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Quatre histoires du ghetto de Varsovie Exposition

« Même si l’univers existait encore pendant un millier, un million, un milliard d’années, personne ne parviendrait jamais à raconter tout ce qui s’est déroulé dans le ghetto de Varsovie… »

C’est ainsi que le survivant de l’Holocauste Pinchas Gutter résume les trois années qu’il a vécues derrière les murs du ghetto. Faisant partie des quelque 400 000 Juifs qui y étaient enfermés, le jeune garçon s’est imprégné de tout ce qui se passait autour de lui.

Entre 1940 et 1943, les Juifs du ghetto de Varsovie ont continué à vivre leur vie. Malgré la mort et la destruction qui les entouraient, ils se sont battus pour préserver leur culture et garder leur identité. Il est impossible de relater toutes les horreurs du ghetto de Varsovie, et des milliers d’histoires ne seront jamais racontées. Malgré tout, les témoignages de quatre survivants du ghetto de Varsovie — Pinchas Gutter, Arthur Ney, Amek Adler et Elsa Thon — nous permettent d’avoir une bien meilleure compréhension de ce qu’était la vie dans ce ghetto : la lutte quotidienne pour ne pas mourir, les différentes formes de résistance mises en œuvre et les centaines de milliers de Juifs qui y ont été assassinés.

La Varsovie juive

En 1939, environ 375 000 Juifs vivaient à Varsovie et représentaient 30 % de sa population. Cela faisait alors plus de cinq siècles qu’ils y étaient établis. Avec ses nombreuses synagogues, ses journaux, ses théâtres, ses écoles et son art juifs, la vie culturelle de la communauté y était florissante. Certes, au tournant du XXᵉ siècle, les Juifs de Varsovie étaient parfois victimes de propos et de violences antisémites, mais la plupart d’entre eux, qu’ils soient assimilés ou non, menaient une vie paisible.

« Pour notre part, nous vivions au cœur même du quartier juif de Varsovie. Il n’y avait pas encore de murs pour séparer nos rues des secteurs polonais – les Juifs pouvaient vivre parmi les Polonais s’ils le souhaitaient, à condition d’en avoir les moyens et d’être capables de tolérer une certaine dose de discrimination. » - Arthur Ney, L’Heure W

La famille Ney à Varsovie, en hiver. De gauche à droite : Pola Ney-Holcman, Arthur et Jerzy Ney ; au premier rang : la sœur d’Arthur, Eugenia. Pologne, 1932. Source : Arthur Ney.

Dans le sens des aiguilles d’une montre, en partant du haut : (1) Des enfants jouent dans le quartier juif. Varsovie, Pologne, vers 1935–1938. (2) Cour réservée aux piétons reliant les rues Nalewki et Wałowa, zone commerciale d’un quartier juif. Varsovie, Pologne, vers 1935–1938. (3) Stare Miasto (vieille ville). Varsovie, Pologne, vers 1935–1938. © Mara Vishniac Kohn, International Center of Photography (4) Rue Miła. Varsovie, Pologne. (5) Scène dans le quartier juif avant la guerre. Varsovie, Pologne. Source : Yad Vashem.
« Je me rappelle notamment une visite au zoo de Varsovie, un très bel endroit rempli d’animaux de toutes espèces. À l’occasion de telles sorties, Niusia et moi avions la permission de manger de gigantesques glaces. » - Arthur Ney, L’Heure W
Une famille pose devant un éléphant au zoo de Varsovie. Pologne, 1938. Source : Wikimedia Commons.

Cette paix relative a disparu avec l’invasion de la Pologne par les Allemands le 1ᵉʳ septembre 1939, date qui a marqué le début de la Seconde Guerre mondiale. Le gouvernement polonais a capitulé en octobre, puis a été contraint de s’exiler. L'occupation de Varsovie par les nazis a entraîné très rapidement la mise en place de mesures antisémites et la persécution des Juifs. Les nouvelles restrictions les obligeaient notamment à céder leurs propriétés et tout bien de luxe, à porter un brassard marqué d’une étoile de David, et à respecter les couvre-feux les plus stricts. Les voisins non juifs, qui avaient entretenu autrefois de bonnes relations, n’intervenaient pas lorsque leurs anciens amis juifs se faisaient humilier dans la rue. Les soldats allemands, ainsi que les Polonais sympathisants de l’idéologie nazie, commettaient d’incessants actes de violence ; à Varsovie, les Juifs couraient un danger permanent.

