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Décembre 1999: la "tempête du siècle" balayait la France En décembre 1999, les tempêtes Lothar puis Martin frappèrent la France. 92 morts, des forêts détruites, des français traumatisés, ... Retour sur cet ÉVÉNEMENT météorologique hors-normes.

Le 26 décembre 1999 restera gravé dans la mémoire des Français. Tôt ce jour-là, la tempête Lothar s’abat sur la France, de la Bretagne à la Lorraine en passant par l'Ile-de-France. Une très grande partie du pays est touchée par des vents dépassant les 100km/h. "Les vents les plus forts ont approché les 180 km/h" relate Météo-France avec une pointe à 173 km/h enregistrée à Saint-Brieuc.

Les météorologistes précisent :

Lothar fonce sur la France et arrive en baie du Mont-Saint-Michel le 26 en fin de nuit. Puis la tempête traverse le nord de la France le 26 en matinée. Sa vitesse de déplacement est remarquable et dépasse les 100 km/h.

Les vents étaient particulièrement violents car il s’agissait là d’une dépression dite « creuse » : des pressions atmosphériques (mesurées en hPA – hectopascals) très variables mesurées à des distances très rapprochées.

Au lendemain du passage de Lothar, c'est la tempête Martin qui frappe le pays de la Bretagne à l'Alsace en passant par la Franche-Comté. Le bilan humain est lourd après le passage de ces deux événements météorologiques hors-normes : 92 victimes en France et 140 en Europe. A l'heure actuelle, ces deux dépressions forment encore la plus grosse tempête hivernale que la France ait connue en plus de 30 ans.

Cette famille de la Manche s'est retrouvée les pieds dans l'eau (©Archives La Presse de la Manche)

Des dégâts considérables

C'est en Bretagne que la dépression a commencé sa route, causant de nombreux dommages sur son passage. Les habitants de Saint-Malo se sont réveillés avec les images d'une ville meurtrie : arbres couchés sur les voitures, bateaux échoués. Plus dramatique encore : la tempête Lothar a fait deux morts dans la cité, rapporte le Pays Malouin. Du côté de Fougères, la tempête a marqué les esprits et les paysages. Interrogé par la Chronique Républicaine, un habitant se souvient de cette nuit là :

La tempête nous a amené en une nuit autant de sinistres à couvrir qu'en un an.

Sur le secteur, la forêt domaniale de Fougères fut profondément touchée : trois cents hectares affectés, soit 200 000 plants et plusieurs centaines de hêtres centenaires jetés à terre. En une nuit 100 000 mètres cubes de bois furent abattus, soit l'équivalent de dix ans de production de bois.

Toiture arrachée, arbres découpés... En Bretagne, la tempête Lothar a causé de nombreux dégâts (© La Chronique Républicaine/Le Pays Malouin)

Dans le département de la Manche en Normandie, les habitants se réveillent d'abord les pieds dans l'eau. Puis, tôt, le 26 décembre, des rafales de vent balaient le coin. Cet agriculteur découvre une de ses vaches, morte après avoir été heurtée par son hangar qui s’était envolé à cause du vent. « Quand je me suis levé, je n’en ai pas cru mes yeux. La vache était coincée sous des tôles. J’ai réussi à l’extraire. Et puis, la pauvre bête a voulu marcher, mais trois pas plus loin, elle est tombée raide morte » relatait-il à La Presse de la Manche. 120 000 abonnés, sur 250 000, ont été privés d’électricité. 850 poteaux électriques ont été brisés et 220 km de lignes haute et basse tension ont été endommagées. Deux morts sont à déplorer dans le département.

Toujours en Normandie, la tempête a surpris des habitants. Dans le sud de l'Eure, un bâtiment de 2500 m² s'est effondré, des tuiles ont été arrachées. Une mini-tornade a également été enregistrée en Seine-Maritime

Des inondations impressionnantes ont surpris les habitants de nombreux quartiers de Cherbourg (©Archives La Presse de la Manche)

« Lothar » s'abat également sur Versailles. Et ce, pendant deux heures. Un véritable désastre... Sous l'effet des vents soufflant à 210 km/h, plus de 18 500 arbres seront touchés, fendus, déracinés au point de devoir être abattus, sur un total de 350 000. Des arbres historiques sont alors définitivement perdus comme le tulipier de Virginie, planté sous Marie-Antoinette et le pin de Corse, dernier témoin du séjour de Napoléon Ier au Petit Trianon, explique 78actu.

Des allées, routes, murs, grilles et canalisations, seront abîmés. Le château lui-même sera touché : dizaines de vitres brisées, éléments de toiture arrachés.

Vue aérienne du parc du Trianon (à gauche) et du bosquet de l’Obélisque après le passage de la tempête Lothar (© EPV)

Au total, la facture s'élèvera à 20 millions d’euros de travaux sur le domaine de 800 hectares et à 15 millions sur le château et ses bâtiments. « La tempête passée, tout le monde était figé devant le spectacle de désolation; personne ne parlait, certains pleuraient devant les arbres arrachés, les trous béants », rapporte Samantha Boersma, alors chargée de la communication, à l'AFP. La photo du parc du Grand Trianon dévasté fera la une du New York Times.

