Pour ou contre ? print vs numérique : un match perdu d'avance ?

Depuis quelques années, le numérique a envahi nos sociétés. Face à cette révolution technologique de taille, le questionnement quant à la pérennité des supports physiques de diffusion culturelle, et notamment du "print", est légitime. Après plus de 500 ans de développement et de continuité du support imprimé, le fichier digital s’apprête-t-il à sonner la fin du match pour Gutenberg ? Analyse des points forts de ces deux supports de lecture.

De la presse écrite aux supports de diffusion musicaux, en passant par le cinéma et le livre, l’industrie de la culture et de la communication traditionnelle doit aujourd’hui relever un défi de taille : l’adaptation au numérique et à ses enjeux. Les journaux ne peuvent que constater le déclin de leurs ventes papier, les CDs sont remplacés par des fichiers téléchargeables en ligne, et certaines grandes marques d’ordinateur et d’informatique ont même décidé de ne plus intégrer de lecteurs DVD à leurs nouveaux modèles. Les actuels appareils technologiques, tablettes, smartphones et autres liseuses permettent à leurs utilisateurs de transporter à même leur poche, un volume incalculable de biens culturels, consommables immédiatement.

Part de marché du livre numérique sur le chiffre d'affaires de la vente de livres en 2015. © Kempton Mooney of Nielsen ; Nelsen Book Research ; Global eBook report ; BuchReport ; SNE ; CB logistics ; AIE.

Si cette révolution technologique touche bel et bien tout le secteur culturel, il est à noter que le livre et son marché résistent dans quelques irréductibles pays, notamment en France. Ainsi, quand aux États-Unis le numérique représente 24 % du chiffre d’affaires du secteur livre et au Royaume-Uni 16 %, la France peine à atteindre les 7 % pour des consommateurs ne représentant que 2 % de la population. Pourtant, plus de la moitié des français a investi au moins une fois dans le marché du livre pendant l’année (papier et numérique). Quelles sont donc les raisons de ce développement progressif mais lent de la lecture numérique dans l’Hexagone ?

Print vs numérique : entre attachement au papier et confort de l’interactivité

La bien connue et revendiquée « exception culturelle française » serait-elle en cause ? En partie, avec un très fort attachement au papier et au livre traditionnel, si l’on en croit l’avis de Céline, 53 ans : « Personnellement, je n’aime pas lire sur tablette, bien que j’aie déjà eu l’occasion de tenter à plusieurs reprises l’expérience. Avec le numérique, on est bien loin du rapport sensoriel au papier : odeur, toucher, son… La mise en scène n’est plus la même et la lecture s’en ressent. » Pourtant, le livre numérique offre un véritable atout en terme d’aisance de lecture, puisque le lecteur peut lui-même adapter la mise en page du texte selon ses besoins. Ce paramétrage peut s’avérer être une énorme avancée, notamment pour les personnes ayant des problèmes de vue, ou souhaitant tout simplement choisir leur propre typographie.

"Avec le numérique, on est bien loin du rapport sensoriel au papier : odeur, toucher, son… La mise en scène n’est plus la même et la lecture s’en ressent." - Céline, 53 ans.

De plus, les liseuses utilisent aujourd’hui une encre électronique aux propriétés non réfléchissantes, permettant une lecture longue, sans les effets néfastes de la « lumière bleue » des écrans numériques habituels. Si la forme du texte peut ainsi être modifiée à la guise du lecteur en format eBook, son fond peut quant à lui être l’objet d’un enrichissement de la part de l’éditeur dans le cas de livres enrichis. Le texte y est accompagné d’éléments multimédia et de compléments de texte, développant ainsi de nouvelles perspectives de lecture ainsi que la découverte du livre sous le prisme inédit de l’interactivité. Sons, vidéos ou encore animation, les compléments se déclinent sous de nombreuses formes et sont notamment utilisés par les éditeurs de livres d'art, de jeunesse ou de sciences humaines.

Un équipement onéreux, séduisant plutôt les « grands lecteurs »

Outre ces atouts de confort, la facilité du transport des livres numériques est également un argument non négligeable. En effet, quand le poids moyen d’un roman en grand format est de 500 grammes, les intégrales de La Comédie Humaine de Balzac et des Rougon-Macquart de Zola en version numérique pèseront plus ou moins le même poids, grâce aux supports de lecture digitale que les constructeurs cherchent à rendre de plus en plus légers. Néanmoins, l’achat d’un équipement de lecture numérique peut rebuter certains lecteurs, puisqu’il induit un investissement qui, selon les types de tablettes, peut s’avérer onéreux. Ainsi, les prix des liseuses demeurent-ils assez élevés, démarrant à 69,90€ pour une Kindle d’Amazon qui ne lira pas tous les formats de livres numériques. En effet, le numéro 1 de la vente de livres en ligne a réussi à s’octroyer une grande part du marché du livre numérique, en lançant sa propre liseuse, matériel indispensable pour pouvoir ouvrir les livres en vente sur sa plateforme. Pour obtenir la liberté de choisir son format de livre numérique et pouvoir acheter sur tous les sites marchands, le consommateur devra choisir la Kobo, deuxième leader mondial de matériel de lecture numérique, et déboursera 30€ de plus au passage.

