Loading

Au grand bain du solidaire avec l’équipe de Petit Bain par Arnaud Idelon & La FEDELIMA

Sur Seine et ailleurs, plongée dans le monde du social, de l’humanitaire et de l’insertion professionnelle à Petit Bain

Depuis 2011, année à laquelle la fringante barge imaginée par le collectif d’architectes Encore Heureux - commissaires de la dernière Biennale d’Architecture de Venise - est amarrée au Port de la Gare, sous l’œil austère des quatre tours voisines de la BNF, Petit Bain a su se faire une place dans l’océan rouge des scènes de diffusion musicale à Paris. Son projet culturel et artistique est sans doute le plus visible, mais l’équipe s’engage sur plusieurs fronts pour l’action sociale, humanitaire et l’insertion professionnelle.

La barge abrite sur trois étages des bureaux, un restaurant, un rooftop et une salle de concert d’une capacité de 450 places et se positionne avant tout comme une salle de concert cultivant son professionnalisme. “En étant sur l’eau, il y a souvent le cliché de la barge qui organise quelques concerts, mais dans des conditions souvent perfectibles, tant dans le son que dans la visibilité. Une salle de concert sur l’eau en partant de zéro” nous glisse Laurent Décès, directeur délégué de Petit Bain. Pourtant le côté flottant est au cœur de l’histoire et de l’identité de Petit Bain tout comme l’attachement à ce bout du 13ème arrondissement.

Port d’attache & piraterie

Petit Bain constitue en effet le troisième acte d’une longue histoire corsaire sur la Seine, puisque l’association Guinguette Pirate dont est issue Petit Bain est déjà à l’origine du projet culturel de deux autres embarcations : la Guinguette Pirate (devenue aujourd’hui Dame de Canton) et le réputé Batofar. “En 95, il n’y avait absolument rien, c’était plutôt un endroit mal famé, la passerelle Simone de Beauvoir n’existait pas, la BNF venait juste d’être posée. Aujourd’hui, on voit des immeubles sortir de terre de partout. C’est un fil rouge chez GP : imaginer de la vie dans des endroits où il n’y a pas grand chose”. Alors locataire des lieux, l’association gère la programmation des lieux tout en restant dépendante d’une propriétaire gardant la main sur la partie économique. De 1995 à 2006, l’association “fait ses armes” et programme nombre de groupes indépendants parisiens, dont les premières dates de certaines têtes d’affiche. En 2006, les pirates s’émancipent et décident de se lancer dans un projet dont ils auraient la totale maîtrise. Ils répondent ainsi à un appel à projet porté par Port de Paris qu’ils remportent. Le projet initial penche pour la réhabilitation d’une barge existante, mais l’équipe se ravise et décide de partir de zéro pour construire un équipement ad hoc, en phase avec ses ambitions du moment. 2006 marque un nouveau cap et permet de “passer d’une asso porteuse d’un projet culturel dans un cadre assez contraint à un projet qui est devenu aussi entrepreneurial. Il a fallu investir près de 2 millions d’euros pour construire la barge, avec 50% de soutien de la puissance publique, et 50% d’emprunts d’où une certaine prise de risque ». Les premières années sont balbutiantes, on teste, on ajuste, on reformule du pont à la soute. “Au début, on avait pas vraiment le mode d’emploi du bateau, il a fallu calibrer le projet” glisse Laurent.

"En 1995, il n’y avait absolument rien, c’était plutôt un endroit mal famé, la passerelle Simone de Beauvoir n’existait pas, la BNF venait juste d’être posée. Aujourd’hui, on voit des immeubles sortir de terre de partout. C’est un fil rouge chez GP : imaginer de la vie dans des endroits où il n’y a pas grand chose", Laurent Decès

Rythme de croisière

Depuis 2015, Petit Bain a atteint son rythme de croisière en ayant “trouvé sa place dans l’écosystème parisien et national”. Le lieu est porté par une Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC) qui rassemble membres fondateurs, partenaires, fournisseurs et salariés au sein de différents collèges. Principe démocratique : chaque personne dispose d’une voix dans la gouvernance de la coopérative même si le fonctionnement par collèges pondère un peu le poids de chacun. Le passage à la coopérative naît d’un choix à la fois logistique - la constitution en société commerciale permet d’asseoir une certaine légitimité vis-à-vis des partenaires financiers et dote le projet d’un capital initial - et idéologique en s’inscrivant dans le spectre de valeurs de l’économie sociale et solidaire. « On souhaitait conserver à la fois une gouvernance démocratique et des valeurs ESS (...) C’est une vraie richesse qu’apporte le fonctionnement en coopérative que de pouvoir permettre à des personnes de tout horizon de s’impliquer sur un projet commun » précise Laurent qui déclare laisser la porte ouverte à des partenaires publics au sein de la coopérative. L’équipe de salariés, répartis entre le pôle production, bar/restauration et technique, compte 25 équivalents temps plein, avec une gestion collectivement assumée des activités de programmation. Une équipe complémentaire - dont la moyenne d’âge avoisine les 30 ans. Rien de trop selon Laurent pour assurer les 250 dates dans la cale et les 200 événements gratuits sur le pont, ainsi que les actions culturelles et événements hors les murs et garder la “soif de sans cesse réinventer des projets qui soient surprenants et enthousiasmants”.

