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Les idées du paysage Marie-Josée LAFRAMBOISE, Bertrand R. PITT, Pierre ROBERT

Entre le temps, la lumière et le lieu…

… des tracés s’entrecroisent, se muent en parallèles, et s’estompent dans une ambiance spectrale. Regroupés sous le titre Les idées du paysage, trois projets photographiques scrutent l’anonymat de lieux rencontrés au détour d’une route, d’un sentier ou d’un regard posé. Marie-Josée Laframboise, Bertrand R. Pitt et Pierre Robert observent les aspects multidimensionnels et transformateurs du paysage, tant au niveau de la recherche formelle, du traitement que de l’aspect chimérique qu’il propose. Le magnétisme du paysage opère, ensorcèle, et enivre le regard à même l’éclatante nature automnale, la grisaille post-hivernale ou la voute grillagée.

Trois idées, trois versants contemporains du paysage.

Le paysage, en tant que genre pictural, communique habituellement une nature magnifiée, en mettant en scène une perspective idéale dans laquelle la présence humaine sera soit accessoire, soit évacuée. Omniprésent dans les œuvres nord-américaines, il a construit sa légitimité culturelle à la suite des explorateurs et de leurs relevés visuels du territoire. La tradition paysagiste s’est, dès lors, perpétuée de génération en génération en devenant un leitmotiv sous-jacent à la création artistique contemporaine. L’art photographique a, pour sa part et très tôt dans son évolution, développé une fascination pour les majestueuses scènes offertes par les paysages. Les photographes n’ont effectivement de cesse d’en immortaliser la temporalité éphémère et la beauté insaisissable.

Aujourd’hui, l’art transforme le paysage, l’investit, l’encense, le dévoile, le convie à de multiples actions créatives et performatives. Le paysage, désormais, est le substrat d’un potentiel expressif et conceptuel, il est matière de l’art. Si le paysage avait été subjugué par une esthétique de la beauté et de la grandeur conquérante, l’art l’a finalement reconquis pour en faire un gabarit modulable. La nature, la ruralité, l’urbanité, l’industrialisation et les liens sociaux sont, certes, parmi les pôles majeurs d’inspiration en lien avec l’idée contemporaine du paysage. Conséquemment, ce dernier témoignera autant des dérives humaines, de la splendeur de la nature que de la richesse de la création tous azimuts. Dès lors, la photographie s’accorde une polyvalence, les angles personnels, sociaux, intemporels, actuels et critiques jouent dans tous les horizons. Elle nous enveloppe dans des sensibilités ouvertes, dans un espace-temps figé.

Par leurs séries photographiques, Marie-Josée Laframboise, Bertrand R. Pitt et Pierre Robert nous convient à arpenter les vibrations, les émotions, les temporalités du paysage actuel et à en apprécier la dimension multivoque. On y retrouvera des repères, des lieux, des projections, des imaginaires et des réalités. Les idées du paysage proposent trois regards, trois propositions photographiques, trois observations à partir du territoire québécois. Marie-Josée Laframboise débrouille l’entrelacs de notre faîtage électrique pour y découvrir l’étonnante esthétique des tracés ; Bertrand R. Pitt, pour sa part, enchâsse au paysage naturel un éclatant chromatisme séquentiel, ravivant telle une onde matricielle la perception même du paysage ; Pierre Robert, de façon intimiste, investit le paysage campagnard des Basses-Laurentides dans une fugue vers l’absence.

Trois idées se côtoient, divergent et appréhendent l’environnement naturel ou transformé par des pratiques structurées par l’œil, l’esprit et l’esthétique. Dans cette exposition, le paysage se découvre de nouvelles perspectives.

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Marie-Josée LAFRAMBOISE : Faîtages linéaires

Les photographies décontextualisées de Marie-Josée Laframboise se concentrent sur l’agencement des fils électriques surplombant nos espaces urbains et ruraux. Typiques des paysages nord-américains, ces enchevêtrements de lignes forment un imparable filtre entre le regard et le paysage. Le travail de Marie-Josée Laframboise, constamment habité par l’idée des réseaux, y a vu une autre expression de ces entrecroisements linéaires si présents dans nos sociétés.

