4. Cérémonies

Rouge pour l'Est, c'est là que le soleil se lève. Violet pour l'Ouest où il se couche. Jaune pour le Sud, qui éclaire les plantations. Blanc pour le Nord d'où vient le froid. Bleu et vert, le ciel et la terre, au centre. Au dessus, plein d'étoiles et la lune en croissant.

Cérémonie. Tout le monde est assis autour de l'autel Maya et protège les bougies du vent en les entourant des mains. C'est le début d'un atelier de quatre jours avec des participants venus de toute la région, on demande aux esprits de nous donner de l'énergie, de la joie, de nous protéger.

J'écoute. Les mots venus des bouches qui prient sont emprunts d'une douceur et d'une bienveillance surprenantes. Peu de pudeur. Beaucoup de rires. Plus tard, autour de cet autel, ils parleront de souvenirs d'enfance comme de lutte sociale. Je me sentirai petite et un peu étrangère face à leurs engagements pour leur langue indigène, la préservation de leurs terres, le respect de la nature, les droits sociaux... Je trouve parmi ces paysans universitaires une tolérance neuve et des points de vue utopistes qui me plaisent.

L'autel fait de feuilles et de fleurs à même le sol regorge d'offrandes. Maïs blanc, jaune, violet, bananes, graines, ananas... et une photo de Che Guevara. Nous sommes invités à nous servir du met qui nous plait à tout moment, et je croque goûlument dans les grains de cacao dès que l'occasion se présente.

Cérémonie. Pour invoquer. La femme vêtue de grands tissus qui dirige les opérations l'affirme : le tabac aide à se connecter avec les dieux. Alors tous, suivant ses gestes, fumons des cigares énormes. Elle embrasse le sol, jette des bougies dans le feu, nous invite à prendre la parole. La scène est épique et j'ai honte de ce rire intérieur que je réprime d'un hoquet silencieux. Mais le moment est grave, et mon discret humour blasphématoire déchante vite. J'entre dans le jeu. Trois heures autour des crépitements durant lesquelles nous sortons des mots justes, écoutons, laissons nos poids aux flammes, rallumons les cigares aux braises de l'encens. Le ciel brille encore quand le feu s'éteint et que tout le monde s'enlace. Je suis un peu intimidée dans les bras de cette femme corpulente qui a parlé aux dieux, et je me sens bien.

Les Parachicos représentent la lutte indigène contre la conquista Espagnole. Déguisés en Européens avec leurs masques blancs et leurs "cheveux blonds", ils dansent au premier rang d'une procession catholique.

Des rites, des danses et des ambiances faites de mélanges et d'opposés. Des orations catholiques en fin de prière Maya. La vie Chiapanèque est une cacophonie géante dont les limites poreuses laissent place à une certaine poésie. Même la fameuse fête des morts ressemble à un oxymore géant, brouaha de fanfares, ivresses sur les dalles, fleurs et déchets. Une femme s'écroule en larmes sur une des tombes pendant qu'un homme complètement saoul dort sur celle d'à côté. Des gens qui passent, des gens qui partent, des rêves de changements.

J'habite dans le théâtre d'un mouvement permanent fait de choses belles, de longs discours, de sauce piquante. J'habite avec les esprits et ceux qui leurs parlent. Du café au petit matin avant les champs. Des chamallows au feu de camp. De la peau de porc en soupe. Du thé à l'ananas et au citron pour la veillée funèbre. Superstitions, plants de betteraves, cercueils et ciels luisants. Le temps file sous les rires tonitruants des cuisinières et le vrombissement des ailes de colibris. Déjà décembre et dans ma tête, un été sans fin.

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