Frédéric Guesdon : " Ce n'était pas un coup de bol " Paris - Roubaix 1997, vingt ans déjà...

Vingt ans que la France attend un successeur au Breton sur la piste du vélodrome ! Le directeur sportif d’Arnaud Démare (et de la FDJ) revient sur cette surprenante journée du 13 avril 1997. Il parle aussi de Boonen et des jeunes coureurs.

- Le dernier vainqueur français de Paris-Roubaix est-il surpris de ne pas avoir de successeur vingt ans son triomphe sur le vélodrome ?

« Oui et non. On a traversé cette période avec une grosse génération de spécialistes : Johan Museeuw, Tom Boonen, Fabian Cancellara. Neuf Paris-Roubaix pour ces trois-là, entre 1997 et 2017 (Museeuw l’a remporté une première fois en 1996). En même temps, l’épreuve s’est ouverte à d’autres nations : un Suédois (Magnus Backstedt en 2004), deux Australiens (Stuart O’Grady en 2007 et Mathew Hayman en 2016), les retours d’un Allemand (John Degenkolb en 2015) et d’un Néerlandais (Niki Terpstra en 2014). Ca laisse peu de place pour les autres. Notamment pour les Français… »

- Conservez-vous des souvenirs précis de cette journée ?

« Nous avions rejoint le départ à vélo. L’Italien Maximilian Sciandri (naturalisé britannique) était notre leader. J’arrivais en deuxième rideau avec Christophe Mengin. J’ai été victime de deux crevaisons, la première dès le secteur de Troisvilles. Un groupe de costauds (Zanini, Museeuw, Moncassin, J. Planckaert, Sciandri, Tchmil, Vogels, Sorensen, Wauters) s’est détaché sur le pavé d’Ennetières. Puis Museeuw a crevé une première fois à la sortie de Pont-Thibault. Son équipe a dû rouler. Cela m’a servi. On est revenu. A l’Arbre, je suis sorti en 8e position. A 3 km de l’arrivée, j’ai bluffé en ne quittant pas la dernière position. On est entré sur le vélodrome. Cela m’a un peu déstabilisé parce que je ne savais pas ce qu’il fallait faire. Je jouais plus placé que gagnant. Je m’étais dit que j’obtiendrais déjà une belle place en sortant devant au dernier virage. Finalement, personne ne m’a dépassé. »

Le sprint d'arrivée commenté par la télévision italienne : " Guesdone grande sorpresa "

- Que représente cette course dans votre vie ?

« J’étais très jeune lorsque que l’ai gagnée. J’ai accompli une grosse partie de ma carrière sur ce résultat. Mais le public m’en parle surtout comme si elle s’était disputée hier. Des personnes ne disent qu’elles se souviennent de leur activité et de l’endroit où elles se situaient lorsqu’elles ont appris ou suivi ma victoire. Cela a marqué les esprits… »

On a longtemps dit que je n’avais gagné ‘’que’’ Roubaix. Mais le reste n’est pas trop mal non plus. J’ai mis du temps à confirmer, à démontrer que je n’avais pas gagné sur un coup du sort.

- C’est la course que vous rêviez de remporter lorsque vous étiez enfant à l’école de cyclisme ?

« Entre autre. Pour un Français, c’est la plus connue après le Tour. Mais le Tour des Flandres m’aurait plu aussi. »

- Quelles sont les principales différences entre ces deux épreuves ?

« Le placement est primordial au Ronde. C’est moins déterminant sur Paris-Roubaix. Il faut aussi très bien connaître le parcours aux Flandres. Ce sont des monts. C’est beaucoup plus tonique. »

- Devez-vous votre carrière à Paris-Roubaix ?

« On a longtemps dit que je n’avais gagné ‘’que’’ Roubaix. Mais le reste n’est pas trop mal non plus. J’ai mis du temps à confirmer, à démontrer que je n’avais pas gagné sur un coup du sort. J’ai aussi gagné Paris-Tours qui se situait dans la même hiérarchie du calendrier. J’ai aussi remporté des étapes au Dauphiné-Libéré. J‘ai pris la 5e place à Harelbeke, la 6e place sur le Tour des Flandres. Dans une période pas facile pour les Français. Je n’ai pas à me plaindre. »

- Comment perceviez-vous ces réflexions rapportées autour d’un succès ‘’dû à la chance’’ ?

« Cela m’énervait un peu. An fond de moi, je savais que ce n’était pas un coup de bol. J’ai fait la course quand même ! Ensuite, j’ai quand même prouvé que j’étais parmi les meilleurs Français de l’époque sur les classiques. Et puis, j’ai fini par laisser dire... »

Un pavé pour la vie et la plus grande ligne de son palmarès pourtant bien fourni
On se dit qu’on aurait pu toujours être mieux classé si certains n’avaient pas triché.

- A l’époque, il y avait aussi un cyclisme à deux vitesses sur les classiques ?

« Oui. Mais on l’a su bien après. Avec quelques révélations. Sur le coup, tu n’y penses pas forcément. Ensuite, c’est une déception. On se dit qu’on aurait pu toujours être mieux classé si certains n’avaient pas triché. »

- Vous avez débuté votre carrière pro avec l’équipe du Groupement, en 1995. Il y avait de quoi s’inquiéter pour la suite, non ?