« On souhaitait conserver à la fois une gouvernance démocratique et des valeurs ESS (...) C’est une vraie richesse qu’apporte le fonctionnement en coopérative que de pouvoir permettre à des personnes de tout horizon de s’impliquer sur un projet commun »

Le volet social de Petit Bain : dispositifs d’insertion et action socioculturelle multipartenaires

“Être en phase avec notre époque, au niveau artistique, culturel et sociétal” c’est la ligne défendue par l’équipe qui dénombre deux saisons pour la barge en termes de fréquentation : “Au quotidien, le premier vecteur de venue du public, c’est l’artiste. Ça serait vraiment prétentieux de penser que le public vient à Petit Bain parce que c’est Petit Bain. En période estivale en revanche, c’est beaucoup pour le cadre, être au bord de l’eau ça reste toujours une expérience atypique pour les publics” résume Laurent qui fait état d’une volonté, à présent que le projet se stabilise, de sortir des murs de la barge. Le projet initial est marqué par la volonté d’adresse à des publics plus fragiles ou exclus, “que ce soit sur de l’insertion ou sur les droits culturels” explique Laurent et repose sur trois piliers : le culturel, l’économique (bar/restauration pour créer les conditions d’autonomie du lieu) et un volet social central malgré une communication moindre sur les actions qui en découlent de la part de Petit Bain. Les premières années, Petit Bain dispose ainsi d’un agrément d’entreprise d’insertion et emploie quelques personnes exclues de l’emploi sur des postes allant de l’entretien à la restauration en passant par les métiers techniques. Parmi eux, Farid, embauché depuis. Mais l’agrément est suspendu en 2016 quand le dispositif se reporte vers des entreprises de plus grands effectifs, fragilisant l’activité sociale de Petit Bain qui se reporte sur d’autres actions. L’année suivante, Petit Bain est le fer de lance sur la Région Île-De-France du dispositif H.O.P.E (Hébergement Orientation Parcours vers l’Emploi) qui consiste en un programme de formation professionnelle aux métiers techniques du spectacle destiné à 12 travailleurs réfugiés parmi 12 structures franciliennes dont la Station - Gare des Mines (Paris, 18ème), Marbrerie (Montreuil) ou encore La Clef (Saint-Germain-En-Laye). En partenariat avec l’AFDAS, Pôle Emploi et le CFPTS, le dispositif ouvre à une formation qualifiante aux métiers d’électricien bâtiment option spectacle pour les stagiaires qui passent trois mois et demi en entreprise et trois mois et demi en centre de formation, disposant d’un logement et d’une rémunération. À Petit Bain, Aziz, d’origine afghane assiste Amaury le directeur technique. Mais si une ou deux structures parmi les douze se déclarent prêtent à prolonger le contrat des stagiaires, le dispositif s’avère plus complexe que projeté au départ. “D’une structure à une autre, ça peut se passer de manière idyllique comme ça peut devenir très compliqué (...) aux compétences professionnelles, il faut prendre en compte des problématiques sociales »

"Notre engagement dans le social et l’ESS nous avait permis de tisser des liens avec des acteurs du champ de la solidarité et de l’exclusion : Emmaüs, Aurore, SOS Méditerranée. Quand on a voulu faire quelque chose, on s’est dit que l’endroit où nous on pouvait intervenir c’était l’endroit artistique et culturel, que ce n’était pas notre métier que de fournir un toit, des vivres, etc. La dimension culturelle était un élément manquant, alors qu’en termes d’intégration et d’affirmation de soi c’est un besoin essentiel"

Le projet Welcome

Petit Bain prolonge son engagement auprès des personnes en situation d’exil avec Welcome depuis 2016. Camille Rossignol, chargée de production au sein de l’équipe et engagée sur le projet, en divulgue la genèse, informelle et bricolée, en 2014 dans les locaux du centre d’accueil d’urgence l’Archipel géré par l’association Aurore dans le 8ème arrondissement de Paris. Très vite naît dans l’équipe la volonté de renouveler l’expérience à destination de personnes qui resteraient plus longtemps en centre d’accueil. C’est chose faite en 2016, cette fois à la Porte de la Chapelle avec Emmaüs Solidarité. « Notre engagement dans le social et l’ESS nous avait permis de tisser des liens avec des acteurs du champ de la solidarité et de l’exclusion : Emmaüs, Aurore, SOS Méditerranée. Quand on a voulu faire quelque chose, on s’est dit que l’endroit où nous on pouvait intervenir c’était l’endroit artistique et culturel, que ce n’était pas notre métier que de fournir un toit, des vivres, etc. La dimension culturelle était un élément manquant, alors qu’en termes d’intégration et d’affirmation de soi c’est un besoin essentiel » déclare Laurent qui se dit concerné, même si la situation géographique de Petit Bain ne le place pas en confrontation directe avec cette réalité. “Même si l’on en est éloignés géographiquement par rapport à d’autres lieux de Paris, c’est une situation de crise migratoire dont on fait tous l’expérience. Au-delà du lieu, ce sont ces questions qui touchent à l’humain et à la société.” L’équipe s’engage quant à elle sur la base du volontariat, sur le temps de travail effectif, en fonction des affinités. Pour Camille, le projet Welcome a apporté quelque chose de plus dans sa pratique professionnelle. “Pour avoir travaillé avant dans le socioculturel, j’avais cette envie de ce genre de projet que je ne retrouvais pas forcément au quotidien à Petit Bain”.