La dépression a poursuivi sa route jusqu'à l'est du pays. Les deux-tiers des 600 hectares de la forêt communale de Weitbruch (Bas-Rhin) ont été ravagés par la « tempête du siècle ». "En deux heures de temps... C'était dramatique" , se souvient Pierre Geldreich, aujourd'hui directeur de l'agence travaux Rhin Vosges de l'Office national des forêts (ONF) qui évoque même la "tempête du millénaire", un "traumatisme terrible" pour les forestiers de l'époque.

Ils se souviennent du jour où "Lothar" est apparue

Le toit d'un lycée s'écrase sur leur maison

Stéphane Huvé était à Alençon (Normandie) pour fêter Noël. Dans la nuit du 25 au 26 décembre 1999, le vent, mesuré à 166 km/h, avait arraché environ 600 m2 du toit d'un lycée situé à 150 mètres à vol d’oiseau de la maison de ses parents. Un bloc entier de 400 m2 de la toiture de l’établissement scolaire avait ainsi « volé » quelques mètres avant de s’écraser… Sur le toit du couple Huvé.

"Je me souviens avoir entendu un vrombissement, sans comprendre de quoi il s’agissait". Stéphane Huvé n’a pas vraiment eu le temps de s’interroger puisque l’instant d’après : « il y a eu ce boucan d’enfer. Dès lors, c’est l’incompréhension. Le chaos ».

Les quatre occupants de la maison se lèvent spontanément. Dans la nuit noire, Stéphane sort de la maison. "Et là, j’ai vu un truc… Je me suis demandé d’où ça venait… Je ne comprenais pas. J’ai pris du recul et j’ai balayé ma lampe torche sur la structure. J’ai vu de la tôle, des poutres métalliques et de la laine de verre, j’ai compris que c’était une toiture. Mais d’où venait-elle ? ».

Le père de Stéphane, qui avait travaillé dans le bâtiment n’a eu aucun doute. « Il m’a dit : « ça, c’est le lycée » On était stupéfait par la distance que ce bloc solidaire de toiture avait parcourue ».

"Le lit tremblait"

Dans l'Eure, les patrons d'une discothèque se souviennent de ce matin-là : « A 6h30, nous sommes rentrés chez nous, ça soufflait très fort. Une heure après, le maire de Colletot nous a appelés pour un petit problème de toiture. Quand on est arrivé, je crois que l’on est resté au moins une heure sans bouger dans la voiture tellement on était sous le choc. Une heure plus tôt, il aurait pu y avoir des blessés. Dans notre malheur, on a eu de la chance. »

D’autres habitants de la région se remémorent cette nuit inoubliable. Guilaine : « On a tellement eu peur. J’ai été réveillée par cette tornade. Le lit tremblait. Des tuiles sont tombées sans faire trop de dégâts. En ouvrant la porte, on a aperçu le tourbillon qui avançait à une vitesse… Deux vieux pommiers ont été arrachés. C’était impressionnant ! ».

Disneyland a fermé ses portes

Ça n'était jamais arrivé ! Pour la première fois depuis sa création, le parc est fermé au public.

A son arrivée dans les coulisses, l’atmosphère est bizarre. Anne, employée dans les boutiques de Disneyland Paris, récupère son costume mais il y a peu de monde.

"C’était le désert ! Il n’y avait pas un chat, pas un client, pas un employé. Je me suis dit qu’il se passait quelque chose. J’étais comme dans la quatrième dimension. »

Sur la place du château de la Belle au Bois Dormant, des poteaux immenses s’étaient couchés. La tente du restaurant Pizza Planet s’était envolée et avait été retrouvée sur l’autoroute A4. Le toit, en verrière, du centre de réservation, s’était écroulé. Un bus, amenant le personnel au parc, était tombé dans un fossé. A cause du vent, « les employés devaient tenir les fenêtres pour qu’elles ne se cassent pas ».

Anne et d’autres employés ont rejoint à pied la cellule de crise installée dans les backstages de Main Street. « Il y avait 10 000 téléphones qui sonnaient en même temps. Des gens de la sécurité répondaient sans arrêt. » Finalement, elle est appelée en renfort dans la boutique de l’hôtel Santa Fe. « Les clients étaient confinés dans les hôtels. Evidemment, ils allaient acheter des jeux de cartes pour s’occuper. Nous avons été rapidement en rupture de stock ! »

Dix ans après, Anne se souvient parfaitement de ce jour. « Nous avons fermé seulement pendant 24 h. » Elle évoque un sentiment de « choc » et de « surprise » en se replongeant dans ses souvenirs.

Un hangar mis à terre

La famille Paillusson, installée en Loire-Atlantique, souhaitait déplacer de quelques mètres son hangar agricole pour libérer de la place dans sa cour. Nous sommes début décembre 1999. Une opération hors normes pour laquelle elle va bénéficier de l’aide de près de 200 volontaires ! Le jour J, près de 200 « gros bras » s’étaient donc donné rendez-vous à la Vacherie.

