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Dans les foulées de Landing Sadio Rencontre avec landing sadio, réfugié sénégalais depuis octobre 2019, qui commence une nouvelle vie à Argentan (orne) grâce à l'athlétisme.

Arrivé à Argentan, dans l'Orne, après un an et demi d'exil depuis le Sénégal, Landing Sadio a obtenu le statut de réfugié en octobre 2019. Il a fait preuve de courage et d'humilité pour s'intégrer, avec l'aide précieuse des associations de la ville ; notamment de la Bayard, le club d'athlétisme.

« S’il réussit cette séance, j’en suis sûr, il va aux championnats de France l’été prochain. » Il, c’est Landing Sadio, un athlète de 33 ans arrivé à Argentan en 2018. Celui qui parle, Lucas Baloche, l’un de ses entraîneurs au club de la Bayard. Ses yeux froncés en disent aussi long que sa déclaration, et lancent un défi à quiconque en douterait : Landing a en lui toutes les ressources pour y arriver.

Quatre ans après son départ du Sénégal, Landing Sadio vient d'emménager dans son nouvel appartement.

Pour ce nouveau spécialiste du 400 m sur piste, devenir champion de France représenterait bien plus qu’une victoire : ce serait un symbole, le signe qu’il a bel et bien trouvé sa place dans ce pays qui l’accueille. Car Landing est un réfugié. Ce mois d’octobre 2020 marque d’ailleurs le quatrième anniversaire de son départ du Sénégal, et le premier de l’obtention de son titre de séjour.

La raison de son exil ? Il ne veut pas en parler ; seules les personnes chargées de l’évaluation de sa situation personnelle, qui lui ont offert l’asile, ont pu l’écouter à ce sujet. « J’ai même demandé à ce que l’audition se passe à huis clos », souligne-t-il, le regard fuyant. Le Sénégal ne fait plus partie des pays d’origine sûre de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides depuis 2018. Une certitude : s’il en est parti, c’est qu’il y risquait sa vie.

Aujourd’hui, il veut « bâtir une nouvelle vie ». Avec une philosophie qui ne le quitte jamais :

« Le passé, tout ce que j’ai traversé, c’est derrière moi. Je veux oublier tout ça et viser l’avenir. »

Naturalisation : « Il est en droit de la demander »

Landing Sadio a été reconnu réfugié et s’est vu délivrer un titre de séjour, valable dix ans, le 8 novembre 2019. Disposant de ce statut, il est en droit de demander la naturalisation pour devenir Français, sans durée minimale de résidence en France. Il prépare actuellement son dossier.

Mais la demande de nationalité s’appuie sur d’autres critères. Des critères administratifs : le réfugié doit fournir un dossier comportant de nombreux justificatifs (justificatif de domicile, acte de naissance, extrait de casier judiciaire…) ; et des critères prouvant notamment des capacités d’intégration. Le site service-public.fr indique par exemple : « Vous devez prouver votre assimilation à la communauté française […] par votre adhésion aux principes et valeurs essentiels de la République, […] justifier d’une connaissance suffisante de la langue française », et être inséré professionnellement, « une condition essentielle ».

Le jeune Sénégalais entame la démarche, avec l’aide de son assistant social chez Coallia, François Kutten. Qui prévient : « C’est un parcours assez long, qui peut se compter en années. » Mais ne s’inquiète pas trop de son aboutissement, notamment parce que Landing est francophone et travaille déjà.

Un genou qui monte, un pied armé

Stade Gérard-Saint, vendredi 4 septembre 2020, 18 h 15. Landing arrive avec un peu de retard pour son entraînement habituel : en cette fin d’après-midi, il est allé récupérer en grande surface le frigo et la gazinière qu’il vient d’acheter pour équiper son tout nouvel appartement. « Ça va, le boulot ? » le questionne Lucas, avant qu’il ne parte trottiner pour s’échauffer.

Landing a été embauché par l'association ACI Développement le 15 juin 2020, en contrat d'insertion de 4 mois renouvelables. "Jusqu'à un an maximum", explique sa conseillère professionnelle, Florence Marie. "On peut aller un peu plus loin, si besoin, en fonction de l’avancement de son projet professionnel."

