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Comment l'industrie vidéo-ludique a-t-elle trompé la mort ? Des mamans, de la hype et des microtransactions

2017 aura encore été une année faste pour l’industrie vidéo-ludique avec une croissance de 7.8% portant le marché mondial à 108.9 milliards de dollars [1] . Pour info, c'est plus de deux fois le marché du film.

Et pourtant, le jeu vidéo revient de loin. Traînant longtemps la réputation de défouloir violent et amoral pour jeunes sauvageons pré-pubères, le secteur ne jouissait pas de la crédibilité du monde du disque, de l’édition ou encore du cinéma.

Un joueur de jeux vidéos

Alors, comment en 20 ans, le jeu vidéo est-il passé du statut de divertissement abrutissant à celui d'industrie culturelle majeure ?

Un modèle à bout de souffle

Retour en arrière. Marty, mets la cassette de Doc Gynéco et fais chauffer le convecteur temporel de la DeLorean, on part en 1997. A cette époque, le jeu vidéo traîne encore une odeur de soufre le cantonnant à une cible de jeunes garçons aux poches vides à qui il faut vendre un nouveau jeu tous les 3 mois pour espérer rester dans la course.

Le jeu d’alors est statique, le joueur le finit en quelques heures et passe à autre chose. La durée de vie d’un jeu est très courte et les studios doivent multiplier les sorties pour rester sur le devant de la scène, ce qui implique de forts coûts de développement et une pérennité limitée du modèle. C’est marche ou crève, certains studios remettant leur survie en jeu à chaque nouveauté.

Au tournant des années 2000 le piratage prend des proportions catastrophiques et devant le manque d’incentives à acheter un jeu, les éditeurs se doivent de réfléchir à de nouveaux modèles pour réenchanter les joueurs.

Ta mère joue aux jeux vidéos

Décrivez-moi l’idée que vous vous faites du joueur moyen… Et non, vous n’y êtes pas du tout !

Selon une étude Gfk pour le SELL (Syndicat des Editeurs de Logiciels de Loisirs) [2] , le joueur français moyen a 34 ans, et près d’un joueur sur deux est une femme, et oui ! Car qu’on le veuille ou non, Mme Michu qui joue à Candy Crush dans le bus en revenant du bureau est une gameuse.

Les Français et le jeu vidéo - Etude SELL / Gfk - Octobre 2017

Corollaire de cette évolution du marché, le jeu vidéo a le vent en poupe: les studios français ont en moyenne augmenté leurs recettes de 50% entre 2016 et 2017 [3]. Alors, comment l’industrie vidéo-ludique a-t-elle opéré ce véritable coup de maître ?

Le phénomène Wii et la révolution du smartphone

En 2006, Nintendo présente une nouvelle console qui va révolutionner le gaming: la Wii. En truffant ses manettes de capteurs, Nintendo va chambouler les codes du gameplay et rendre le jeu vidéo accessible à une population laissée de côté jusque alors.

Autre coup de génie du géant Japonais, la ludothèque de la Wii met l'accent sur le bien-être et la convivialité. Programmes d'entraînement physique et jeux multijoueurs basés sur la gestuelle permettent de dé-diaboliser le jeu vidéo et de toucher une population jusque là réfractaire à la manette. On allume la Wii en famille ou avec ses invités comme on sortirait le vieux Monopoly ou Trivial Pursuit familial du placard après le repas.

Carton plein pour la Wii qui devient en 2010 la console de salon la plus vendue par Nintendo avec 67 millions d'exemplaires écoulés [4] (101 millions en 2016).

"Pousse pas trop Roger, rappelle-toi ce que le médecin a dit"

Moins d'un an plus tard, la sortie de l'iPhone d'Apple va enfoncer le clou. Le gaming rentre réellement dans une nouvelle ère et le mobile va poser les bases d'un nouveau marché.

App store, Steam, DLC et micro-transactions : nouveaux outils pour un nouveau modèle

Au-delà de l'expérience ludique et de l'accès à une nouvelle population, la véritable contribution de l'iPhone à la sphère vidéo-ludique réside dans la création de l'App Store en 2008.

Désormais, une part croissante de la population se déplace avec une console dans la poche assortie d'une plateforme de vente en ligne : une aubaine pour les éditeurs. Plus besoin de driver les consommateurs dans des points de vente ténébreux au beau milieu de la plèbe adolescente, Mme Michu peut désormais télécharger son application de mots-fléchés directement sur son smartphone. D'ailleurs, on ne parle plus de jeu mais d'appli, une subtile variation sémantique qui résume bien la mutation du marché.

Le jeu sur mobile et tablette représente aujourd'hui 42% du marché du jeu vidéo et les revenus du secteur continuent de croître au rythme de 20% par an [1]. Mais quel est le secret de cette réussite insolente ?

La stratégie gagnante des studios aura été la généralisation du modèle "freemium". On télécharge son jeu gratuitement puis, une fois accroché, on se voit proposer d'améliorer notre expérience de jeu à coups de "micro-transactions". Le joueur peut échanger devises réelles contre améliorations, niveaux voire même des vies supplémentaires. Habile stratagème car un utilisateur captif sera bien plus enclin à passer à la caisse le moment venu !

"Eh mec, t'aurais pas quelques vies ?"

