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Wattway : la route solaire de Tourouvre « ne sera pas notre modèle de commercialisation »

DÉCRIÉE DEPUIS SON INSTALLATION IL Y A DEUX ANS, LA ROUTE SOLAIRE DE TOUROUVRE (ORNE) EST LOIN D’ÊTRE UN ÉCHEC, SELON L’ENTREPRISE QUI L’EXPLOITE. ELLE RÉPOND AUX CRITIQUES.

Loin du « désastre » que des articles dénoncent sur internet (ici ou , par exemple), la route solaire de Tourouvre (Orne) a fêté ses deux ans en décembre 2018. Nombreux sont les Tourouvrains qui s'interrogent encore sur son coût, les travaux récurrents, voire son utilité...

Pour répondre à ces questions, nous avons dressé le bilan avec Etienne Gaudin, directeur de Wattway, le nom de ce projet lancé par l'entreprise Colas.

Grâce à la route solaire de Tourouvre (Orne), longue d'un km, l'entreprise Colas a pu réaliser des progrès pour améliorer cette technologie. (©Le Perche)

Le Perche : Quelle est la production d'énergie de la route solaire de Tourouvre ?

Etienne Gaudin : La route solaire de Tourouvre est un laboratoire à ciel ouvert. Nous avons eu des événements exceptionnels, des interventions à effectuer, des dysfonctionnements... Elle produit 85 % de l'objectif qui était de 767 kWh par jour.

Nous utilisons un autre indicateur, la production sur un an au m², qui permet de comparer les performances des autres sites tests. Cela va de 40 kWh par m² et par an en milieu urbain comme à Boulogne (Hauts-de-Seine), avec plusieurs milliers de véhicules qui passent à un rythme plus lent, à 130 kWh sur un parking à La Réunion, donc très ensoleillé. Tourouvre produit 85 kWh par m² et par an.

Comment s'explique cette moindre production ? Certains articles évoquent une surchauffe des pavés, un angle défavorable... Quels sont les problèmes que vous avez rencontrés ?

La surchauffe est une théorie. Le vrai sujet en été, quand il y a beaucoup de soleil, c'est que les pavés sont chauds et ne produisent pas autant que s'ils étaient plus froids. Mais la température n'est pas forcément plus gênante que pour les panneaux posés sur des maisons.

C'est vrai que le plat n'est pas l'inclinaison qui capte le plus, il faut que le panneau soit penché. La route solaire a donc des limites de performances par rapport aux fermes solaires, de l'ordre de 20 à 30 % de moins : 10 % pour l'angle plat et la couverture, et 20 % à cause du trafic et de l'ombrage, variables selon les sites.

Il ne faut pas oublier les conditions climatiques. Les pavés sont sensibles aux orages, la route de Tourouvre a disjoncté en partie.

« Plutôt des petites surfaces proches de voiries »

Pourquoi la Normandie a-t-elle été choisie, vu que le climat n'est pas forcément favorable ?

Le site qui assure la production de panneaux photovoltaïques est à Tourouvre. Le repreneur de SNA est d'ailleurs dans la continuité de l'activité, c'est toujours notre partenaire principal.

Un panneau rappelle le bilan de la route solaire en chiffres. (©Le Perche)

Le projet Wattway est-il rentable ?

Plus la production d'énergie est moindre, plus le coût du kWh est élevé. Nous n'atteignons pas la rentabilité, cependant le projet Wattway permettra de produire de l'énergie un peu n'importe où. Le site de Tourouvre nous permet de progresser mais cela ne va pas être le modèle de commercialisation.

C'est-à-dire ?

Deux ans après, le test permet de qualifier les endroits où le déploiement est plus intéressant, pour proposer un produit adapté au trafic. Nous envisageons de couvrir plutôt des petites surfaces proches de voiries, qui permettront d'alimenter des équipements comme de l'éclairage communal, un arrêt de bus, des caméras pour des zones accidentogènes, des panneaux d'information...

Notre vision à terme est d'avoir des coûts d'installation compétitif et que ces équipements soient autonomes en énergie. Et une production d'énergie avec des tarifs compétitifs au solaire en toiture.

Quelle est d'ailleurs la concurrence entre la route solaire et le solaire en toiture ?

La route solaire est complémentaire, par exemple pour illuminer un panneau « école ». Il y a la question du vol des panneaux solaires, s'ils sont au sol on est obligé de les casser pour les prendre, et ils sont mieux intégrés au paysage.

Notre but est de faciliter le déploiement à proximité des voiries. Il y a un marché conséquent en termes de développement.