Au Sénégal, le jeune homme était peintre en bâtiment, et c’est le métier qu’il souhaite exercer ici. Il travaille actuellement sur un chantier de rénovation de la résidence pour personnes âgées du Val de l’Orne, sous l’œil attentif de son encadrant technique, Sébastien Hanoux.

Ce contrat va peut-être le conduire à une formation de six mois pour devenir peintre en bâtiment. Il a également passé le Certificat d’aptitude à la conduite en sécurité (Caces), un permis de conduire pour différents types d’engins de chantier. "Une plus-value pour un poste", souligne sa conseillère.

La séance consiste à courir 6 fois 300 mètres, avec peu de récupération entre chaque répétition. « L’objectif, c’est de "faire de la caisse", comme on dit dans le jargon », c’est-à-dire un entraînement intense qui vise à accroître les performances. Et ainsi réussir à passer sous les 48 secondes sur 400 m… soit une vitesse de 30 km/h.

Après la troisième répétition, le coureur s’allonge sur le tartan, souffle. « Je suis fatigué ! » Chronomètre bleu à la main, son coach ne le lâche pas : il le fait ensuite travailler le mouvement des jambes en simulant un saut de haie. « Ça tire ? » « Oui, un peu. » « Ok, tu me fais quatre lignes droites, je veux un genou qui monte, un pied armé et un talon dans la cuisse ! » Les deux jeunes hommes sont devenus amis.

Lucas Baloche, son partenaire d'entraînement : « En tant que partenaires, on partage beaucoup de choses : quand on s’échauffe, on se raconte notre quotidien, ce qui va, ce qui ne va pas. On se fait confiance et on vit tous les deux la douleur. Quand il craque, je suis là pour le soutenir… et inversement ! »
« On s’est rencontrés lors d’un entraînement. On me l’a simplement présenté comme un autre athlète qui rejoignait le club ; ce n’est que plus tard, quand on a commencé à discuter, que j’ai découvert son histoire. »

C’est ici, sur la piste du stade d’Argentan, que la nouvelle vie de Landing a commencé. Débarqué dans la commune ornaise le 30 mai 2018, où il est logé par l’association « au service des plus fragilisés » Coallia, il se fait la réflexion : « C’est super, je suis arrivé en France. Maintenant, comment m’intégrer ? »

« Je me suis battu pour en arriver là, mais si j’ai trouvé ma place ici, c’est aussi grâce aux personnes que j’ai rencontrées. »
« On voulait qu’il reste »

Amoureux de sport, celui qui jouait au ballon rond et participait aux interclasses de course à pied dans son pays d’origine est attiré par le stade. Il y fait la rencontre de l’entraîneur salarié de la Bayard, John Lainé. « Je l’ai vu un jour qui courait tranquillement. Je lui ai trouvé des appuis un peu félin, il volait sur la piste. Je l’ai abordé et il m’a tout de suite dit qu’il avait envie de rejoindre un club. »

Landing a pour objectif de courir le 400 m à 30 km/h minimum.

Cet heureux hasard se révèle capital dans le parcours du jeune immigré : John le prend sous son aile et va l’aider dans toutes ses démarches. Bien que, il le concède, « au début, je ne savais pas trop comment faire ».

Il l’aide à obtenir sa licence auprès de la Fédération française d’athlétisme, en passant par l’Office municipal des sports de la ville, qui en prend une partie à sa charge. Il l’emmène à la Maison des mots, dont le bureau est situé la porte à côté de celui du club sportif, pour un accompagnement sociolinguistique. Il le fait se rapprocher d’ACI développement, chantier d’insertion où il pourra travailler environ douze mois.

Il bénéficie d'un accompagnement à la Maison des mots, structure associative spécialisée dans la formation continue et le renforcement des savoirs : communication écrite, outils mathématiques, outils numériques, travail d’équipe, objectifs individuels et autonomie, apprendre à apprendre et maîtrise des gestes et postures.

