L'INFO M'A TUER

Enième ouverture du Monde. Il faut que je m’y mette. Assise sur le canapé et emmitouflée dans un plaid, la motivation me quitte pourtant peu à peu. J’attrape mes lunettes posées sur la table basse et les place sur mon nez. J’ouvre mon ordinateur et me prépare à prendre des notes, comme chaque jour depuis octobre. Mais avant de commencer, j’ai besoin d’un thé. C’est presque sacré. Sans lui, j’ai l’impression d’être à plat. En faisant le tour du canapé puis du bar pour rejoindre la cuisine, j’en profite pour rebrancher mon ordinateur. Lui aussi va avoir besoin d’énergie. De l’autre côté du bar, qui sépare le salon de la cuisine, la bouilloire ronronne de plus en plus fort. Après avoir sorti beaucoup de sachets, je me décide enfin. Aussitôt avalé par la boule à infusion, le thé plonge dans une tasse d’eau chaude. Quelques minutes suffisent pour que ses fragrances commencent à embaumer la cuisiner, le salon puis tout l’appartement. Ça y est, mon cocon est prêt. Il est temps de passer aux choses sérieuses.

Si j’ai bien appris une chose cette année, c’est qu’il faut ménager son corps et son esprit. Ils risquent la surchauffe et dans mon cas, assez fréquemment. Il faut se sentir bien car préparer n’importe quel concours n’est jamais simple. Mais l’actualité, contrairement à une leçon, ne vous attend pas. Vous voyez le lapin dans Alice aux pays des merveilles ? Celui qui se plaint toujours d’être à la bourre ? Et bien, c’est un peu comme ça que je me vois. Car oui, depuis que je note quotidiennement ce qu’il se passe dans l’actualité, j’ai l’impression qu’il faudrait rajouter pas mal d’heures dans une journée. Tout est une question d’organisation en réalité. Et de motivation. Et d’envie. Bon, vous avez compris, c’est pas simple tous les jours. Parfois je lutte, jusqu’à tard dans la nuit pour gagner du temps sur la journée du lendemain, tout en perdant de précieuses minutes voire heures de sommeil. Parfois j’abandonne carrément et je m’affale sur mon canapé pour regarder un bon navet à la télé.

J'ai toujours eu peur d’être bloquée dans un métier sans grand intérêt, ennuyeux et où les tâches se répèteraient inlassablement

Lorsqu’on demande aux enfants ce qu’il veulent faire plus tard, peu répondent qu’ils veulent être journalistes. Qui plus est, ils changent d’avis à peu près tous les mois. Et ça a été mon cas longtemps, très longtemps. Jusqu’en première année de licence en réalité. J’avais pas la moindre idée de ce que j’allais pouvoir faire de ma vie. Dans une filière scientifique au lycée pour m’ouvrir le plus de portes possible, j’ai vite compris que les matières littéraires permettaient ma survie. J’ai toujours été bonne élève mais certains enseignements m’ont véritablement passionnés. Je me suis donc longtemps cherchée. J’ai toujours eu peur d’être bloquée dans un métier sans grand intérêt, ennuyeux et où les tâches se répèteraient inlassablement. Alors je n'ai jamais vraiment cru ceux qui affirment que depuis tout petit le journalisme est le métier de leur rêve.

Pour moi ce n’est pas une vocation. C’est un peu comme une « révélation ». Au fur et à mesure j’ai compris que c’était ce que je voulais faire. Il m’a fallu du temps mais maintenant je suis sûre. Pourtant la route est encore longue. La préparation aux concours d’entrée en école est éprouvante, les épreuves sont épuisantes et l’attente des résultats stressante. Je parle en connaissance de cause puisque je les ai déjà présentés l’année précédente. Et ce n’est pas une partie de plaisir que de recommencer tout ça. Loin de là.

C'est reparti pour un tour

J’ai donc ressorti quelques fiches utiles, racheté des bouquins et je me suis replongée dans ce véritable parcours du combattant. Pour me rassurer on m’a dit « la meilleure préparation à tout type de concours c’est de les avoir déjà passé une première fois ». Oui d’accord. Mais on est toujours satisfait quand ça fonctionne du premier coup. Et puis personne ne peut vraiment imaginer ce que c’est tant qu’on ne l’a pas vécu. Encore une fois, l’actualité ne nous attend pas. L’année suivante, tout a changé ou presque. Certaines choses servent mais il faut en réalité emmagasiner d’autres connaissances. En revanche, j’ai pu améliorer ma méthodologie. Face à ce flot d’informations qui déferle sur moi chaque jour, savoir par où commencer n’est pas toujours chose facile. Il faut aussi savoir « jeter ». Car oui, il y a des choses qui ne seront sans doute pas dans les QCM d’actualité. Il faut sans arrêt trier, approfondir, connaitre les « gros » sujets sur le bout des doigts. Et parfois, il faut tout reprendre à zéro parce qu’un sujet n’est pas compris. Parce que oui, parfois je ne comprends rien de ce que je lis.