Cette technologie peut intéresser des endroits limités par la place. Nous avons des discussions avec une grande chaîne de petits supermarchés au Japon, qui a déjà des panneaux solaires sur ses toits, et qui veut augmenter la production avec ses parkings. Également aux Pays-Bas, qui ont un ambitieux projet mais manquent d'espace, ils étudient le solaire flottant et sur la surface des routes et pistes cyclables. Nous avons d'ailleurs déjà deux sites tests aux Pays-Bas.

Nous pouvons proposer des solutions modulaires adaptées à l'équipement, comme la sécurisation d'une aire de covoiturage de 50 m² à Narbonne en sortie d'autoroute. Une portion de route solaire de 3 m² suffit pour éclairer un arrêt de bus.

On peut lire dans un article du Monde que « d'après la société Colas, une surface de 20 m² suffit à approvisionner un foyer en électricité (hors chauffage) et 1 km de route équipée fournit l'équivalent de la consommation de l'éclairage public d'une ville de 5 000 habitants ».

Cela dépend à quel endroit, plutôt dans le Sud que dans le Nord, évidemment.

Ségolène Royal, ministre de la Transition écologique de l'époque, lors de l'inauguration de la route solaire de Tourouvre en décembre 2016 (©Le Perche).
« Nous n'avons remplacé que 5 % des dalles »

Quels progrès avez-vous pu réaliser grâce à Tourouvre ?

Les phases de travaux à Tourouvre nous ont permis de progresser à la fois dans le processus de pose et de raccordement des dalles. Nous avons fait une « saignée » dans la route avant de reboucher, il a fallu réfléchir pour ne pas que la route s'affaisse avec le trafic. Nous avons vu que c'était une erreur de remettre les dalles par dessus une saignée transversale, cela provoquait un vieillissement accéléré des dalles. Nous avons renforcé les joints des dalles pour résister au trafic.

Concernant l'encrassement des dalles, il faut un compromis entre l'adhérence et le nettoyage naturel, nous avons donc testé différentes formes de revêtements.

Nous n'avons remplacé que 5 % des dalles sur un an, nous sommes donc plutôt positifs. Le problème venait de la maturité de la dalle, elle n'avait pas la résistance suffisante. C'était quelque chose de nouveau en phase expérimentale, nous espérons donc un taux plus faible en phase de commercialisation.

Qui finance ces travaux ?

Lors de son installation, la route a été financée par l'État [avec une subvention de 5 millions d'euros, ndlr]. Depuis, tous les travaux sont entièrement financés à notre charge.

La route solaire lors des travaux d'installation en décembre 2016.

Quels sont les points positifs de la route solaire ?

Déjà, qu'elle fonctionne. Le photovoltaïque est très fragile mais il tient et produit de l'énergie. La surface est adhérente, adaptée à tout type de trafic et résiste dans le temps. Nous savons faire vivre l'installation avec une maintenance raisonnable.

La durée de vie des panneaux est de 5 à 10 ans, nous n'avons pas encore assez de retours d'expérience. Mais nous les faisons évoluer, les nouvelles portions de routes solaires seront mieux.

Quand arrêterez-vous l'exploitation de la portion ornaise ?

Il y avait trois ans de garantie, elle s'arrêtera donc à la fin de l'année 2019. L'intérêt est que ce site perdure, nous aurons donc des discussions avec le Département.

Quand commencera la commercialisation de la route Wattway ?

Nous comptons lancer la commercialisation à partir du début d'année 2019 [l'interview a été réalisée en fin d'année 2018, ndlr].

Qu'en est-il de la concurrence étrangère ? La Chine, par exemple, a aussi lancé des portions tests, notamment sur une autoroute.

Wattway développe ses projets avec l'Institut national des énergies solaires, nous avons déposé des brevets pour la protection de la propriété intellectuelle. Nous pensons qu'il y a de la place pour plusieurs acteurs sur le marché mondial, mais il faut une concurrence équitable. Nous allons voir comment la situation évolue pour chercher comment nous différencier. Nous avons un vrai avantage d'avoir un peu d'avance car nos premiers travaux ont eu lieu en 2010.

Sur l'autoroute, le trafic est plus conséquent, les nuisances seront donc plus fortes. Ce n'est pas le meilleur endroit pour une route solaire, c'était un coup de communication. Mais nous pouvons imaginer couvrir des bandes d'arrêt d'urgence. »

Propos recueillis par Raphaël Hudry pour Le Perche

Created By
Le Perche Mortagne
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Credits:

Le Perche

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