« Mes parents, ma sœur et moi avons marché les 17 kilomètres qui nous séparaient de Varsovie. Une fois sur place, mon père a demandé à mes cousins de s’engager dans l’armée. Mais il était déjà trop tard pour les volontaires résolus à défendre notre patrie. Il n’y avait plus d’armée à rejoindre : la Pologne est tombée quelques semaines à peine après le début de la guerre. Les nazis ont envahi le territoire à une vitesse telle que la résistance de l’armée polonaise a été écrasée en un rien de temps. Je comprends maintenant que les espoirs de mon père étaient mal fondés (…). » - Elsa Thon, Que renaisse demain
« Les Allemands ont vite laissé tomber leurs masques. Des affiches 𝑁𝑢𝑟 𝑓ü𝑟 𝐷𝑒𝑢𝑡𝑠𝑐𝘩𝑒 (Réservé aux Allemands) ont fait leur apparition dans Varsovie. Des rues entières ont été évacuées et occupées par l’envahisseur. Puis les rafles ont commencé (…). Nous avons été inondés de mesures dégradantes et terrifiantes. » - Arthur Ney, L’Heure W
« Il devait être 9 ou 10 heures lorsque la sonnette a soudain retenti. Trois hommes revêtus d’imperméables noirs et de chapeaux semblables à ceux que portaient les hommes de la Gestapo ont fait irruption dans l’appartement… L’un d’eux a sorti son revolver et nous a ordonné de nous déshabiller entièrement. Il a exigé ensuite que nous nous tenions face au mur, les mains en l’air et posées contre la cloison. Si jamais l’un de nous se retournait pendant qu’ils étaient là, il l’abattrait sur-le-champ. Nous avons obtempéré et, tremblant de tous nos membres, sommes restés immobiles…
Nous sommes restés ainsi pendant ce qui a semblé une éternité, mais qui n’avait sans doute pas duré plus d’une vingtaine de minutes, voire une heure tout au plus, le temps qu’ils saccagent l’appartement. Leur sale besogne accomplie, le même homme qu’avant, celui qui tenait le revolver, nous a dit qu’ils allaient partir et que nous n’avions pas intérêt à bouger jusqu’à ce qu’ils aient claqué la porte derrière eux. Sans quoi, a-t-il ajouté, il nous tuerait tous. Après leur départ, tout le monde s’est empressé de se rhabiller et a parcouru l’appartement pour en constater les dégâts. Tout était en désordre et tous les objets de valeur avaient disparu : les chandeliers pour le 𝑠𝘩𝑎𝑏𝑏𝑜𝑠, les coupes du 𝐾𝑖𝑑𝑑𝑜𝑢𝑠𝘩, tout ce qui semblait avoir une quelconque valeur. Je me souviens surtout des chandeliers, car nous n’avions plus aucun support pour nos bougies le vendredi soir. » - Pinchas Gutter, Dans la chambre noire
Dans le sens des aiguilles d’une montre, en partant du haut: (1) Vue de l’entrée du marché entièrement détruit par un raid aérien allemand. Varsovie, Pologne, septembre 1939. (2) Vue, prise de haut, d’une famille polonaise vaquant à ses occupations quotidiennes. Elle est entourée de ses possessions rassemblées devant les ruines de son habitation. Varsovie, Pologne, septembre 1939. Source : United States Holocaust Memorial Museum. (3) Défilé de soldats allemands. Varsovie, Pologne, septembre 1939. Source: National Archives at College Park, College Park, MD. (4) Juifs déblayant les décombres après la prise de la ville. Varsovie, Pologne, octobre 1939. Source: Bundesarchiv. (5) Soldats SS coupant la barbe d’un homme juif. Varsovie, Pologne, 1939. Source: Yad Vashem.
« Il faisait étrangement beau le jour de notre déportation vers le ghetto de Varsovie. Tout était blanc et ensoleillé. La neige scintillante crissait sous nos bottes tandis que nous nous dirigions vers les camions destinés à notre transport. Nos baluchons à la main, nous avons attendu les ordres des nazis. Les personnes âgées grimpaient avec difficulté dans les véhicules, sous les cris des Allemands. (…)
Étonnamment, ce dont je me souviens le plus de ce trajet, c’est le silence que seul un profond soupir venait rompre de temps à autre. Toutes les femmes avaient l’air résignées. Peu se connaissaient, mais personne n’avait envie de nouer contact. Nous étions en état de choc.
Quand nous sommes arrivées à la gare, un officier SS m’a ordonné de me diriger vers les trains devant conduire leur chargement humain au ghetto de Varsovie. (…) J’avais l’impression d’être dépourvue de mes cinq sens, comme si j’avais été coupée du monde extérieur. » - Elsa Thon, Que renaisse demain

Puis, en octobre 1940, les Allemands ont émis une ordonnance destinée à tous les Juifs de Varsovie, leur imposant de rejoindre une partie de la ville qui allait plus tard devenir le ghetto de Varsovie. D’autres restrictions ont suivi et, au mois de novembre, le ghetto a été fermé, confinant tous ceux qui s’y trouvaient derrière un énorme mur.

