Dans les cuisines d'un restaurant étoilé Jean-Yves Guého est à la tête de L’Atlantide-1874, à Nantes. Il essaye de transmettre son savoir, sa passion dévorante et sa rigueur à sa brigade, au fil des services... REportage

La cuisine gastronomique est une course contre la montre, aussi exaltante qu’exigeante.

Le jour n’est encore levé sur Nantes que Jean-Yves Guého est déjà à pied d’œuvre. Comme tous les vendredis, à 6 heures du matin, le chef du restaurant de L’Atlantide-1874 se rend au MIN, le deuxième plus grand marché de France après celui de Rungis. « On ne doit pas être plus de dix à venir. Maintenant les cuisiniers préfèrent passer commande, mais le marché, c’est une source d’inspiration inépuisable. »

Direction le poissonnier pour récupérer les cartons de langoustines bien fraîches. Le chef fait son petit tour : « Je regarde, on ne sait jamais. On peut parfois faire des affaires… » Mais rien ne fait chavirer son cœur du côté des produits de la mer. Il se laisse tenter par une cagette de tomates anciennes, arrivées de Sicile. « À 8,50 € le kilo, ce n’est pas donné mais elles sont magnifiques et ça fait plusieurs jours qu’elles me font de l’œil. » Un régal pour les yeux qui annonce un festival des papilles.

Les « colis » s’empilent rapidement à l’arrière du camion. Après un détour chez le traiteur et sur le marché de Talensac, vers 8 h 30, le chef passe enfin la porte de son antre, son royaume, sa cuisine. Les douze membres de sa brigade sont déjà en train de « taper dedans ». Expression qui prend tout son sens quand on les voit équeuter, couper, trancher, ciseler, une orgie de denrées à tomber à la renverse, dans un silence assourdissant. Le temps d’enfiler sa blouse, le chef donne ses instructions et prend des nouvelles auprès de son second Mickaël pendant que celui-ci lève, d’une main experte, les filets de rougets.

Jean-Yves Guého se met au travail. Il châtre les langoustines. On aurait pu imaginer le chef à une tâche plus glamour mais il n’en est rien. Les gestes sont précis, les regards alertes. Le chef ne laisse rien passer, il a l’œil sur tout : « C’est quoi ça ? », demande-t-il à la cantonade en voyant un immense trou au milieu d’une feuille de papier sulfurisé. « Euh, c’est moi, chef », répond Milan, penaud. Il ne sait pas encore à quelle sauce il va se faire manger mais Jean-Yves Guého est d’humeur badine, il le chambre en guise de réprimande.

Vers 10 heures, le chef passe à la découpe de l’agneau. Vue la taille du hachoir, mieux vaut rester à bonne distance. « Martin ? » « Oui, chef ? » « Faudra qu’on prenne le temps pour que je te montre. » « Oui, chef, quand vous aurez un peu de temps. » L’admiration dans la voix du jeune chef de partie, se dispute à l’obéissance.

11 heures, plusieurs clients de marque veulent passer à table avec une heure et demie d’avance, c’est le branle-bas de combat. « Lucas, tu vas nous faire des amuse-bouches. On va lancer la volaille et il va falloir qu’on embourgeoise tout ça… Il reste de la royale de foie gras ? » Aussitôt dit, aussitôt fait. Les assiettes apparaissent. Dedans, une œuvre d’art, tellement belle qu’on regretterait presque de la déguster : maquereau condiment citron, choux béchamel curry, foie gras, tartelette au cresson et tartare de Saint-Jacques.

À midi, tout le monde est à son poste. Les toques sont posées sur les têtes, les préparations sorties, les couteaux aiguisés. Le maître d’hôtel remet au chef le premier bon. « Deux menus Ermitage, six œufs et six crocs », claironne Jean-Yves Guého. « Oui, chef ! », rugit la brigade. La température monte d’un coup. Non, le coup de feu n’est pas un mythe.

Pendant deux heures, les assiettes sont envoyées les unes après les autres, avec la rigueur d’un métronome. Et gare à celui qui prend du retard. Ici, le client est roi et il n’attend pas. Les fronts ruissellent, les mains s’agitent, les casseroles crépitent. « La cuisine, c’est une course contre la montre perpétuelle », note le chef. De cette organisation militaire naissent des chefs-d’œuvre. Chaque plat a une esthétique, dont la beauté n’est pourtant qu’éphémère. Pour des heures de travail acharné, il n’y aura que quelques minutes de dégustation.

Vers 14 h 30, le service prend fin doucement, les derniers desserts partent en salle. La brigade commence à ranger la cuisine et à partir. Dans trois heures, tout le monde sera à nouveau à son poste pour le service du soir. Et le ballet recommencera invariablement.

Déborah Coeffier

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