On retrouve Camille, aux côtés de Yann, l’ingénieur son de Petit Bain et Aziz en soutien technique, le 16 octobre dernier au Centre d'Hébergement d’Urgence d’Ivry-sur-Seine. Il pleut des cordes dans cette petite ville sur pilotis nichée au cœur d’une zone d’activité, parmi les 450 personnes hébergées, peu s’aventurent dehors, mais la dizaine de yourtes au centre de la cour sont occupées par des enfants et adolescents qui s’adonnent à des activités proposées par les équipes d’Emmaüs Solidarité ou à d’autres jeux plus spontanés.

Direction la yourte 7 où le MC californien Raashan Ahmad donne un concert avec deux de ses musiciens (flûte, guitare & voix). À l’abri de la pluie, dans la salle occupée essentiellement d’enfants - puis, à mesure, de grandes sœurs, de grands frères et à leur suite de parents - la température monte en flèche avec le phrasé supersonique de Raashan Ahmad qui fait lever tout le monde.

On continue avec des balades à la guitare en wolof (dialecte sénégalais), du spoken word acapella, Raashan Ahmad prenant un malin plaisir à varier les rythmes et les intensités. Un adolescent vient slamer au micro en afghan, puis c’est au tour d’une membre d’Emmaüs Solidarité de chanter en iranien, avec quelques partenaires de voix qui la rejoignent parmi l’assemblée. Raashan Ahmad lance le dernier morceau et une bonne partie du premier rang rejoint les musiciens pour danser. Apothéose de sourires et de joie fébrile pour saluer la fin du concert. Et sous les applaudissements, on discerne “Une autre, une autre, une autre !”

À présent l’équipe de Petit Bain programme un concert par mois - parfois davantage - au sein de deux centres d’accueil gérés par Emmaüs Solidarité, à Ivry et dans le 19ème arrondissement. Échange de bons procédés, Petit Bain fournit la programmation, un peu de matériel et une équipe (un ingénieur son, un régisseur, un référent Petit Bain) tandis qu’Emmaüs Solidarité met à disposition un camion, achète du matériel et finance une partie du projet au même titre que la Ville de Paris et la DRAC Île-de-France. Démarré sur fonds propres, Welcome a su trouver des co-financements (une ligne du ministère du Logement la première année). “On s’est dit que si un jour on avait plus de financement et encore un peu d’énergie, on pourrait faire un crowdfunding parce que c’est le genre de projets qui fédèrent (...), mais je considère quand même que ce sont des questions sur lesquelles la puissance publique doit se positionner”.

Côté artistes, ils sont nombreux à adhérer au projet et à vouloir se produire dans d’autres lieux que des salles de concert. Camille se souvient du premier concert avec le rappeur Batty, descendu dans la fosse au milieu de tous, et l’enthousiasme de l’artiste. Malgré leur engagement, il n’est pas question de court-circuiter un cachet minimum (100 euros net par artiste), le même pour tous indifféremment du degré d’avancement des carrières, pour “rémunérer à juste titre la création”. Camille cherche à créer des liens entre la cale de Petit Bain et les centres d’accueil d’Ivry et du 19ème afin de tendre à une “cohérence entre ce qu’on fait dans et hors-les-murs” même si elle met l’accent sur des artistes davantage “world”. “Les formats doivent être en un sens consensuels et festifs, on ne fera pas du noise ultra expérimental. Cela dit, pas certain non plus qu’on remplisse Petit Bain avec du noise” nuance à son tour Laurent. L’étape suivante pour Camille, créer des temps forts Welcome à Petit Bain et faire se croiser les publics. Une trentaine de personnes extérieures sont présentes sur les dates en centre d’accueil, et l’équipe de Petit Bain convie par petits groupes les publics des centres d’accueil sur la barge. “C’est un travail de longue haleine de réussir à créer des liens avec ces publics-là grâce à des intermédiaires dont c’est le métier de prendre en charge au quotidien les exilés. L’essentiel c’est la rencontre, puis la confiance, pour que tout le monde se sente légitime à être dans le lieu dans sa configuration d’exploitation ; ça prend du temps, et ça reste extrêmement complexe" résume Laurent.

Credits:

Bartosch Salmanski