Construction du mur du ghetto. Varsovie, Pologne, vers 1940. Source : Yad Vashem.

Les conditions de vie dans le ghetto

Clos, le ghetto de Varsovie avait une superficie d’environ 3,4 kilomètres carrés seulement. Les plus de 400 000 Juifs qui s’y trouvaient piégés n’étaient plus en mesure de sortir et se retrouvaient ainsi coupés du monde extérieur. La nourriture se faisait rare, les appartements, souvent insalubres, étaient surpeuplés, et la faim et la maladie sévissaient partout. Le rationnement était si strict qu’un bon nombre de résidents se livraient au marché noir.

« En novembre 1940, le ghetto a été complètement fermé et la vie y est devenue particulièrement difficile. Malgré tout, après sa fermeture, mon père a tant bien que mal réussi à se procurer des raisins secs au marché noir pour produire son vin ; ma mère, quant à elle, n’a pu garder son kiosque que six mois. J’ignore si elle ne trouvait plus les marchandises dont elle avait besoin, ou si les clients n’avaient plus les moyens de les acheter. Peut-être aussi qu’elle avait du mal à faire concurrence au marché noir. Elle n’était probablement pas assez forte pour tirer son épingle du jeu. N’ayant pas travaillé avant la guerre et manquant d’expérience, elle aurait pu tenir son échoppe si elle n’avait pas eu à négocier âprement avec le client, chose qui n’était pas dans sa nature. » - Pinchas Gutter, Dans la chambre noire
Dans le sens des aiguilles d’une montre, à partir du haut à gauche : (1) Un jeune garçon vend des journaux et des brassards dans le ghetto (peut-être sur la place Muranowski). Le journal qu’il vend est intitulé Gazeta Żydowska (La Gazette Juive). Varsovie, Pologne. Source : Imperial War Museums. (2) Gazeta Żydowska, le journal officiel des affaires juives publié par l’autorité d’occupation sous le Gouvernement général, entre 1940 et 1942. Varsovie, Pologne. Source : Archives de Ringelblum, Institut historique juif de Varsovie. (3) Enfants vêtus de haillons dans une rue du ghetto. Varsovie, Pologne. Source : Yad Vashem. (4) Acheteurs et vendeurs dans un marché ouvert du ghetto. Varsovie, Pologne. (5) Famille juive (un grand-père avec ses deux petits-enfants) dans le ghetto. Varsovie, Pologne. Source : Imperial War Museums.

Le 𝐽𝑢𝑑𝑒𝑛𝑟𝑎𝑡, le Conseil juif, avait la responsabilité des opérations quotidiennes menées dans le ghetto de Varsovie, tandis que le maintien de l’ordre incombait à la police juive. C’est elle qui mettait à exécution les ordres des officiers SS.

