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Le psy: "On ne leur met pas tout de suite l’étiquette de victime" Charles Delord, psychologue au Centre communal d’action sociale de la Ville de Nice, accompagne depuis 10 ans des enfants de femmes battues. Il décrypte.

Le psychologue Charles Delord suit, depuis 10 ans, les enfants du centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) pour femmes battues de la Ville de Nice. Un refuge pour les femmes en danger.

Elles y posent leur vie en morceaux, leurs mômes, leurs maux, et leurs mots, des fois. Elles restent 18 mois en moyenne. Le temps de se reconstruire un peu. Le temps de trouver la force de repartir. Entretien.

  • De quels troubles souffrent ces enfants?

Chaque enfant a sa manière d’inscrire ses symptômes. Cela peut s’exprimer tout autant dans l’alimentation, la sociabilité, l’école, les peurs, le sommeil. Cela peut être dans sa manière de parler, dans sa manière de ne rien dire aussi ou de ne jamais pleurer. Et puis parfois, il n’y a rien. C’est comme le stress post-traumatique, il peut y avoir des délais de latence avant que la souffrance remonte.

  • Comment les abordez-vous?

On ne leur demande pas de poser des mots tout de suite. On ne leur met pas tout de suite l’étiquette de victime. On a pris le parti d’entrer dans le monde de l’enfant et de chercher avec lui une porte à sa taille. On joue avec lui. On est dans une relation singulière. On le reconnaît, on l’écoute, on essaie de voir ce qu’il vit. Parfois, c’est la première fois qu’on s’intéresse à lui… On lui propose des moyens d’expression. Pour certains, c’est le dessin. Pour d’autres, le théâtre. On a aussi une éducatrice qui anime des ateliers philosophie, et, là, les enfants se racontent entre eux: "Moi, mon papa, il a fait ça…"

  • Avez-vous croisé des enfants "fichus"?

Rien n’est fichu avec un enfant. Certes, il est à la merci de cette histoire de violence mais il est plein de ressources. Il a un rapport bien plus direct que l’adulte à la liberté. L’enfant est un bricoleur, on doit respecter sa manière de bricoler son histoire même si l’étagère est bancale. Je me souviens d’une petite fille qui parlait peu, qui était très effrayée. Les médecins étaient très inquiets. Au début, elle se cachait. Puis, elle a commencé à répéter tout ce que disait une autre petite fille du centre. Puis, elle a imité une autre enfant qui faisait les quatre cents coups. Et puis, enfin, elle a réussi à s’affirmer, à être elle.

  • Être soi, rester un enfant, c’est compliqué quand on vit entre un père violent et une mère détruite psychologiquement?

L’enfant aime ses parents. Dans cette histoire de violence, il cherche un rôle. Parfois, il protège sa mère. Le plus souvent, il se sent coupable de cette violence. C’est dur…

  • Les pères ne peuvent pas accéder au centre. Ils n’en ont d’ailleurs pas l’adresse pour protéger les femmes. Peut-on grandir sans père?

Un jour, pendant une consultation, une petite fille me caresse la joue et m’appelle "Papa". Je lui dis "Je ne suis pas ton papa, tu as un papa". Ce père, même s’il est absent, reste inscrit dans l’histoire. Il ne faut pas l’éliminer de l’équation. Nous insistons pour que l’enfant ait au moins une photo de son père, que sa mère puisse lui parler de son père. D’ailleurs, très souvent, ce père leur manque. C’est complexe mais on peut avoir peur de quelqu’un, et en même temps l’aimer et le rêver.

  • Ces pères violents sont parfois d’anciens enfants violentés, ou d’anciens enfants témoins de violences…

Oui, il y a parfois des schémas de reproduction de ce qui a été vécu dans l’enfance. Mais pour mille histoires de violences, il y a mille chemins. Chaque histoire est singulière. Il n’y a qu’à entendre le rire d’un enfant pour le savoir...

Created By
Laaure Bruyas
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Credits:

Photo Cyril Dodergny