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Apocalypse now a new york Un mort toutes les trois minutes. Epicentre de l'épidémie du Covid-19 aux USA, la ville-monde redoute un scénario catastrophe. Quatre Français, New-Yorkais d'adoption, témoignent. Par Xavier Frère.

Une vague de "disease and death" (maladie et mort) va frapper Big Apple, anticipe à sa Une le New York Times. Une vie au ralenti, "en slow motion". Mais les structures de santé débordent déjà. Un navire de guerre hôpital, l'USS Comfort, 1000 lits et 12 blocs opératoires, a accosté sur Manhattan. Les tentes blanches d'un hôpital de campagne sont plantées dans le poumon vert de Central Park. La 5e Avenue est presque déserte, Broadway a tiré le rideau. Quatre "Frenchies" de New York racontent.

Yanis, 25 ans, Upper east side

"Au niveau du système de santé, ils ont l'air déjà dépassé"
Yanis, et ci-contre, la vue depuis son logement

" Je suis revenu en avril 2019 à New York, pour poursuivre mon doctorat en cancérologie, et notamment l'utilité de l'intelligence artificielle sur le génome. Il y a énormément de cas de coronavirus parmi les chercheurs de mon université à Columbia, qui est d'ailleurs fermée. On est quelques-uns à devoir rester chez nous mettre pour éviter toute propagation. Les personnes avec lesquelles je travaille sont parfois immuno-déficientes à très haut risque, il faut pour elles limiter au maximum le contact avec le personnel non médecin.

"Le gouvernement français nous a même conseillés par mail de rentrer"

J’habite devant Central Park. J'ai vu les tentes blanches se monter cette semaine. Le navire-hôpital est arrivé, et le Madison Square Garden, mythique salle de basket, accueillera aussi des patients...On dirait qu’on est en guerre. Dans la rue, ça ne ressemble pas à New York, c’est l’apocalypse, il n’y a personne. Tout le monde reste chez soi. Loin de la France, j’habite tout seul, et j'avoue parfois me sentir seul. C’est dans ces moments-là qu’on se rend compte de l’importance de sa famille, de son pays.

On ne se sent pas forcément chez soi aux Etats-Unis, y compris au niveau des soins aussi. Le gouvernement français nous a même conseillés par mail de rentrer. On pouvait être rapatrié, et avoir accès à notre système, meilleur sans doute.

A Harlem. Photo AFP/Spencer Platt

Il y a deux semaines, discothèques, bars et restaurants étaient encore ouverts, et si les cas se propagent aujourd'hui, c'est sans doute pour cette raison. Quand je faisais du sport dans les parcs il y a deux semaines, j'observais encore des rassemblements de gens assis, ou en train de boire : sans aucune conscience de ce qui allait arriver.

Il y a sans doute de multiples explications au fait que ça se propage vite à New York : pourquoi les gens se rassemblent à l'extérieur ? Les loyers sont tellement chers, même pour des mini-chambres, que les gens ne peuvent pas rester chez eux la journée, ou bien, ne louent même que pour la nuit, notamment à Manhattan.

"On remarque une forte obésité à New York. C'est normal quand une pizza coûte 1 euro, et une salade 25"

Ici, personne ne cuisine, car on n'a pas de cuisine dans notre logement. Donc on descend pour manger.Je me limite à quelques courses, car les gens ne respectent pas les distances de sécurité: à New York, il n'y a pas de supermarché, uniquement, des petits commerces, avec 50 personnes en même temps sur 100 m2. C'est un brassage quotidien de population...

On remarque une forte obésité à New York. C'est normal quand une pizza coûte 1 euro, et une salade 25. Il n'y a pas moyen de se nourrir décemment. Le problème est grave pour les pauvres, et pour les diabétiques. En tant qu'étudiant, on a droit à trois repas par jour offerts pendant la crise. Problème : avec le virus, ça créé des files d'attente et de la promiscuité. Ils tentent tous différentes initiatives, mais pas toujours à bon escient.

"Face à l'urgence, ils recrutent même des personnels sans contrat de travail maintenant"

Le confinement n'est pas obligatoire. Tous les business non essentiels, comme les salles de sport, sont fermés. Je remarque de plus en plus de gens qui portent des masques ou des gants, environ 70 %. Dans mon quartier, j'ai l'impression que les gens ont conscience du danger. A Harlem, pas vraiment : il y a encore des regroupements dans les parcs, je vois les gens encore se checker. Par les temps qui courent, c’est risqué et choquant.