« Des dizaines et des dizaines de petits enfants nus étaient debout, assis ou étendus contre les murs, trop affamés pour parler, les yeux suppliant silencieusement qu’on leur donne à manger. Je me souviens de leurs ventres gonflés, de leurs corps couverts de marques dues aux poux qui les dévoraient. L’une des façons dont les affamés tentaient désespérément de survivre s’apparentait à la manière dont un chasseur traque sa proie. Ils se tenaient à l’affût près d’un endroit où l’on vendait de la nourriture, l’air de rien, puis dès qu’une personne quittait le magasin avec son achat, ils se jetaient sur elle pour s’emparer des aliments avant de filer à toute vitesse. Quand les gens encore capables de se procurer à manger se sont mis à tenir leur achat serré contre eux, les 𝑐𝘩𝑎𝑝𝑝𝑒𝑟𝑠 (chipeurs ou voleurs à l’arraché) ont adopté une autre technique : ils mordaient à pleines dents dans la nourriture que l’acheteur tenait entre les mains. Cela se produisait le plus souvent avec du pain, car il se vendait sans emballage. Bien sûr, une fois le coup de dent donné, le client finissait par laisser le morceau au 𝑐𝘩𝑎𝑝𝑝𝑒𝑟. Ce genre de situation attirait souvent un petit groupe de curieux, où les uns soutenaient l’acheteur, et les autres le voleur. L’incident se terminait très souvent en bagarre. » - Arthur Ney, L’Heure W
Dans le sens des aiguilles d’une montre, à partir du haut : (1) Un policier juif et une femme discutent avec un policier allemand dans le ghetto. Varsovie, Pologne. (2) Des femmes travaillent dans un atelier de couture dans le ghetto. Varsovie, Pologne. (3) Des enfants dormant dans un pensionnat au 10 rue Graniczna, dans le ghetto. Varsovie, Pologne. (4) Des soldats allemands fouillent un garçon juif qui tente d’introduire clandestinement des biens dans le ghetto. Varsovie, Pologne. Source : Yad Vashem
« Le ghetto de Varsovie était déjà surpeuplé de Juifs provenant des villes et villages environnants. Dans les rues, les gens étaient battus et fusillés de façon aléatoire. Partout, de petits enfants, devenus instantanément orphelins, pleuraient, affamés, malades, abandonnés. Les plus âgés mendiaient. Des sans-abri squelettiques erraient, tendant des mains aux allures de bâtons recouverts de peau desséchée et jaunâtre. Des cadavres enveloppés de papier gisaient à l’endroit même où les corps exténués avaient exhalé leur dernier souffle. » - Elsa Thon, Que renaisse demain

Néanmoins, malgré des conditions qui se dégradaient rapidement, la vie suivait son cours. On trouvait des marchés, des usines, des cafés et des écoles, mais aussi des organisations juives d’entraide telles Żydowska Samopomoc Społeczna (ŻSS) qui apportaient un peu de répit aux prisonniers du ghetto. Aucune assistance sociale n’était cependant en mesure d’empêcher le nombre sans cesse croissant de gens qui mouraient dans la rue.

En 1942, les SS ont exigé d’abord que les Juifs se présentent volontairement pour être « réinstallés » ailleurs puis, très vite, ont procédé à des rafles afin de déporter la population vers une destination inconnue.

Convocation de volontaires en vue d’une « réinstallation », 29 juillet 1942. Varsovie, Pologne. Source : Archives de Ringelblum, Institut historique juif de Varsovie.
« En juillet 1942, les Allemands nous ont informés que nous serions bientôt « réinstallés » à l’est. Prétextant qu’il fallait vider les rues des sans-abri pour empêcher la propagation des maladies, ils ont d’abord sollicité des volontaires pour la relocalisation, leur offrant du pain et de la confiture en gage de « bonne foi ». (…) C’est ainsi que les policiers juifs ont commencé à convoyer les groupes d’habitants du centre du ghetto vers le terminus, déjà connu à l’époque sous l’appellation d’Umschlagplatz (place d’embarquement). Nous pouvions voir de longues charrettes à cheval remplies de volontaires, portant leur pain, leur confiture et leurs petits ballots d’effets personnels. Deux ou trois policiers juifs escortaient chaque charrette. Certains jeunes chantaient comme pour se prouver à eux-mêmes qu’avoir accepté l’offre des nazis leur permettrait d’améliorer leur vie, de la sauver même, et qu’ils s’embarquaient joyeusement dans cette aventure. » - Arthur Ney, L’Heure W

La résistance dans le ghetto

La résistance dans le ghetto de Varsovie s’est organisée de différentes façons. Les nazis ont interdit aux Juifs d’ouvrir des écoles et de prendre part à quelque activité religieuse que ce soit, ce qui n’a pas empêché les Juifs de leur désobéir. On trouvait d’autres manifestations de résistance culturelle clandestine, comme le théâtre ou les performances musicales et artistiques. C’étaient de petites victoires face aux tentatives des nazis de dépouiller les Juifs de leur identité et de les anéantir moralement.

Ces actes de résistance spirituelle et culturelle ont été répertoriés par le groupe clandestin Oneg Shabbat, créé par Emanuel Ringelblum et d’autres Juifs du ghetto de Varsovie. Comme il était devenu évident que les nazis allaient anéantir le ghetto, l’organisation a rassemblé des documents, dessins, essais, journaux intimes, quotidiens et autres supports pour les archiver en tant que témoignages de la vie quotidienne du ghetto. Il s’agissait de laisser des traces de leur vie, en particulier si elle devait s’achever avec la disparition du ghetto. C’était également un acte de résistance, une façon de « hurler la vérité à la face du monde », tel que l’a un jour écrit David Graber, membre de Oneg Shabbat.

