Loading

Les conditions de la reconnaissance du Christ Luc 24.13-35

Chers amis,

N’est pas là, dans ce récit des disciples d’Emmaüs qui nous projette dans l’avant-temps de Pâques, une hantise fondatrice de la vie chrétienne : fréquenter le Christ sans le reconnaître ?

Et si c’était nous ? Si nous avions fréquenté, si nous fréquentions même, au quotidien, le Christ, sans le reconnaître ?

Si la personne qui nous a raconté récemment sa blessure, que nous avions balayée, était pour nous cette figure du Christ ?

Si le jeune que nous avions rencontré sans l’écouter, était pour nous cette figure du Christ ?

Si la vieille dame dont nous n’avons pas cru la solitude, était pour nous cette figure du Christ ?

L’histoire des disciples d’Emmaüs installe dans notre vie une attention pour ceux que fréquentons, qui nous ferons, si nous étions attentifs, reconnaître le Christ, dans les lieux les plus communs de notre vie quotidienne.

Mais il y a encore un deuxième danger qui guette la vie chrétienne, quelque peu opposé au manque d’attention : c’est le manque de patience. Le danger de baisser les bras parce que notre attente n’a pas été comblée. C’est le cas des deux disciples, qui écoutent Jésus, plein d’espoir, mais qui face à sa disparition, à l’absence, se détournent et retournent là dans le lieu de leur désespoir.

C’est aussi une des grandes pathologies de notre temps, nous expliquent les psychologues : l’exigence de satisfaction immédiate. Ils disent — comme toujours en psychanalyse — que c’est peut-être un problème d’enfance : quand les parents satisfont systématiquement les désirs de l’enfant, il grandit dans l’idée que le monde va lui obéir. Le jour où, adulte, il rencontre son premier obstacle, c’est le drame.

Et puis, cette exigence de « tout, tout de suite » peut même exprimer la crainte d’un « plus jamais rien ». On brasse l’air pour se donner un instant l’illusion d’avoir comblé un manque existentiel. Puisque l’attente laisse place au vide, il faut le remplir, et vite. Prouver que l’on existe, par ses possessions, par ses réalisations. Mais quand toutes ces sensations s’en vont, c’est la vie qui s’en va aussi. Vouloir toujours tout tout de suite, c’est vouloir plus de vie, comme un antidote à la mort...

Je suis surpris de découvrir à quel point cette « intolérance à la durée » était déjà présente dans les rangs des premiers disciples de Jésus. Cette l’attitude des deux amis qui repartent vers Emmaüs après avoir entendu les premiers témoins de la Résurrection semble aussi relever de cette impatience d’un « tout, tout de suite ».

Alors, c’est le retour à la case départ ; car on n’a pas de temps à perdre, c’est oui ou c’est non : la religion, soit tu le fais bien, soit tu ne le fais pas.

Il se pourrait bien que cette intolérance à la durée soit la racine profonde pour l’inattention, l’indisponibilité, qui frappe les disciples dans la suite.

Avec les disciples d’Emmaüs, nous aussi avons besoin d’apprendre que croire a besoin de temps, que la reconnaissance du Ressuscité s’inscrit dans une durée dont nous ne maîtrisons ni le début ni la fin.

Notre lecture nous propose ainsi une leçon essentielle de la vie chrétienne :

l’immédiateté n’est pas un bon moyen d’ajustement pour la foi.

Le texte nous précise ainsi quelques conditions de la reconnaissance du Christ, en montrant comment les deux disciples ont appris le sens de la vie du Ressucité. Avec eux, nous pourrons peut-être apprendre à ajuster toujours à nouveau notre temps de croire.

Il y a un verbe autour duquel cette histoire des deux disciples qui repartent à Emmaüs est construite : c’est le verbe grec traduit par reconnaître, qui signifie aussi savoir, percevoir, comprendre, apprendre et qui nous renvoie au domaine de la connaissance, de la reconnaissance et de la conscience.

En effet, tout le suspense du récit dépend de ce que savaient les disciples et de ce qu’ils reconnaissent au fur et à mesure de la rencontre avec l’homme qui les rejoint.

Sur leur chemin de la « reconnaissance », je compte au moins sept étapes :

1. Prendre le temps et de la distance

On peut comprendre que les deux disciples, trois jours après la fin cruelle de leur héros politico-religieux, aient besoin de prendre du temps et de mettre une bonne distance entre leur vécu immédiat et le lieu où il va falloir redémarrer une nouvelle vie, une nouvelle espérance.

2. Le fait de pouvoir parler de ce qu’on a vécu

Ce chemin d’Emmaüs, c’est précisément l’endroit où un inconnu leur permet alors de parler de ce qu’ils ont vécu, de formuler leurs attentes et leurs espoirs déçus, afin qu’ils apprennent aussi à s’écouter eux-mêmes.

3. La capacité de prendre en compte une perspective différente

On ne peut pas dire que l’inconnu est tendre avec les deux disciples. Je dirai même qu’il leur remonte passablement les bretelles en leur tirant un peu les oreilles ! Sur le chemin de la reconnaissance du Christ, il y a bien une étape où l’on doit pouvoir écouter une opinion opposée sur ce qu’on vit et sur ce qu’on croit croire, même une opinion qui est brutalement présentée (« Que vous êtes stupides… »).