Les jeux dits "traditionnels", sur console et PC ont parallèlement suivi un chemin similaire avec d'un côté le développement de licences fortes et d'autre part la généralisation des DLC (DownLoadable Content). Ces extensions permettent d'ajouter de nouveaux contenus et fonctionnalités à un jeu, généralement contre espèces sonnantes et trébuchantes.

Alors qu'à l'instar du cinéma les budgets de développement et de communication explosent, ce nouveau modèle de financement permet de décupler la durée de vie d'un jeu et d'en tirer une rentabilité maximale puisque, le jeu étant en perpétuelle évolution, le sentiment de lassitude de sa base de joueurs et donc le besoin de sortir d'un nouvel opus se font sentir beaucoup plus tard.

Dans le jargon on appelle ça le "Game as a service", et c'est très lucratif : la mécanique aurait permis de tripler le marché du jeu vidéo ! [9]

Etude de cas : le modèle gagnant de Rockstar

Avec la sortie de Grand Theft Auto V en 2013, Rockstar a réussi un véritable hold-up, propulsant son lancement au rang de cas d'école. Les chiffres donnent le tournis:

265 millions de dollars de budget

800 millions de dollars de recettes le premier jour de sa commercialisation

Le cap du milliard de dollar de recettes franchi en 3 jours

85 millions de copies vendues (nov. 2017) , le 3e jeu le plus vendu de tous les temps

[5]

Si le succès phénoménal de cette licence doit beaucoup à la bonne image de la marque Rockstar et la longévité de sa licence (plus de 20 ans), c'est l'ajout d'un univers multi-joueurs novateur en perpétuelle expansion auquel vient régulièrement s'ajouter de nouveaux contenus et activités variées comblant une grande variété de gamers qui fait la particularité de ce nouvel opus.

La stratégie de Rockstar a été de proposer tous ses DLC gratuitement. Toute la base de joueurs a accès au contenu complet du jeu et se voit offrir pour en faire l'acquisition deux voies de progression:

  • La voie traditionnelle : le joueur gagne de l'argent en participant à des activités ou en gérant diverses "affaires criminelles"
  • La voie payante : en achetant de la monnaie virtuelle via micro-transactions, le joueur peut faire l'acquisition du nouveau contenu ou injecter les fonds dans ses "affaires"

La voie traditionnelle est bien entendu plus ardue et il faudra passer de longues heures devant le jeu pour faire l'acquisition d'un appartement ou encore d'un yacht. Pari gagnant pour Rockstar qui génère en 2016 près de 500 millions de dollars de recettes supplémentaires, juste à travers les micro-transactions.

Au-delà du bénéfice financier direct induit par ces micro-transactions, les DLC permettent d'étendre significativement la durée de vie d'un jeu. En effet, GTA V reste plus de 4 ans après sa sortie dans le top des jeux les plus vendus, et surtout l'un des 5 jeux les plus fréquentés avec une moyenne de 66 000 joueurs quotidiens [6].

Autre avantage significatif de cette stratégie à long terme : l'éditeur se construit une solide base de supporteurs fidèles et chaque nouvelle mise à jour enflamme la toile et remet la licence sous les projecteurs. Du buzz à moindre frais en somme, sachant que les rumeurs et spéculations sur les prochains DLC génèrent un bruit de fond constant dans la sphère vidéoludique.

La hype

Avec une mécanique aussi solide et rentable, pas étonnant que Rockstar ne semble pas pressé de sortir le 6e opus de sa licence phare, et il est plus que probable que GTA V batte des records de longévité.

Oui oui, 4341 pages de spéculations sur d'éventuelles mises à jour

Trop de micro-transactions tue la micro-transaction

Cependant, tout n'est pas si rose au pays de la micro-transaction et certains éditeurs en ont fait les frais. Dernier cas en date : le débat sur les lootboxes.

Les lootboxes sont des sortes de pochettes surprises virtuelles contenant de nouveaux items ou de la monnaie virtuelle. Le joueur achète une lootbox sans savoir ce qu'elle contient. Seulement, en achetant un contenu virtuel de valeur aléatoire au moyen d'argent bien réel, la mécanique s'apparente grandement à celle d'un jeu de hasard. Et exposer des mineurs à des jeux de hasard a tendance à fâcher les autorités.

Ainsi, une enquête a récemment été ouverte par les autorités belges pour faire un état des lieux et encadrer les microtransactions dans les jeux, poussant EA Games à suspendre temporairement les micropaiements dans son dernier jeu [7][8]. Bad Buzz !

Sources

[1] https://newzoo.com/insights/articles/the-global-games-market-will-reach-108-9-billion-in-2017-with-mobile-taking-42

[2] http://www.sell.fr/sites/default/files/sell_ejv_octobre17_pdf_numerique_03.pdf

[3] http://snjv.org/wp-content/uploads/2017/11/SNJV_barometre_2017_18.pdf

[4] https://www.engadget.com/2010/01/28/ds-sells-125-million-worldwide-wii-up-to-67-million

[5] https://en.wikipedia.org/wiki/Grand_Theft_Auto_V

[6] http://www.githyp.com/grand-theft-auto-v-101852/player-count

[7] http://www.pcgamer.com/belgium-says-loot-boxes-are-gambling-wants-them-banned-in-europe

[8] http://www.comptoir-hardware.com/actus/jeux-video/35209-star-wars-battlefront-2--ea-retire-les-transactions-in-game-.html

[9] http://www.gamesindustry.biz/articles/2017-10-10-games-as-a-service-has-tripled-the-industrys-value

Created By
Julien Stalkart
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