« La population opposait une certaine résistance aux nombreux interdits. Il existait, par exemple, des institutions clandestines : des journaux, des écoles, des universités où les professeurs avaient fait entrer secrètement du matériel de recherche, et où les étudiants suivaient des cours, certains en vue de devenir docteurs… La population du ghetto déployait une énorme résistance passive et nombreux étaient ceux qui risquaient leur propre vie pour aider les autres… Les écoles étaient interdites, mais elles existaient néanmoins. Mon père avait engagé un 𝑚𝑒𝑙𝑎𝑚𝑒𝑑, un professeur qui faisait cours à quelques enfants dans le plus grand secret et qui m’a enseigné le Talmud. Nous avons étudié le traité 𝑁𝑒𝑑𝑎𝑟𝑖𝑚, aussi appelé « Les Vœux », œuvre complexe avec son 𝑝𝑒𝑟𝑜𝑢𝑠𝘩 (commentaire) de RaN, acronyme désignant le rabbin Nissim ben Reuben de Gérone. J’avais hâte de retrouver la distraction de ces cours et j’appréciais le professeur. Le texte n’était pas étudié de manière systématique, mais abordé principalement au moyen d’une conversation, méthode qui me plaisait particulièrement. Mais cela n’a pas duré longtemps. » - Pinchas Gutter, Dans la chambre noire
Dans le sens des aiguilles d’une montre, à partir du haut : (1) Une représentation théâtrale dans le ghetto. Varsovie, Pologne. (2) Un homme, une femme et un enfant prient dans le ghetto. Varsovie, Pologne. (3) Un homme joue du piano tandis que des enfants dansent. Varsovie, Pologne. (4) Des résidents du ghetto rassemblés pour le séder de la Pâque. Varsovie, Pologne. Source : Yad Vashem.
« Il y avait un homme, une personnalité connue du nom d’Emanuel Ringelblum, qui œuvrait à collecter toute information relative à la vie dans le ghetto. Les membres de son organisation, Oneg Shabbat, ont enfoui des milliers de documents d’archives dans des récipients métalliques et des bidons de lait, dont bon nombre ont été miraculeusement découverts après la guerre. En 1941, la situation alimentaire était devenue si désastreuse que des malheureux mouraient chaque jour dans la rue. Ringelblum et ses partisans ont alors mis en place une soupe populaire afin que chacun reçoive au moins un bol de soupe et un morceau de pain. Il y avait dans le ghetto d’autres initiatives similaires, qu’il était toujours difficile de mener à bien. » - Pinchas Gutter, Dans la chambre noire
Dans le sens des aiguilles d’une montre, à partir du haut : (1) Le Fonds pour les obsèques, dessin de Rozenfeld (prénom inconnu) révélant des scènes de la vie des enfants dans le ghetto de Varsovie. Pologne. (2) Emploi du temps d’un élève dans une école utilisant l’hébreu comme langue d’enseignement. Varsovie, Pologne. (3) Pages du journal de Emanuel Ringelblum, 18 mars 1941. Varsovie, Pologne. Source : Archives de Ringelblum, Institut historique juif de Varsovie.

Les déportations étaient de plus en plus fréquentes et, d’après certaines rumeurs, le ghetto allait bientôt être rasé et tous les Juifs qui s’y trouvaient conduits dans les camps de concentration et de la mort. Pour faire face à cette menace, les Juifs du ghetto préparaient une résistance armée. L’Organisation juive de combat (Żydowska Organizacja Bojowa, ou ŻOB) est parvenue à communiquer avec armée de l’Intérieur polonaise en dehors du ghetto afin de planifier une attaque coordonnée le moment où les Allemands essaieraient de vider le ghetto de ses occupants. Lorsque les Allemands sont entrés dans le ghetto le 19 avril 1943, les Juifs se sont cachés dans les bunkers, tandis que les combattants de la ŻOB ouvraient le feu sur les Allemands à l’aide d’armes introduites clandestinement dans le ghetto. L’attaque a pris les Allemands par surprise, et l’affrontement a duré près d’un mois. Mais les armes des combattants résistants ne faisant pas le poids face à l’arsenal nazi, la plupart des Juifs ont été capturés et bon nombre d’entre eux tués quand l’armée allemande a mis le feu au ghetto.

S’il est vrai que le ghetto de Varsovie a été entièrement détruit, le soulèvement a néanmoins ouvert la voie à d’autres actes de résistance juive.