L'animateur, Farid Sidi, souligne le caractère fonceur du Sénégalais, du genre à vouloir brûler les étapes :

« Il est participatif, demandeur. Il cherche le chemin le plus court vers l’emploi. C’est quelqu’un qui veut avancer et il a du potentiel. Il est plutôt pudique et très respectueux, mais il peut être audacieux dans sa façon d’agir. Il va réussir, même s’il faut que des gens croient en lui pour qu’il croie en lui-même. »

Avec la Maison des mots, il s'ouvre à la culture locale. Pour sa directrice, Véronique Basille :

« Cela leur permet de parfaire la langue française et de les initier à ce qu’il se passe sur le territoire. Landing a un vrai potentiel pour apprendre, pour aller de l’avant. Il a été soutenu, et surtout, il a été acteur. Il est prêt à affronter tous les obstacles. »

Petit à petit se tisse autour de Landing tout un réseau d’associations qui, main dans la main, vont le soutenir dans son intégration. La Bayard, particulièrement. Qui ira jusqu’à écrire deux lettres de recommandation destinées à appuyer sa demande d’asile. « C’était minime, mais on voulait l’aider, on voulait qu’il reste. »

La Bayard a écrit plusieurs courriers pour soutenir le dossier de Landing.

Dans l’une d’elle, l’équipe sportive souligne ses « indéniables qualités d’intégration », son assiduité aux entraînements, et ses « réelles qualités physiques indispensables à la pratique de la course à pied ». Signalant, au passage, son titre de champion de l’Orne sur 400 m. Rien que ça.

Un exemple d’humilité

C’était en décembre 2018, seulement un peu plus de six mois après son arrivée à Argentan. Il signe, sur la piste de Mondeville, dans le Calvados (l’Orne ne dispose pas de stade couvert pour organiser des compétitions en hiver), une performance en 55 secondes « et quelques centièmes ». Ce qui lui permet de se qualifier pour les pré-France, à Angers, où il se présente en 2019, cette fois-ci sans parvenir à obtenir son ticket pour le championnat national. « Je ne suis pas encore au niveau », dit-il comme une évidence.

François Kutten, son assistant social chez Coallia : "C'est quelqu'un de très volontaire, investi et autonome."

Du haut de son mètre 83, Landing est un exemple d’humilité. Dans le sport, où il va chercher des conseils auprès de tous ses entraîneurs, comme dans le travail.

Au Sénégal, le jeune homme était peintre en bâtiment. Mais ici, il doit suivre une formation et obtenir un CAP pour exercer ce même métier.

« Tant qu’on a quelque chose à apprendre, il faut apprendre. Pour évoluer. Et peut-être qu’un jour, je monterai ma propre boîte. »

Ses yeux en amande ne trompent pas : il est déterminé. C’est peut-être pour cela qu’il veut aller si vite dans ses démarches ; souvent trop vite, souligne Florence Marie, sa conseillère en orientation professionnelle chez ACI développement. « Nous, on y va par étapes ! »

« Il travaille très bien chez nous, il est assidu. J’ai confiance en lui : il a tout pour réussir, il va réussir, c’est sûr ! »

« Trouver la paix »

L’immigration est une course d’endurance ; le sprinteur ne le sait que trop bien. Et si désormais, sa situation s’améliore, les épreuves qu’il a traversées n’ont que trop duré. Car après avoir marché, parfois jour et nuit, de Tambacounda à Sabratha, en Libye, après avoir navigué dans la terrible nuit méditerranéenne, la peur au ventre, la mort guettant, il lui fallait encore se battre pour atteindre son idéal.

Le terrible périple de Landing ressemble à beaucoup d'autres : il traverse l'Afrique du Nord, subit des sévices dont il préfère ne pas parler, et traverse la Méditerranée sur un canot pneumatique, rongé par la peur de mourir. Arrivé en Italie malade, il décide de se rendre en France où il avait un cousin. Il réussit à franchir la frontière au bout de trois tentatives et monte à Paris pour demander l'asile. Entre temps, l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) réussit à lui trouver un logement à Argentan

« J'ai pensé que dans la vie, je ne suis rien. On ne peut pas être traité de cette façon-là en tant qu’être humain. »

Ses pieds qui chaussent aujourd’hui ces beaux crampons dorés qu’on appelle des pointes, ont souffert des froides et pluvieuses nuits de Paris, quand il attendait désespérément, comme de nombreux migrants comme lui, de pouvoir faire une demande d’asile. Par pudeur peut-être, par douleur sûrement, il n’en dit pas grand chose de plus que : « C’était dur. »

John Lainé, son entraîneur à la Bayard : « Je sais qu’il a vécu plein de choses, mais je ne sais pas quoi, parce que je ne veux pas le voir différemment : je ne le vois pas comme un émigré. »