Encore une fois, l’actualité ne nous attend pas

Comme vous le savez, j’ai eu un bac S. L’économie et la finance n’ont jamais été ma tasse de thé. Pourtant, c’est fondamental pour comprendre un peu ce qui nous entoure. Dans les livres achetés cette année, il y a donc « l’économie pour les nuls » et tout un tas d’ouvrages qui éclairent un peu ma lanterne sur ce sujet. J’ai pu revoir un peu ma façon de travailler pour être plus efficace. Mais il n’y a pas que ça.

Pour corser un peu les choses, je me suis inscrite à la télépréparation de l’Ecole Supérieure de Journalisme de Lille (ESJ) pour m’aider à me préparer aux épreuves. J’ai donc des exercices types à rendre qui sont ensuite corrigés par des enseignants ou des professionnels. Et ce n’est toujours pas tout. Sinon c’est trop facile. Passer une année uniquement dédiée à cette préparation m’aurait rendue folle. Rester cloitrée chez moi et passer mes journées à travailler et uniquement travailler, c’était pas possible. Retourner chez ma mère, à la campagne (maman si tu lis ça, pardon), sans voir personne puisque tout le monde se serait envolé vers de nouvelles aventures universitaires, non. Il me fallait un cadre, une autre raison de me lever le matin. Alors j’ai décidé de faire un Master en parallèle. Mais qui dit Master, dit travail à faire. Comme vous vous en doutez, je croule désormais sous le travail.

Le calendrier est devenu mon deuxième meilleur ami, après le thé évidemment. Mes semaines sont acrobatiques. Il faut jongler avec les différents groupes et les rendus qui tombent tous en même temps. Mes amis ont parfois tendance à oublier qu'en rentrant chez moi, ma journée n'est pas terminée pour autant. "T'es courageuse" m'a glissé l'un deux. Alors quand on ne sait plus quel jour on est, que tous les jours se ressemblent et que le week-end était bien trop court pour qu'on s'en souvienne, ça complique encore les choses. Pour y remédier, j'ai ressorti les post-it et blindé mon écran de téléphone de rappels. Au moins, je ne risque pas de perdre le fil. Par contre, rien ne peut m'aider à retrouver ce que j'arrive à perdre dans mon propre appartement. Mes clefs par exemple, me font souvent des blagues. Elles jouent à cache-cache et j'ai rarement Passe-Partout sous la main.

Comme vous le voyez, mon quotidien est plein de péripéties. Être journaliste, il faut le vouloir. Ça ne tombe pas du ciel. J'ai choisi tout ça me direz-vous. En effet, personne ne m'a forcée. Mais j’avais besoin de ce cadre, de l'étiquette « passée par une école de journalisme » sur mon front. Au moins, je n'ai pas le temps de m'ennuyer. Je me suis quand même demandée si je ne ferais pas mieux d’aller dans un cursus similaire mais non « reconnu » comme école de journalisme à part entière. Après avoir tenté les concours une première fois et d’être passée si près du but, je me suis dit qu’il valait mieux retenter ma chance. Après tout, six mois de travail acharné dans une vie, c’est peu. Et ça payera peut-être bientôt. Qui sait ? En attendant, finis les week-ends passés à buller, finies les soirées détentes à ne rien faire et surtout, finies les bonnes nuits de sommeil.

Overdose d’infos, doutes et manque de sommeil

Déjà plusieurs mois que je me plie en quatre pour pouvoir fournir partout, sans rater une miette d’information. Les semaines se suivent mais ne se ressemblent assurément pas ! Parfois, je suis vraiment efficace, je n’ai aucune fiche d’actualité en retard, j’arrive à découper mes journées plutôt équitablement et donc à tout rendre dans les temps. Je mange plutôt sainement, des fois sur le pouce mais aux heures habituelles. Et parfois…c’est le chaos dans ma tête et surtout dans mon appartement. Je ne mange pas grand-chose à part des pâtes, ma vaisselle s’accumule dans l’évier, ma valise du weekend précédent est toujours éventrée sur le sol, ma table basse est couverte de tabac à force de rouler des cigarettes et j’ai des cernes de plusieurs kilomètres. Il m’arrive aussi de vivre plusieurs jours en pyjama. Je sais, pas très glam’. Mais le travail passe avant tout.

D’ailleurs, mon cycle de sommeil est lui aussi passé à la trappe et il ne ressemble plus à rien. Je me demande même s’il existe encore tellement je suis déphasée. Depuis plusieurs semaines, m’endormir est un réel calvaire. Mes yeux piquent, j’ai mal dans tout le corps, je suis épuisée mais rien n’y fait. Je mets parfois une heure voire plusieurs avant de réussir à trouver les bras de Morphée. Et lorsque je décide qu’il est temps d’arrêter de travailler et que je me glisse dans ma couette surmontée de mon plaid, c’est un peu la panique. Mon cerveau s’embourbe dans mes pensées. Il scanne ce qui a été fait aujourd’hui mais surtout ce qu’il reste à faire demain et dans les prochains jours. Ça n’en finit jamais. Je voudrais fuir toutes ces pensées. Elles m’empêchent d’être apaisée, de me reposer. Elles ne me fichent jamais la paix. Je suis épuisée et ça aussi ça m’épuise. J’ai beau me tourner dans tous les sens, lire un roman pour remplacer ces pensées par d’autres imaginaires, faire de la relaxation : je cogite sans arrêts. Les concours ont pris le contrôle de mon cerveau.

