Bons Baisers de Luchon

Un quartier thermal néoclassique

Au milieu du XIXe siècle, Bagnères-de-Luchon est doté d’un magnifique établissement thermal monumental, dû à l’architecte Edmond Chambert.

Croquis de l'aménagement urbain de la station thermale.

Cet édifice, à l’architecture résolument néo-classique, irrigue les constructions du quartier des bains qui lui répondent, tant, dans la gamme chromatique d’une blancheur emblématique que dans le répertoire formel. Chambert lui-même dessine des projets d’habitats avec par exemple ces lucarnes à ailerons. Mais c’est plus largement les formes de l’Antiquité qui sont reprises dans ce quartier thermal comme les pilastres ioniques d’ordre colossal (= se déployant sur deux étages) sur la maison de Gorsse ou le motif récurrent des baies en plein cintre. On les retrouve même au début du XXe siècle au Pyrénées Palace ! Les motifs sculptés renvoient également à l’esthétique classique, que ce soient les têtes antiquisantes de l’hôtel Bonnemaison mais surtout la composition sculptée de la villa Pyrène.

1 : Projet non réalisé d’un immeuble par Edmond Chambert ; 2 : Enfilade des façades des trois immeubles en retrait en haut de l'allée d'Etigny ; 3 : Vue d'un décor d’une fenêtre du Grand hôtel Bonnemaison.

Caractérise aussi ce quartier thermal la grande régularité des constructions où s’alignent de nombreuses travées strictement alignées et où les différences de niveaux sont soulignées par le décor ou les balcons.

Vue du décor néoclassique de la maison de Gorsse.

Ces habitations bourgeoises vouées à la location lors de la saison thermale possèdent toutes un niveau de soubassement où se trouvaient les pièces de service. L’escalier devant la façade ménageait un accès différencié depuis la rue : les volées latérales conduisaient à la partie résidentielle tandis que sous le perron, quelques marches menaient au soubassement.

1 : Entrée monumentale du Pyrénées Palace, 1913 ; 2 : Perspective de la partie est de l'allée en direction des thermes avec au premier plan les escaliers des n° 42 à 46.

L’ensemble de ces éléments cumulés confère un caractère très urbain à ce quartier de Luchon, qui se singularise par rapport au bourg primitif, mais également par rapport à la cité-jardin qui se développe dans le quartier de la Pique et du casino.

Ci-contre : vue d'ensemble du décor sculpté de la villa Pyrène.

Le casino, un palais au décor opulent

Dès les années 1860, on pense aménager un casino digne de ce nom à Bagnères-de-Luchon où n’existent pour l’instant que quelques salles de jeux et salons privés où se réunissent des curistes triés sur le volet. Edmond Chambert propose des premiers projets mais l’édifice n’est finalement construit qu’en 1880.

Projet non réalisé pour le casino, de l’architecte Edmond Chambert vers 1860.

Lieu de plaisir et de rencontre, le casino possédait également une grande salle de théâtre. Un droit d’entrée était requis (souvent sous forme d’abonnement) pour profiter du casino et de son parc privé, ceint d’une grille aujourd’hui disparue. Pour y donner accès à des populations moins favorisées, le bureau de bienfaisance, qui administrait l’hôpital thermal, provisionnait, quand il le pouvait, une somme pour le droit des indigents sur les entrées du casino et du théâtre.

La disposition des pièces montre la variété des activités qui y étaient proposées. Le rez-de-chaussée abritait un salon de lecture, où la presse était mise à disposition, un autre de conversation, le restaurant et le théâtre à l’italienne. Au 1er étage se trouvaient une bibliothèque, une salle de billard, un salon de jeu et un vaste salon de réception dit salon tunisien en raison de son décor. Une salle d’armes a été aménagée dans le soubassement. Deux professeurs de danses et de maintien officiaient dans les années 1890, qui dispensaient quotidiennement des cours et de leçons particulières, au casino mais aussi à domicile.

1: Plafond du salon tunisien, 1880 ; 2 : Vestiges de décor ornant l'ancien logement du directeur.

La majorité des pièces du casino possédait un décor de stucs rehaussés de peintures. Malgré son mauvais état, le salon tunisien témoigne encore de l’originalité de son décor multicolore qui couvrait la pièce du sol au plafond et était mis en scène par des caissons architecturés. Des miroirs aux encadrements recherchés démultipliaient l’effet.

Plafond du théâtre du casino en cours de restauration en 2016.

L’effondrement partiel du plafond du théâtre a entraîné une restauration d’ensemble en 2016 qui a redonné son cachet à la salle. De nombreux spectacles y ont été donnés : le décor peint retrouvé dans un logement aménagé dans une partie du casino est sans doute un remploi d’un décor de scène.

Vue du théâtre du casino, après sa restauration.

Des écrins enchâssés : casino, parc et montagne

Les portails d’accès au parc du casino étaient stratégiques puisqu’ils permettaient le contrôle des droits d’entrée, ce qui explique qu’Edmond Chambert en ait élaboré un projet. Le contour de ce parc avait été défini dès les années 1860 après les expropriations menées pour dégager l’espace du casino et de son jardin.

Projet des trois entrées du parc du casino, par l’architecte Edmond Chambert, 1866.

L’utilisation de la brique détonne à Luchon mais son alliance aux bandeaux blancs qui évoquent la pierre est une référence explicite au style Louis XIII. L’emploi de la brique en 1880 au casino est également à relier à l’arrivée du train en 1873 qui facilite l’arrivée de matériaux exogènes.

Plusieurs accès secondaires étaient disposés sur les élévations latérales du casino pour ménager des accès distincts aux différentes parties telles que le restaurant ou le théâtre.

Élévation latérale du casino.
1 : Détail d'un médaillon du casino. (Frédéric Chopin ?) ; 2 : Vue du décor de la porte du pavillon du casino.

Le casino a reçu un décor sculpté qui renvoie à sa vocation de lieu de spectacle. Sur chaque élévation latérale quatre médaillons présentent des portraits de profils de compositeurs. Cela a peut-être été inspiré par les médaillons en façade de l’opéra de Paris cinq ans plus tôt, même si le traitement ici est bien plus sommaire. Des mascarons ornent pour leur part les portes des pavillons latéraux du casino, mais également de nombreuses lucarnes. Ils évoquent tous l’univers théâtral.

Le parc du casino était conçu pour cadrer la perspective en direction du port de Venasque par deux arbres monumentaux plantés en 1880 : un séquoia géant et un cèdre de l’Atlas, procédé déjà employé au parc thermal mais qui n’est plus lisible aujourd’hui car le séquoia a dû être abattu. Le groupe sculpté en marbre du Baiser à la Source est venu compléter l’aménagement du parc en 1949 ; propriété de l’État il ornait depuis 1908 les jardins du palais de l’Élysée. L’œuvre était ainsi décrite dans Limoges illustré en 1907 qui souhaitait la voir bénéficier du recul ombreux d’un parc : « l’homme, en plein possession de sa virilité, se penche du rocher à l’onde qui en sort et donne la vie aux lèvres de la femme éveillée à l’amour ».

Ci-contre : Vue de la perspective sur les Pyrénées du parc du casino, cadrée par le cèdre de l'Atlas et le sequoia géant.

Crédits :

Photographies : Amélie Boyer, Philippe Poitou, Christian Soula, Service de la connaissance et de l’inventaire des Patrimoines – Région Occitanie

Textes et croquis : Alice de la Taille, chercheur Service de la connaissance et de l’inventaire des Patrimoines – Région Occitanie

Conception : Service Innovation, Transmission et Appui aux Territoires, Région Occitanie