« Nous avons vécu ainsi, en nous cachant, jusqu’au 19 avril 1943, la veille de la Pâque juive, ou Erev Pessaẖ, et le premier jour du soulèvement du ghetto de Varsovie. Ce jour-là, une alerte a été lancée. Quelques appartements dans l’enceinte, notamment ceux des médecins et d’autres personnes jugées importantes, étaient encore équipés de téléphones en état de fonctionnement, si bien que la résistance clandestine polonaise résistance juive, à l’extérieur, en lien avec la résistance juive, a pu nous avertir que les nazis s’apprêtaient à déporter tout le monde. À cette époque, il y avait déjà de nombreux bunkers dans le ghetto. Nous en avions aménagé un sous les ruines amoncelées devant notre bâtiment. Le concierge et les hommes de notre immeuble, y compris mon père, l’avaient creusé, créant une entrée au centre, encadrée de deux pièces. Ils ne voulaient pas abandonner et être capturés par les Allemands. Ils y avaient donc stocké des vivres et installé l’eau et l’électricité ainsi que des bouches d’aération, de telle façon que personne ne pouvait rien détecter de l’extérieur. Mon père et ma mère nous avaient préparés, ma sœur et moi, au moment où nous devrions y aller. Ils nous ont dit que, lorsque le temps serait venu d’entrer dans le bunker, il ne faudrait pas poser de questions et agir au plus vite. » - Pinchas Gutter, Dans la chambre noire
« Un des immeubles du ghetto les plus proches du mur d’enceinte avait été frappé par un obus incendiaire. Il était entièrement la proie des flammes. Et comme personne n’avait tenté de maîtriser l’incendie, le bâtiment menaçait de s’écrouler d’un moment à l’autre. Soudain, quelqu’un a crié : « Une femme ! Une femme ! Elle va sauter ! » J’ai tourné la tête pour la voir, comme tout le monde, et c’est alors que j’ai été témoin de la scène qui deviendrait l’une des photographies « officielles » du soulèvement du ghetto de Varsovie, probablement prise par un Allemand. Enveloppée dans un drapeau, la femme se tenait sur le toit de l’immeuble. Les flammes léchaient ses pieds, elle a crié quelque chose que je n’ai pu saisir, puis s’est jetée dans le vide aux cris d’horreur de la foule. » - Arthur Ney, L’Heure W
Dans le sens des aiguilles d’une montre, à partir du haut : (1) Une femme juive tente de s’échapper d’un bâtiment en feu. Varsovie, Pologne, 1943. (2) Un enfant se cache dans un bunker, sous un tas de journaux. Varsovie, Pologne, 1943. (3) Des soldats SS surveillent des Juifs arrêtés l’arme à la main lors du soulèvement du ghetto. Varsovie, Pologne, 1943. (4) Personnes sorties de force d’un bunker lors du soulèvement du ghetto de Varsovie. Pologne, 1943. (5) Combats de rue lors du soulèvement du ghetto. Varsovie, Pologne, 1943. Source : Yad Vashem.

Après la destruction du ghetto

Des centaines de Juifs sont restés cachés dans le ghetto suite au soulèvement, et près de 20 000 d’entre eux ont réussi à passer de l’autre côté du mur.

Plus tard, après l’anéantissement du ghetto, la capitale polonaise allait être détruite par les flammes au cours de l’Insurrection de Varsovie d’août 1944. Lors de sa libération par l’armée soviétique, la ville comptait environ 11 500 Juifs sur une population totale de 174 000 habitants.

Aujourd’hui, seul un pan du mur d’enceinte témoigne encore de l’existence du ghetto. Un monument commémoratif est érigé sur le site de l’𝑈𝑚𝑠𝑐𝘩𝑙𝑎𝑔𝑝𝑙𝑎𝑡𝑧, la place d’embarquement où les Juifs de Varsovie étaient rassemblés avant d’être déportés. Le monument sert à se remémorer la destruction d’une communauté autrefois florissante, et les centaines de milliers de personnes tuées dans le ghetto ou dans des camps de mise à mort comme celui de TreblinkaLe public continue de visiter ces sites pour ne pas oublier les Juifs de Varsovie, et pour commémorer, 75 ans plus tard, le soulèvement du ghetto de Varsovie.

Cérémonie commémorative sur le site du monument érigé en hommage au soulèvement du ghetto de Varsovie après la guerre. Varsovie, Pologne. Source : Yad Vashem.