Modèle Kindle Fire d'Amazon

L’investissement important que nécessite ce genre d’équipement peut par conséquent refroidir certains consommateurs à s’orienter vers le numérique, comme Lucas, 19 ans pour qui « l’achat d’une liseuse ou d’une tablette dans le but de lire ne vaut pas vraiment le coup, proportionnellement au nombre d’ouvrages que je lis par an. J’achète un livre de poche à moins de 10 euros de temps en temps, car j’aime malgré tout la lecture, mais je ne me vois pas investir dans un matériel technologique dont je n’aurai finalement pas l’utilité. » Cette opinion se ressent à travers les chiffres, montrant que la lecture numérique intéresse tout d’abord les « grands lecteurs » : 66 % des lecteurs sur format numérique ont lu un livre papier et 45 % un livre numérique dans le mois passé. On constate également que les lecteurs de numérique demeurent davantage équipés que les autres : 83 % possèdent un smartphone, 55 % une tablette et 25 % une liseuse, leur permettant ainsi de varier supports et modes de lecture.

Le numérique, une lecture moins chère, sans délai mais moins libre ?

« Mon récent emménagement en zone rurale m’a rendu la lecture numérique indispensable ! » nous explique avec enthousiasme Elisabeth, 60 ans. « La librairie la plus proche se trouve à plus de 50 kilomètres de mon domicile, et je n’ai pas l’occasion de m’y rendre souvent. Ayant en revanche accès à internet, je peux commander en ligne tous les livres disponibles en format numérique que je souhaite, sans délai. En plus, les prix sont souvent plus bas que ceux des livres papier que je me procurais auparavant en magasin ! » En effet, si les prix des liseuses et tablettes demeurent plutôt élevés, les livres numériques ont l’avantage d’être vendus moins cher que leurs homologues papier sur le marché.

"Je peux commander en ligne tous les livres disponibles en format numérique que je souhaite, sans délai. En plus, les prix sont souvent plus bas que ceux des livres papier que je me procurais auparavant en magasin !" - Elisabeth, 60 ans.

L'absence de stocks, la réduction des frais de fabrication ou encore des intermédiaires entre le texte et le lecteur permettent aux éditeurs de proposer des prix plus bas sur le format eBook, environ 15 à 20 % moins cher que pour les livres papier. De plus, les titres tombés dans le domaine public sont proposés gratuitement au téléchargement sur des sites et plateformes spécialisés, ce qui n’est pas le cas en librairie, bien qu’un système d’impression à la demande des titres libres de droits ait commencé à être envisagé. Les stocks inépuisables du numérique évitent les problèmes d’indisponibilité d’un titre, et les délais de commandes ne sont plus un frein d’accès à la lecture immédiate. Cependant, le prêt du fichier d’un livre numérique demeure aujourd’hui impossible, du fait de l’utilisation de DRM. Ces derniers sont mis en place pour éviter la copie et le piratage afin que le marché du livre ne subisse pas le même sort que l’industrie de la musique, très endommagée par le téléchargement illégal.

Si le numérique connait une avancée moins fulgurante en France que dans d’autres pays, sa progression ne peut néanmoins pas être niée. Ainsi, le chiffre d’affaires du livre numérique en France a augmenté de 45% en 2013, passant à 68 millions d’euros, alors même que le marché du livre global connait un recul depuis plusieurs années. Les Français, frileux face à cette révolution numérique, sont tout de même de plus en plus nombreux à se laisser séduire par ce nouveau support de lecture et ses avantages. Parallèlement, le numérique entre petit à petit dans les mœurs par la porte du droit français, puisque la TVA s’est alignée sur celle du livre papier (à 5,5%) en 2010. La prise au sérieux du numérique par les institutions est une preuve indéniable, bien qu’un peu tardive, que le marché a encore de beaux jours devant lui pour s’épanouir. Pour autant, la menace sur le print ne semble pas peser pour le moment bien lourd, puisque ce dernier reste le support indétrônable pour une grande partie de la population. Que Gutenberg continue de dormir sur ses deux oreilles, son invention qui révolutionna le monde il y a près de 600 ans ne sera pas mise au tapis de sitôt.

Rédaction : Alice Delbarre

Sources :

Credits:

Created with images by papirontul - "e-book e-reader tolinos shine" • Unsplash - "e-book kindle ebook"

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