Je ne suis pas confiant sur l’avenir de ce virus à New York. Ailleurs, peut-être que ça ira peut-être. La forte densité de la ville explique cela. Le nombre de cas va encore augmenté. Quand je vois le ratio nombre de cas positifs sur nombre de tests, c'est impressionnant. Au niveau des établissements hospitaliers, ils en viennent à recruter des personnels sans visa de travail. Le pic est attendu fin avril, début mai. Chaque jour, j’ai déjà l'espoir de voir la courbe redescendre, mais non...

Sur la 42e rue, cette semaine. Photo AFP/Kena Betancur

Au niveau du système de santé à New York, j'ai l’impression qu’ils sont déjà dépassés, et qu'ils n'étaient pas prêts à affronter cette épidémie. Les ventilateurs, il en faudrait dix fois plus d'après ce que je sais...A leurs tarifs, il me faudrait 8000 dollars pour être emmené par l’ambulance à l’hopital. Trop trop cher.

"Normalement, je passe 80 % du temps dehors, là, je n'ai plus de contact humain"

Depuis deux semaines, je ne vais plus à la fac, ni à l'hôpital. Je fais encore un peu de sport, je vais courir sinon je deviens fou. Je n'ai plus de contact humain depuis trois semaines, alors qu'habituellement, je passe 80 % de mon temps dehors, comme tout le monde. C’est une ville où il y a tellement de choses à faire.

La question de rester à New York ou de partir s'est posé, à un moment. Mais on fait aussi en fonction de son statut d'immigré pour rester ici. Mon visa est valable jusqu'en 2030. Mais ce n'est pas très clair, alors je préfère rester pour garder les statuts de travailleur et d'étudiant en même temps. Toutefois, si la situation se détériore, je rentrerai peut-être durant l’été en France."

AFP/kena betancur

Elodie, 28 ans. Inwood, bronx, Nord Manhattan.

"La ville qui ne dort jamais dort enfin"
Elodie, et la vue depuis son appartement

"Je vis à New York depuis 5 ans. Après ma thèse de biologie à Nantes, je suis venue à New York pour un post-doctorat. En tant qu'expatriée, j'aurais aimé que le confinement arrive plus tôt, j'étais assez paniquée de voir New York tarder à réagir.

Tant que le nombre de cas ne franchit pas un cap significatif, les institutions et les gouvernements ne s’affolent pas pour agir. Ici, les fermetures ont été graduelles : Broadway, puis les bars, les restaurants...J'ai l'impression que les gens ont compris, ils sont sont assez disciplinés, portent bien les masques. Mais ça doit dépendre des quartiers.

J'ai la chance de pouvoir télétravailler, même si en recherche, on fait des expériences, des analyses. L'Etat de New York a appelé en renfort en tant des scientifiques à se porter volontaires. Je suis prête à m'engager, mais ma limite sera le déplacement : je n'ai pas envie de prendre les transports en commun. S'ils nous paient le taxi, je le ferai ! Pour les courses, je me fais livrer désormais, c'est plus prudent.

A la sortie de l'hôpital de Brooklyn, la sortie des corps. Photo AFP/Stéphanie Keith

En vivant au sein de ce système de santé, j'estime qu'à New York, on a beaucoup de chance : il y a beaucoup d’hôpitaux et de centres de recherches de grande renommée, d'essais cliniques en cours. Ils sont souvent en avance sur d'autres pays.... Les hôpitaux sont bien équipés. Le maire de New York, Bill de Blasio, a affirmé qu'il restait une semaine de marge au niveau du matériel. Il y a pourtant des semaines que le gouverneur Cuomo réclame du matériel à Donald Trump, en vain.

Tous les lits possibles ont libérés, et sont destinés à 100 % à la prise en charge des patients Covid-19. Un ami interne, officiant dans le Queens, m'a dit que c'était très dur. La limite matérielle et en lits est proche. On devra peut-être faire le tri entre les patients jeunes et âgés, comme en Italie. C'est le système de santé en lui-même qui pose parfois problème. En ce qui me concerne, je possède une très bonne assurance, je n'ai pas de souci, mais beaucoup de gens n’ont pas une très bonne couverture santé.

"Un ami interne dans le Queens m'a dit : on devra peut-être faire le tri entre les patients jeunes et âgés, comme en Italie"

Etre hospitalisé deux semaines pour un Américain moyen, ça peut s'avérer très compliqué financièrement…Je travaille notamment sur l'obésité, sur l'immunologie. 40 % des Américains sont obèses, on recense aussi beaucoup de diabètes de type 2 , facteur de risque évident pour le Covid-19. Tous ces profils surchargent les hôpitaux, et ce sont souvent des patients jeunes...Beaucoup de personnes asthmatiques dans les quartiers également. En France, ce sont les fumeurs.