Je ne mange pas grand-chose à part des pâtes, ma vaisselle s’accumule dans l’évier...

Les premières épreuves approchent à grands pas et déjà les (longs) dossiers d’inscription pointent le bout de leur nez avec elles. L’angoisse aussi se fait une petite place parmi toutes mes préoccupations. Elle me rend de mauvaise humeur mais elle me fait aussi pleurer de temps en temps. J’ai l’impression d’être à bout, d’escalader une montagne de choses à faire tout en tombant régulièrement. Et puis, je me mets une immense pression sur les épaules. Cette année, je la vois comme un défi à relever. Après tout le travail consacré à ces maudits concours, il faut que ça fonctionne ! Car, après c’est terminé. Hors de question de les passer une troisième fois. C’est épuisant, vraiment. Par contre, je ne renoncerai certainement pas à devenir journaliste. J’ai trouvé ma voie et je ne lâcherai pas maintenant.

Pour surmonter tout ce stress et ce wagon d'émotions, il faut se couper des informations, du monde extérieur. Sinon c’est l’overdose. Mon corps est maltraité et mon esprit en surchauffe. En me déconnectant, j’ai réalisé que je me satisfaisais de plus en plus avec peu. Passer une heure au café avec des amis peut parfois sauver ma journée tout comme sortir marcher quelques minutes permet de remuer ce corps un peu délaissé. Je pense d’ailleurs avoir beaucoup appris de cette année de préparation. Elle m’a fait grandir, mûrir aussi, mais surtout elle a décelé mes limites.

J’apprends constamment et je crois que j’aime vraiment ça

Et oui, surprise ! Je ne suis pas infaillible. Je ne suis pas un robot et je ne le serai jamais. Certes, il m'arrive d'envier le quotidien de certains de mes amis qui ont la possibilité de se la couler douce. Je l'avoue. Mais pour autant, je pense que je n'échangerai le mien pour rien au monde. Vous avez dit maso ? Peut-être un peu. En réalité, j’ai réellement pris goût à l’information et j’ai maintenant besoin de comprendre ce qui m’entoure. Plonger la tête la première dans les pages des journaux, dans des reportages audio ou vidéo m'a permis de me créer une conscience « sociétale ». C’est un peu comme si j’avais trouvé ma place, que j’avais enfin mon mot à dire. Parce que comprendre les enjeux mondiaux, nationaux ou locaux, ça permet aussi de se comprendre soi-même. Je sais avec qui je suis d’accord, avec qui je ne le suis pas et pourquoi. Si l’information peut diviser, elle peut aussi rassembler et amener tout un monde de possibilité avec elle. J’apprends constamment et je crois que j’aime vraiment ça. Je ne sais pas tout, loin de là ! Mais je suis persuadée que c’est ce qui est intéressant.

J'ai connu des périodes plus faciles, je ne vais pas dire le contraire. Mais il doit surement en exister des bien pires (s'il vous plait, dites oui). De nombreux étudiants ont été dans cette même galère, d'autres sont en plein de dedans et beaucoup suivront. Tous auront l'impression de s'engouffrer dans une voie difficile et ils auront raison. Je suis persuadée que tout le monde se casse la figure à un moment donné. Plus ou moins brutalement d'ailleurs, mais quand même, tout le monde y passe ! Je me suis aussi découverte une force et une détermination que je ne soupçonnais pas. Lorsque je suis abattue et que j’ai envie de tout envoyer valser, je suis capable de remonter la pente. Parfois avec un petit coup de pouce de mes amis ou de ma famille, il est vrai. Mais la quantité de travail ne m’effraie plus. Je sais que je peux fournir sur plusieurs tableaux en même temps et m’en sortir quand même. Je ne culpabilise plus lorsque que je fais une pause parce que je sais que j’en ai besoin. Lorsque j'ai sommeil, devinez quoi ? Je vais dormir et tant pis si je laisse certaines choses en plan. Je m’écoute davantage en réalité. Comme quoi, la procrastination a parfois du bon !

Aujourd'hui, j'ai encore un peu de sommeil en stock, pas mal de vaisselle en retard et plus grand chose dans mon frigo. J'ai aussi plus de 130 pages de fiches d'actualité à apprendre, d'autres à écrire et six journées d'épreuves m'attendent. Mais mis à part ça, je vais bien ne vous en faites pas.

Texte de Camille Vandier & Photos d'Enguerran Borter

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