4. L’étude des Écritures

On ne fait surtout pas l’impasse d’un travail avec le Livre sur le chemin de la reconnaissance du Christ. Sans l’étude constante, régulière et éclairée des Écritures (et on parle bien sûr de la Bible hébraïque ici !), croire est une entreprise trop humaine qui se rapproche de « trucs » qu’on « présume », qu’on « s’imagine » et qu’on « suppose ». L’inconnu montre bien comment la lecture de la Bible met heureusement en doute ce que nous « croyons croire une fois pour toutes ».

5. L’ouverture d’esprit

Les disciples répondent à cette douche froide-chaude par une invitation : Reste avec nous ! Ils montrent leur volonté de persévérer dans le questionnement une fois ouvert, de ne pas lâcher le morceau et de battre le fer tant qu’il est chaud.

6. La clairvoyance

Mais ils gardent les pieds sur terre : ils analysent aussi leur situation (et celle de l’inconnu), ils voient que le soir approche, le jour est déjà sur son déclin. Les débats de religion ne dispensent pas de prendre en charge les autres réalités de la vie humaine.

7. Un cadre pour se connaître autrement que par les mots

C’est autour de la table que finalement le chemin de reconnaissance du Christ s’achève. On n’est pas obligé à y voir forcément un accent eucharistique, comme si toute la vie chrétienne dépendait au bout du compte du « sacrement ». Il me semble plutôt que Luc nous invite ici à nous connaître, et à reconnaître le Christ autrement que par les seuls mots ; il nous invite à la reconnaissance en gestes. La Parole, ce n’est pas seulement du discours, ce sont aussi des actes et des signes, des gestes aussi simples que le partage du pain.

Vous vous dites peut-être : qu’est-ce que ces disciples manquent d’intelligence et sont lents à comprendre ! Mais je trouve que ça nous fait plutôt du bien : nous n’avons pas à être plus rapides qu’eux sur le chemin de la reconnaissance du Christ.

Nous pouvons même découvrir une certaine lenteur spirituelle, qui fait du bien à notre époque où partout les secondes sont comptées. Dans ce parcours de conditions de la reconnaissance, aucune étape n’est inutile, chaque étape est nécessaire et contribue à la reconnaissance qui comble les disciples de joie, à la fin. Le récit montre bien qu’il ne faut pas imaginer que le Christ revient pour attraper ses disciples en disant : Donnez-moi un bout de pain ! Voilà, c’est rompu, vous me reconnaissez maintenant ? ...

Sur notre chemin d’Emmaüs, nous devrions sans doute aussi accepter ces conditions de la reconnaissance du Christ pour voir notre vie dans la lumière du ressuscité :

– prendre du temps et mettre une bonne distance entre notre vécu immédiat et le lieu où l’on va pouvoir, toujours à nouveau, recevoir la vie nouvelle ;

– trouver un lieu où l’on peut parler de ce qu’on a vécu, pour formuler nos attentes et nos espoirs déçus ;

– prendre en compte une perspective différente, même s’il s’agit d’écouter une opinion opposée sur ce qu’on vit et sur ce qu’on croit croire ;

– trouver une place pour l’étude constante, régulière et éclairée des Écritures qui permet à la Bible de mettre heureusement en doute ce que nous « croyons croire une fois pour toutes » ;

– garder l’esprit ouvert pour persévérer dans le questionnement, pour ne pas lâcher le morceau et pour battre le fer tant qu’il est chaud ;

– ne pas oublier les autres réalités de la vie humaine ;

– et puis nous connaître nous-mêmes, et reconnaître le Christ, autrement que par les seuls mots, mais aussi à travers des actes, des signes, des gestes aussi simples que le partage du pain.

Heureusement, nous pouvons reprendre les étapes de ce chemin aussi souvent que nous en avons besoin. Car pour reconnaître, il faut déjà avoir entendu ; comme nos enfants ont besoin d’entendre les choses les plus banales et les choses les plus sérieuses maintes fois, afin qu’un jour, ils puissent s’en souvenir, nous pouvons nous laisser le temps pour la reconnaissance de la foi.

Cette nouvelle manière de croire en Christ qui ne sera alors plus une simple « conviction religieuse », devient la construction patiente d’une conscience, d’une passion pour la vie : une passion, c’est quand j’aime ma vie parce que je la comprends, parce qu’elle me signifie quelque chose, parce qu’elle me fait participer à quelque chose.

Cette passion de la foi découverte dans la durée me fait célébrer ma vie.

Au fond, pour être profonde, notre recherche de foi a toujours besoin de plus de temps. Il est alors normal que la foi ne change pas forcément votre vie d’un seul coup ; mais elle change sûrement et lentement la conscience que vous en avez. Amen.

Created By
Rüdiger Popp
Appreciate

Credits:

Created with images by Aaron Burden - "At the Cross" • stevepb - "newspaper news media print media" • Efraimstochter - "clock pocket watch gold" • jimmikehank - "stained glass colorful glass" • terimakasih0 - "monk hands faith" • Nathan McBride - "Making the Path" • Pexels - "bible book knowledge" • Toa Heftiba - "untitled image" • Bethany Legg - "Country Road"

Report Abuse

If you feel that this video content violates the Adobe Terms of Use, you may report this content by filling out this quick form.

To report a copyright violation, please follow the DMCA section in the Terms of Use.