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Gaby oh Gaby La bonne pioche

Mail de Gaby : «il y aurait un arbre couché sur le parcours du Marathon du Larzac ». Ma réponse « OK, mais où, sur quel segment ?». L’après midi, je reçois par sms un fond de carte, entouré au stylo, la zone en question, le message de Gaby «les deux arbres sont dans ce secteur. Une bonne scie suffirait ».

Gaby, c’est Jean Philippe et Gaby, c’est son surnom. On se connait depuis plus de 20 ans mais finalement, je ne lui ai jamais demandé l’origine de ce petit nom. Même si je me plais à penser que la chanson de Bashung « Gaby oh Gaby », pourrait bien être à l’origine de ce surnom avec ces paroles qu’on lui siffla plus d’une fois aux oreilles en mâchouillant les rimes du crooner new wave «j’fais mon footing au milieu des algues et des coraux. Et j'fais mes pompes sur les restes d'un vieux cargo. J'dis bonjour, faut bien que j'me mouille ».

« Faut que j’me mouille », ça oui, Gaby mouille le maillot pour les Templiers. Il a raté les deux, trois premières éditions mais depuis deux décades, il est au fourneau. Notre première rencontre remonte à la fin des années 90, il réparait une moto dans son garage, dans la petite rue Antoine Guy à un jet de noyau du Vieux Moulin, cette bâtisse qui les pieds dans l’eau surveille les humeurs du Tarn. Nous avons discuté, longuement, précisément de quoi, je ne me souviens plus. Nous nous sommes quittés d’une bonne poignée de main, c’était sans le savoir, le ciment d’un engagement et d’une solide amitié.

Gaby ou Jean Phi, c’est un peu Monsieur pioche. Il dit toujours « une pioche, tu la poses sur le trottoir, tu es sûr que personne ne va y toucher ». La pioche, ce fut, ce l’est toujours, l’outil emblématique du brigadier des chemins, celui qui retrousse ses manches et qui se crache dans les mains. Celui qui plante là où il faut, sans forcer, sans tirer pour éviter le mal de dos même si parfois Gaby s’acharne jusqu’à la nuit tombée dans un combat d’homme à rocher. Je l’ai vu sortir de terre un rocher d’une tonne, le maîtriser de son manche de pioche, le faire pivoter centimètre par centimètre, le faire glisser par petites secousses puis le poser en contre bas, délicatement dans un creux de graviers pour s’en servir de point d’appui à l’étayement d’un sentier. Il n’y a que Gaby pour avoir cette force, lui l’ancien rugbyman, campé sur deux bons cuissots. Mais surtout cette patience, lui l’éduc spé en milieu ouvert auprès d’hommes et de femmes en souffrance et parfois en rupture avec le monde réel.

Sa plus belle contribution, il le dit sans se pavaner, on n’est jamais décoré pour cet âpre boulot «c’est le sentier qui descend sur Peyreleau». Un trait d’union entre causse et vallée pour rejoindre ce village posé à la confluence du Tarn et de la Jonte, une sente plein nord, humide, échelonnée de nombreux ressauts, de cassures, de plis et replis dans ce flanc torturé. 700 heures pour le dompter, peut être plus, un bon quart pour son compte temps personnel. Pour des plaisirs indéfinissables, choisir le bon clapas pour caler ce tronc d’arbre, tailler ce petit buis en boule, poser une pierre de plus sur ce cairn, comme le petit poussé des grands causses, cela dépasse la logique…A moins qu’il ne s’agisse de ce plaisir simple de remonter la pente, à pas lents, le manche de pioche posé sur l’épaule droite, le jour fléchissant, les premières lueurs de Mostuéjouls et de Liaucous scintillant dans la pénombre au pied du Sauveterre et ce silence, ce silence, enveloppant, caressant, une sagesse. Puis une fois revenu, s’assoir dans le cul de la bagnole, poser les outils, s’essuyer le dos trempé puis sortir une ambrée, une blonde à savourer et de trinquer, sans rien se dire.

Depuis la fin de ce chantier, Gaby ne sort plus trop sa pioche, ni le sac bleu qui a vécu plus d’une conquête. La liberté que l’on s’offrait autrefois à ouvrir ou rénover d’anciens sentiers de bergers s’est réduite comme peau de chagrin. On cisaille bien encore une brindille ici, on «coupaille» une branche là, on gratouille trois cailloux et on tape sur quelques vieux clous mais les beaux chantiers d’autrefois nous sont aujourd’hui interdits. Hier, Gaby a ressorti les habits du brigadier des sentiers pour s’en aller couper le tronc d’arbre avec son chien Mia. Le soir, il envoya cet sms «Bon, je n’ai pas trouvé l’arbre mais je me suis pris une bonne engueulade par un gars du coin. Pas grave, le causse est si beau».

Created By
GILLES BERTRAND
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Credits:

Gilles Bertrand Photography

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