Ce qui est "intéressant" avec cette maladie, c'est que chaque pays a plus ou moins de prévalence de maladie en fonction de son mode de vie, de la génétique. Et la mortalité de ces pays en dépend. Je n'ai pas doute qu'ici, je serais bien soignée, ce qui n'est pas le cas de de beaucoup d'expatriés français dans d'autres pays...

"Un confinement obligatoire devrait être décrété sur l'ensemble des Etats-Unis"
Sur le navire USS Comfort. Photo AFP Sara Sara Eshleman

Il faudrait imposer le confinement obligatoire au pays entier. En tant que scientifique, on a tendance à rationaliser la situation, même si c’est un peu anxiogène…

New York, la ville qui ne dort jamais, dort enfin. Quelque soit l’heure, il y a toujours du monde dans la rue, les restaurants sont bondés. Je me vois encore dernièrement à 4 du matin à Times Square, en toute sécurité. La situation est vraiment très étrange : tout le côté vivant, l’énergie new-yorkaise s’est évaporée, Broadway et sa vie culturelle a disparu. On se croirait le dimanche en France tous les jours !

Rentrer en France durant cette crise ne m'a pas effleurée, tant que tout le monde dans ma famille à Nantes se porte bien. Ils ne peuvent pas se déplacer non plus de toute façon. Et ce n’est vraiment pas le moment de voyager, ça augmente la propagation."

AFP/angela weiss

Ben, 40 ans, et Julie, 39 ans, Astoria, Queens.

"Comment un tel pays, première puissance du monde, peut-il se louper à ce point ?"
Ben, et la vue depuis son appartement.

" Nous vivons avec Julie, ma femme, et mon fils, depuis trois ans à New York. Elle a été infectée je pense. Elle va désormais un peu mieux, se déplace un peu, mais prudence…Elle connaît des "up and down". Depuis dix jours, elle traverse gêne respiratoire, légère fièvre, courbatures. A partir du troisième jour, elle s'est sentie très fatiguée. Julie est en relation avec une médecin français ici. Elle reste évidemment confinée. Vivre ensemble n'est pas facile : il est impossible de s’isoler totalement. Moi, j'ai seulement ressenti de léger symptômes, rien de plus. Nous ne sommes pas tous égaux devant cette maladie.

"Donald Trump a fait de cette crise sanitaire un jeu politique, et le pays va en subir de graves conséquences"

Nous sommes arrivés ici avec l'intention d’ouvrir un restaurant. Cette crise sanitaire ne tombe pas très bien, on est en pleine négociation avec les investisseurs. L'activité, inévitablement, ralentit. Tout est en stand-by. On espère que ça ne va pas durer trop longtemps.

Les Etats-Unis n'ont pas pris les bonnes mesures. Dans l'Etat de New York, à 90 % anti-Trump, on a la chance d’avoir un gouverneur réactif, qui a mesuré le risque plus vite que Donald Trump. Ce dernier en a fait un jeu politique plus qu’autre chose, et le pays va en subir de graves conséquences. Pour un pays comme les Etats-Unis, c’est regrettable de se louper à ce point-là.

L'hôpital monté au beau milieu du poumon vert de Central Park. Photo AFP Angela Weiss

Ce pays fort, première puissance du monde, avec les plus laboratoires de recherche les plus performants, comment a-t-il pu se planter ? Il faut dire aussi qu'il existe une vraie concurrence entre les Etats pour acheter du matériel, c'est au plus offrant ! Donald Trump espère que la crise va vite se résoudre : c’est une histoire politique avec les élections en ligne de mire. Sa gestion de crise aura des conséquences sur le résultat de l’élection. Annoncer que les églises seraient pleines à Pâques, c’est totalement irresponsable !

"Je suis optimiste, ce n'est pas la première crise que New York traverse, dès que la crise sera passée, ça repartira, et peut-être même de plus belle"

Je ne perçois pas de psychose ici. Un vigile de supermarché est encore obligé d’expliquer la distanciation sociale, les New Yorkais ne respectent pas trop les mesures. On a assisté à des scènes de folie pour se procurer des masques, ou acheter du papier toilette.