La déconvenue fut d’autant plus grande lorsqu’il comprit que ce n’était pas parce qu’il était arrivé jusqu’à France Terre d’asile, la structure de premier accueil où tous les migrants doivent passer, qu’il trouverait immédiatement des solutions. « Quand je suis arrivé devant le guichet d’enregistrement, je pensais avoir accès au logement très rapidement. » Peu importe où, leur a-t-il dit : « L’essentiel, c’est de trouver la paix ! »

Mais le processus prendra une grosse année. Dans le café où il est accoudé le jour où il revient sur son trajet, sa mâchoire est crispée, ses yeux baissés ; tout indique que le traumatisme est encore présent.

Chaque matin, chez lui, Landing a le même rituel : il ouvre grand sa fenêtre, comme sur un nouveau monde qui s’offre à lui.

« Vous les voyez au loin, les lampadaires du stade ? »

La première chose qu’il s’est offerte, lui, ce sont des chaussures. En arrivant à Paris, il a jeté les siennes, ainsi que ses quelques vêtements, épuisés par leur voyage trop éprouvant depuis le Sénégal. Désormais, le beau Noir chine sa garde-robe sur l’application Loom. Et a pu garnir sa penderie et son meuble à chaussures, dans l’entrée, où ses pointes dorées font de l’ombre aux autres paires.

Chez Landing Sadio, seules les chemises cartonnées qui s’accumulent dans le placard de sa chambre rappellent d’où il vient : une dizaine de dossiers, qui retracent l’ensemble de ses démarches depuis son arrivée en Europe.

« Ici, c’est le premier appartement que j’ai visité, j’ai tout de suite accepté : ici, c’est calme, c’est lumineux. »

Être humain

Stade Gérard-Saint, mercredi 16 septembre, 18 h 40. La séance de vitesse avec John se termine sous un soleil de fin d’après-midi, mais Landing est prêt à continuer. « Je peux refaire ? » demande-t-il à son coach. Qui acquiesce : une, mais pas plus ; en course à pied particulièrement, il faut savoir s’arrêter. « Il est facile, il aurait pu continuer », chuchote quand même l’entraîneur de la Bayard athlétisme.

John Lainé est un véritable pilier dans la nouvelle vie de Landing.

Celui-ci le filme sur un sprint de 80 m pour lui montrer les points d’amélioration à apporter. Analyse vidéo, puis mise en pratique : il lui demande d’essayer les mouvements à l’arrêt, à quelle hauteur doivent se situer les bras, quel est le mouvement de déploiement que doivent effectuer les jambes. La prochaine fois, propose l’athlète, ils utiliseront des lattes et des plots.

John explique :

« Depuis qu’il est arrivé, il a cette façon de courir : il met du rythme - ça, ça roule - mais il n’arrive pas à se détendre, donc pas à ouvrir ses mouvement. Il est musclé, Landing, très musclé, et sec. Donc quand ses muscles se contractent, il se ferme. »

Si l’on considère que le corps et l’esprit sont liés, le déclic ne devrait pas tarder. Car depuis que sa situation s’est améliorée, le réfugié peut enfin trouver un peu de sérénité. Se sentir enfin « être humain », lui qui a tant de fois ressenti, au cours de sa traversée, qu’il n’était « rien ». La considération qu’il voit dans le regard des autres lui donne de quoi gonfler la poitrine.

Jean-Luc Édeline, son entraîneur à la Bayard : « Sportivement, il peut aller chercher une réussite qui a été difficile à trouver ailleurs et qui pourrait consolider le fait qu’il soit bien ici. Il a un très bon d’esprit, d’écoute, d’implication. Avec cinquante personnes comme lui, on devient un grand club ! »

Landing boit une gorgée d’eau, ôte ses chaussures dorées, et part faire un petit footing de récupération pieds nus sur l’herbe du stade. Souriant. Mi-janvier 2021, il devrait s’aligner sur les championnats régionaux, à Val-de-Reuil, dans l’Eure. La première étape vers les championnats de France, l’été prochain. Mais la seule ligne d’arrivée qui comptera réellement est celle de la course à la nationalité. Le voilà dans le sprint final.

Textes & photos : Léa DALL’AGLIO

Created By
Léa DALLAGLIO
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Credits:

Léa DALL'AGLIO