« Il n’y avait plus vraiment d’équipe française au plus haut niveau. On était dans le dur. Le rêve est vite devenu cauchemar. Sur le vélo, il fallait déjà s’accrocher car la transition avec le monde amateur reste brutale. On ne courait pas souvent. Puis, on nous a annoncé que tout s’arrêtait au mois de juillet. J’ai pensé que c’était foutu pour devenir pro, que je n’allais jamais retrouver d’équipe. Heureusement, j’avais un peu tapé dans l’œil de Luc Leblanc qui avait été champion du monde (1994). »

- Et vous prenez la direction de l’Italie…

« Je pars chez Polti. Sans hésitation. Ce n’était pas évident à 25 ans. Nous n’étions pas beaucoup à courir à l’étranger. J’ai bien fait. L’expérience m’a plu. S’il n’y avait pas eu la création de la FDJ (en 1997), je serai même resté là-bas. »

- Qu’avez-vous appris de l’Italie ?

« Ce sont tous des passionnés. Du coureur à n’importe quel membre de l’encadrement. C’était très bien structuré. En même temps, je n’avais pas vraiment eu le temps de voir l’évolution du Groupement puisqu’on avait vite refermé la porte. Ce fut une grande chance. Polti avait une belle réputation internationale. On avait un bon entraîneur (Giosue Zenoni). Il y avait une belle ambiance. J’ai été vite remotivé. »

- Vous vous êtes imposé une fois à Roubaix ; dimanche, Boonen tentera d’obtenir un cinquième pavé. Qu’est-ce que ça vous inspire ?

« Cette saison, je ne l’ai pas encore beaucoup vu dans les moments importants. A part sur Milan-San Remo. C’est un spécialiste. C’est sa course. On l’a tous découvert en 2002 (3e derrière Museeuw et Wesemann). Ensuite, il est tout de suite parti dans la bonne équipe. On sait de quoi il est capable sur les pavés. Personnellement, je pense que ce serait quand même une surprise s’il parvenait à gagner pour la cinquième fois. Mais si c’est le cas, je lui tirerai mon chapeau. »

J’ai reçu une formation de menuisier. Pendant un an, à Médréac (Ille-et-Villaine), j’ai fait des meubles et des portes. Un boulot à mi-temps. J’ai eu la chance d’avoir un patron qui me laissait libre pour l’entraînement

- Qu’est-ce que vous souhaitiez transmettre aux jeunes coureurs du comité de Bretagne dont vous vous êtes occupés immédiatement après la fin de votre carrière (2014) ?

« Je voulais les amener sur les classiques, leur apporter les petits trucs de coureur. C’est un métier quand même ! On a couru Kuurne-Bruxelles-Kuurne avec les juniors. A l’époque, la FDJ n’avait pas besoin de moi. C’est expérience riche car les jeunes sont plus à l’écoute que les pros. »

- Qu’est-ce que vous pouvez leur recommander ?

« Il faut travailler, bien évidemment. Et ne jamais baisser les bras. Il y aura toujours des hauts et des bas. Ce n’est pas une vie facile. Pour ceux qui ont la chance de passer pro, c’est aussi leur premier métier. Nous, nous avions la chance d’avoir travaillé auparavant. Là, les mecs arrivent. Ils sont correctement payés tout de suite. C’est un peu problématique. Ils ne galèrent plus. »

-Aviez-vous un métier avant de passer pro ?

« J’ai reçu une formation de menuisier. Pendant un an, à Médréac (Ille-et-Villaine), j’ai fait des meubles et des portes. Un boulot à mi-temps. J’ai eu la chance d’avoir un patron qui me laissait libre pour l’entraînement. Et puis, il y avait aussi un an de service militaire. »

Je n’aurais sans doute pas accompli la même carrière avec le système d’aujourd’hui. Je ne serais peut-être même pas passé pro

- Est-ce compliqué de suivre des gamins qui ont parfois même abandonné leurs études pour se consacrer au vélo ?

« C’est un vrai risque. Mais ce n’est pas leur faute. Plutôt celle du système. Les équipes les prennent de plus en plus jeunes. Trop jeunes, selon moi. Ils vont peut-être vite apprendre le métier. Mais ils ne feront pas tous une carrière. Ils doivent connaître la vie avant de devenir coureur. Est-ce qu’on adopte la bonne stratégie envers les néo-pros. »

- La concurrence entre les équipes est de plus en plus vive pour repérer les jeunes talents…

« Oui, mais on décale tout. On surveille déjà les cadets qui doivent régulièrement marcher pour percer. Puis, tu n’as aucune chance si tu n’es pas toujours parmi les premiers en juniors. On va parfois trop vite. On se trompe aussi. Il faudrait les laisser mûrir un peu chez les amateurs. D’autant qu’il existe un très beau calendrier en France. Je suis passé pro à 24 ans. Je n’aurais sans doute pas accompli la même carrière avec le système d’aujourd’hui. Je ne serais peut-être même pas passé pro. »

Ce que nous en avions dit le 14 avril 1997

« J’ai employé la même tactique que Marc Madiot : il ne fallait pas se montrer mais rester le plus longtemps groupés». Sur l’inestimable capital de ses « bonnes jambes », le Breton avait bousculé la hiérarchie de ces grands hommes que l’on attendait encore quand le macadam se fit plus fréquent »
Il faut de la chance pour gagner Paris-Roubaix. Mais aussi du flair. « A deux ou trois kilomètres de l’arrivée, quand j’ai vu que tout le monde se regardait, j’ai voulu attaquer mais je me suis ravisé ». Bien lui en prit, car c’est sur la piste, au sprint, que l’attendait son destin. « Paris-Roubaix me faisait rêver depuis un moment », dit-il.

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