batignolles, un collaborationniste. Peu de villes en France connaissent une guérilla urbaine menée contre l’Occupant. Nantes, ville martyre depuis l’exécution des 50 Otages en octobre 1941, en fait partie. Parmi ces combattants de l’ombre qui se dressent contre l’ennemi, il y a les réseaux communistes des Francs tireurs partisans, les FTP. Ils accueillent dans leurs rangs des Républicains espagnols qui ont fui le Franquisme et la Guerre civile. 5 d’entre eux sont jugés également.

Un local collaborationniste à Nantes, objet d'un attentat par des résistants communistes, en 1942. (coll. Marc Grangiens)
L'usine des Batignolles, endommagée par un sabotage perpétré en avril 1942 par des FTP. (coll. Marc Grangiens)

Un procès pour terroriser la population. Le procès des "42" est mis en scène par les Nazis comme un grand spectacle de propagande. La salle du tribunal est parée d’oriflammes avec des croix gammées. Il est ouvert au public et les journalistes sont invités à le couvrir. Le Phare, dans son édition du samedi 16 janvier et dimanche 17 janvier 1943, titre : “Le procès de 42 terroristes arrêtés dans la région nantaise a commencé hier matin au palais de justice”. C’est le troisième procès du genre en France contre des résistants communistes après ceux en 1942 de la Maison de la Chimie et du Palais Bourbon à Paris. Son objectif est de terroriser la population car la Résistance intensifie son action dans le département. 49 chefs d’accusation sont retenus contre les inculpés comparaissant devant le tribunal militaire allemand. Le procès dure à peine deux semaines.

Louis Le Paih (à g.), fusillé le 7 mai 1943, Raymond Hervé, fusillé le 29 janvier 1943 (au centre) et Gaston Turpin (à d.) fusillé le 13 février 1943. (Coll. Marc Grangiens)

Sentence. Le verdict tombe le 28 janvier 1943 : la peine capitale est prononcée à l’encontre de 37 condamnés. Le président leur demande alors s’ils ont quelque chose à déclarer. “Au tribunal allemand, je n’ai aucune déclaration à faire”, dit à ses bourreaux le métallo nantais Louis Le Paih. “C’est un honneur pour un Français que de mourir sous les balles allemandes”, déclare Auguste Chauvin, également ouvrier des Batignolles. Les condamnés chantent La Marseillaise et L’Internationale sous les coups des gendarmes allemands.

Le Phare titre après le verdict : “La civilisation occidentale épure…” Dès le lendemain du procès, un premier groupe de neuf résistants est passé par les armes au champ de tir du Bêle. 25 condamnés seront fusillés le 13 février puis trois le 7 mai 1943. À ce décompte macabre viendra s’ajouter les fusillades de 13 autres militants communistes le 20 août, portant le total à 50 le nombre de résistants communistes exécutés en 1943. Après la tragédie des 50 Otages, Nantes paie à nouveau le prix fort à l’Occupation. Pourtant, le procès va tomber petit à petit dans l’oubli lorsque la paix revient.

Le Champ de tir du Bêle, à deux pas de la Beaujoire et de Carquefou, où furent fusillés les résistants communistes.

Guerre de mémoires. Malgré leur sacrifice, la mémoire des "42" est supplantée par celle des 50 Otages à la Libération. Rapidement, c’est à leur martyr que l’on rend hommage. Dès octobre 1944, la municipalité baptise l’artère centrale aménagée sur l’ancien lit de l’Erdre cours des "50-Otages". “La charge émotionnelle, les enjeux de mémoire n’étaient pas du tout la même. L’exécution des 50 otages avait eu un retentissement international. De Gaulle avait réagi immédiatement sur les ondes de la BBC et l’auteur allemand Thomas Mann y avait prononcé une allocution sur cet épisode tragique”, souligne Marc Grangiens, historien et documentariste, auteur en 2003 d’un film documentaire sur le procès des "42". Les 48 otages fusillés en octobre 1941 étaient représentatifs de la société française de par leurs professions, leurs opinions politiques, leur âge, du jeune communiste de 17 ans - Guy Môquet - à l’ancien mutilé de guerre nantais, Léon Jost. Il n’en est rien pour les "42", tous résistants communistes FTP.

Peu après l'exécution des 50 otages (48 en fait), le général de Gaulle décerne la croix de Compagnon de la Libération à la Ville de Nantes. Il la remet aux autorités locales et municipales lors de sa visite à Nantes le 15 janvier 1945. Le 22 octobre 1952 est inauguré le monument commémoratif, dessiné par Marcel Fradin et sculpté par Jean Mazuet, érigé au bout de l'actuel cours des Cinquante-Otages.

"Parti des fusillés". Avec la Guerre froide et l’affrontement local entre Gaullistes et Communistes, un conflit mémoriel se cristallise. “Les municipalités Orrion puis Morice occulteront cet épisode noir de la Seconde Guerre mondiale. Rien à Nantes ne viendra le rappeler. À Rezé par contre, les 13 fusillés originaires de la commune seront commémorés sans interruption. Une plaque à l’entrée du cimetière Saint-Paul porte leurs noms”, poursuit Marc Grangiens. Puis le parti communiste préfère mettre en avant également les 27 martyrs de Châteaubriant, exécutés parmi les 50 otages d’octobre 1941. Il construit ainsi partiellement sa mémoire de "parti des fusillés", morts pour leurs idées en héros et non pas en combattant et en commettant des attentats, comme c’est le cas des "42".

"Auguste Chauvin, résistant FTP. 1910-1943. Lettres d'un héros ordinaire", par le Collectif pour la mémoire des 42 (L'Oribus) est paru en 2003. Tout comme le documentaire sur le procès des "42".

Réhabilitation. Il faudra attendre 60 ans pour réhabiliter la mémoire des "42". Pour la première fois en janvier 2003, un hommage officiel est rendu aux 37 résistants communistes fusillés en 1943. Le collectif "Procès des 42" qui réunit notamment le Comité départemental du Souvenir et la fédération départementale des déportés, internés, résistants et patriotes, voit ainsi son action aboutir.

Lieu de mémoire. Le samedi 10 février 2018, une rue dédiée aux frères Hervé est inaugurée dans le secteur du Bêle, au niveau de la rue Claude et Simone Millot. Raymond Hervé, résistant communiste et membre des FTPF, fut fusillé le 29 janvier 1943 au terrain de tir du Bêle. Son frère Edouard, responsable de la branche militaire du Parti communiste clandestin, l'avait été le 30 décembre 1942 au camp militaire de La Maltière en Saint-Jacques-de-la-Lande, près de Rennes.