"Il fallait que tout le monde soit synchro. Et il fallait des gars qui fassent à peu près la même taille. Moi, je ne portais pas mais j’étais chargé de surveiller l’un des poteaux, pour vérifier qu’il reste dans l’axe…"

Parfaitement préparée, l’opération ne prendra au final que quelques petites minutes, cet après-midi-là. Et s’achèvera sur un pot de l’amitié bien mérité !

Seulement voilà… Moins de deux semaines plus tard, la tempête allait anéantir ce beau mouvement de solidarité agricole.

"La veille, papa avait placé un petit tracteur derrière le hangar, pour le tenir un peu, au cas où. Mais ça n’a pas suffi. On a constaté le matin que le hangar s’était effondré comme un château de cartes… pile à l’endroit où il se trouvait avant son déplacement !"

Coincée sur l'île de Noirmoutier

Patricia était jeune journaliste à l'époque. Elle se souvient parfaitement de ce jour-là : « Le jour de la tempête, j’étais à Noirmoutier pour rencontrer les bénévoles œuvrant sur les plages (après le naufrage de l'Erika). Une journée passée sous la pluie battante, au gré des chantiers. Ce n’était pas la joie, juste après ce Noël 99. Puis, le vent s’est mis à souffler dans l’après-midi de plus en plus fort. Puis, une grosse panne d’électricité survient. Comme je suis restée dehors par ce temps, je suis trempée jusqu’à l’os et je n’ai qu’une envie : repartir chez moi, à Saint-Nazaire".

Mais au moment de repartir vers le continent, un pompier lui signale que le pont est fermé, qu’un camion est couché sur toute la largeur et qu’on ne peut plus partir.

"Il me dit que peut-être la circulation reprendra vers 23 h, mais sans certitude en raison de la tempête annoncée. Il me conseille de passer la nuit sur place". Patricia ne sait pas où aller et envisage de prendre une chambre dans un hôtel. Elle appelle alors un de ses collègues dont le père vit sur l'île

"Je tâtonne un peu pour trouver la bonne maison. Je vais à la rencontre de celui qui va m’héberger. Sa femme me fait une soupe de légumes… Heureusement, ils ont une gazinière ! Mais plus de chauffage. Je mets mes vêtements à sécher devant la cheminée et on me prête une tenue de jogging. Et toute la nuit, le vent va souffler très fort…"

Au réveil à 6 h du matin, le camion a été dégagé mais la route est jonchée de branches parfois très grosses. " J’ai mis deux heures pour rentrer chez moi. »

Les jours d'après

Au total, 140 millions de m3 de bois ont été détruits en France, selon l'ONF, l'équivalent de plus de trois années de récolte. Cela correspond à au moins 25 années de récolte pour la forêt de Weitbruch. Plutôt que de débroussailler au plus vite et de replanter immédiatement, l'office gestionnaire des forêts publiques avait fait le choix inédit de privilégier la « régénération naturelle ».

Avec un mot d'ordre: « attendre et observer cinq à dix ans », explique Pierre Geldreich, puis « accompagner » le développement d'une forêt moins dense et plus variée en espèces. "Il y a une dynamique naturelle, la nature a horreur du vide."

Interrogé par le Réveil Normand, Eric Hincelin, ingénieur forestier au Centre régional de la propriété forestière (CRPF) de Normandie, reconnaît que si une telle tempête s’abattait à nouveau sur notre pays, on aurait malheureusement les mêmes effets qu’en 1999. Il faudrait alors faire face aux mêmes conséquences et contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, on n’y serait pas plus préparés aujourd’hui qu’il y a vingt ans. « C’est comme pour les risques industriels, si on ne fait pas régulièrement des exercices, on ne sait pas faire face quand l’accident arrive. Vingt années ont passé, les gens ont oublié »

Les forêts ont été particulièrement impactées par la tempête Lothar (Archives Le Réveil Normand)

Une tempête aussi exceptionnelle que celle-ci pourrait-elle se reproduire dans les années à venir ? Possible. Le changement climatique actuel et futur (2 à 7 °C de température moyenne d’ici la fin du siècle) laisse présager une accélération de la formation des cyclones dans les différents océans. Jean-Pierre Duvéré, météorologue détaille à la Dépêche de Louviers :

Pour qu’un cyclone se forme, il faut que l’eau et l’air en contact soient à la même température, autour de 27 °C. Avec le changement climatique, ce sera nettement plus fréquent d’avoir une eau en plein milieu de l’océan à cette température, y compris dans l’Atlantique.

Vingt après, la nature a pansé ses plaies, mais les Français ne sont pas prêts d'oublier ce lendemain de Noäl, aux allures apocalyptiques.

Ce long en format a été réalisé par la rédaction d'Actu.fr, en collaboration avec les équipes du Pays de Retz, du Pays Malouin, de la Chronique Républicaine, de 78 actu, du Journal de la Marne, de La Presse de la Manche, du Réveil Normand, du Publicateur Libre, de l'Eveil de Pont-Audemer, de la Dépêche de Louviers, du Réveil de Neufchâtel et de l'Orne Hebdo.

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