Ici, si tu ne possèdes pas d’assurance, tu n'es pas soigné. Beaucoup de gens ont peur en voyant la maladie arriver. Comment feront-ils pour trouver une place, puis se faire soigner quand on atteindra le pic de l'épidémie. Tout ça fait peur. J'ai dit à ma femme Julie en rigolant : "Tu as peut-être de la chance d'avoir eu la maladie assez tôt, avant le pic..."

Sur le marché à Harlem. Photo AFP/Kena Betancur

Nous n'avons pas envie de rentrer en France, nous sommes très impliqués dans notre projet. Quand j'ai vu la Cinquième Avenue déserte vendredi, ça peut effrayer. Mais nous sommes des optimistes, ce n'est pas la première crise que New York traverse une fois que la crise sera passée, ça repartira, et peut-être même de plus belle. Laissons passer l’orage. De toute façon, c’est une ville qui vit à 200 à l’heure, les gens ne pourront pas rester confinés durant des mois.

AFP

Chloé, 28 ans, Upper West Side.

"Cette crise sanitaire révèle encore un peu plus les inégalités sociales aux Etats-Unis"
Chloé, et la vue depuis le logement de son ami, où elle est confinée.

"Je suis arrivée à New York le 1er février 2019, après ma thèse en maths/centre de santé/Inserm, obtenue à Bordeaux. J'occupe un poste de post-doc à l'université de Columbia, sur la modélisation mathématique des maladies infectieuses. La prise de conscience sur la réalité de l'épidémie a été tardive à New York. Il y a dix jours, ça frolait l'insconcience, avec un samedi presque normal pour les amateurs de Central Park.

Depuis le 7 mars, je ne suis retournée que deux fois à mon boulot, je télétravaille. je suis confiné dans l'appartement de mon son ami, près du campus, au calme. J'ai quitté provisoirement ma colocation. On sort beaucoup moins. Javais l’habitude de sortir régulièrement en semaine, là, je tourne en rond dans l’appartement. On s'attend à entendre du bruit, pesant, à rencontrer du monde, mais on n’entend que les sirènes. C'est pesant. 

"Mon travail n'est pas menacé, mais en raison de la crise,ma colocataire architecte a été virée de son boulot"

En fréquentant la communauté scientifique ici, je remarque que beaucoup s'investissent dans cette crise, il y a beaucoup d’initiatives positives. Mais en ce qui me concerne, j'ai un agenda professionnel à respecter. Je regarde néanmoins de près les recherches scientfiques sur le Covid-19. On voit passer de tout sur les réseaux sociaux, je suis même au courant de la polémique en France sur le travail du docteur Raoult. Par peur de ce virus, je comprends l’engouement, mais la science prend du temps.

Je ne sais pas si le système de santé sera à la hauteur pour encaisser cette crise. A mon niveau, c'est compliqué s'il m'arrive quelque chose. Mon travail n'est pas menacé, mais ma colocataire architecte a été virée de son boulot. Je me sens privilégiée, mais vais-je pouvoir payer ma facture si je dois me rendre à l’hôpital ? En réalité, cette crise révèle encore un peu plus les inégalités sociales aux Etats-Unis. Ceux qui galèrent ici, en France, ils sont pris en charge.

Devant le Mont Sinaï Hospital de New York. Photo AFP/Spencer Platt

On voit qu'à travers cette crise sanitaire, Donald Trump est en campagne, et non pas au service du peuple américain. Sa réaction n’est pas si étonnante au vu de ce qu’il a fait ces dernières années. Dans le domaine de la santé, les Etats-Unis ont des années en retard, par rapport à ce qu’ils pourraient faire. J'ai regardé les débats entre les candidats à la présidentielle. Au niveau de la santé, la seule chose décente : l'accès aux soins pour tous, en 2020, aux USA. Cela devrait être évident. A New York, le système capitaliste est à son paroxysme. L'indécence cotoie la rue. Je me demande si finalement Bernie Sanders, le "socialiste", ne va pas avoir ses chances...

"A New York, on vit au paroxysme du capitalisme, l'indécence côtoie la rue"

Dans mes plans, j'envisage de rester aux Etats-Unis jusqu’en décembre 2020. Si mon conjoint n'était pas là, j'aurais peut-être anticipé mon départ en France avant la crise du coronavirus. Mais mon visa n'est pas permanent, et ma famille se trouve en bonne santé, du coup, je n'avais pas besoin de rentrer. En 2014, j'avais déjà vécu six mois à Seattle. J'apprécie l'expatriation, mais dans des moments comme aujourd'hui, ce n'est pas toujours simple d'être loin de chez soi.

Propos recueillis par Xavier frere/EBRA presse, photos afp, sauf portraits