Ce grillage filaire enrobé de ciel est paradoxal. D’une part, il nourrit notre dépendance à l’électricité, d’autre part, il nous enferme dans sa toile, au point d’en être esclave. Le Québec et l’Amérique du Nord se sont développés si rapidement que nos réflexions sur l’impact urbanistique n’en sont qu’à leurs premiers balbutiements. Ce lien duel engage un sentiment aliénant, renforcé par la grisaille en arrière-plan et suscite un questionnement quant aux courts-circuits de l’aménagement du territoire habité.

Les œuvres de Marie-Josée Laframboise participent à cette mise en exergue, en jetant un regard pensif sur cette réalité bien présente, mais escamotée par un quotidien aveuglé. Cependant le paysage, sous cet angle, demeure aussi le lieu d’un jeu formel inédit, et suggère des Faîtages linéaires.

Faîtages linéaires

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Bertrand R. PITT : Chrominance / Luminance

L’abstraction chromatique incorporée aux paysages, de la série Chrominance / Luminance de Bertrand R. Pitt, attire immédiatement le regard et cette rencontre incongrue du paysage naturel avec son abstraction soulève une énigme visuelle. L’artiste puise à l’horizon une fine ligne pour exhumer toute la gamme colorée proposée par la matrice photographique. Hors des paysages dont ils sont issus, ces plans abstraits vivent par eux-mêmes et génèrent de nouvelles dimensions, consolidées par une subtile intériorisation des effets colorés.

Captivé par l’horizon et la réflexion, Bertrand R. Pitt propose un travail sur la dualité du paysage, à la fois matière et perception. Les enchevêtrements des couleurs et de la lumière naturelle réaffirment l’ampleur de la beauté que nous offre une nature resplendissante. L’abstraction, pour sa part, permet au spectateur de mesurer et de savourer l’infinie palette des nuances de notre spectre optique. À la fois intenses, suaves et pastellées, selon l’instant capté, les couleurs laurentiennes défilent et présentent leurs atours sous nos yeux charmés.

Même si la nature demeure le thème central de la série photographique de Bertrand R. Pitt, ses incursions numériques, telle une harpe chromatique, nous invitent à jouer, à jouir et à interpréter souverainement la nature, à la sublimer. L’idée étant de transformer afin de signifier et d’embrasser ad litteram un moment éphémère sur terre.

Chrominance / luminance

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Pierre ROBERT : Désagencements

Un effet vaporeux merveilleux. Un malaise conscient. Les photographies de Pierre Robert suscitent des sentiments contradictoires où les opposés s’entrechoquent et se confrontent. Dans ces paysages campagnards dénués de toute activité tangible, la trace humaine s’infiltre dans le menu détail. L’effet spectral de la lumière ajoute, à cet environnement anonyme, un sentiment de présence diffuse. Le paysage vit et respire, bercé par les aléas d’un temps indéfini.

Cette série, Désagencements, est campée sur la lente fonte des neiges, tel un printemps attendu qui sourd sous la blancheur affaissée d’une peau terrestre en mutation. À ces images bucoliques s’adjoint une indisposition : l’inaccessibilité des lieux, l’attente, la dormance. Cette nordicité ambivalente se présente alors comme un espace irréel, poétisé, mélancolique, puisé là tout près, à même le sol et jusqu’à son effacement. L’imaginaire notoire de la campagne se revire de bord, aucune forme de vie dans ce réel recouvert. Ne subsistent que les traces inflexibles de l’empreinte humaine pour en évaluer l’étendue.

La dualité palpable de cette série se révèle dans la cohabitation de l’arrière-plan et de l’avant-plan, entre un horizon pulvérisé et la proximité du regard, reflétant ainsi le dialogue entretenu par le photographe avec un paysage qui ne prend vie que par une certaine idée de la fugue.

Désagencements

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La brise du paysage souffle notre regard vers la contemplation des fins détails de ce qui nous entoure. À la fois tangibles et imaginaires, les photographies proposées dans cette exposition nous escortent vers une vision de la nature/humaine à l’horizon des Laurentides et des Basses-Laurentides. Marie-Josée Laframboise, Bertrand R. Pitt et Pierre Robert nous transportent vers des lieux où lignes d’horizon, flous spectraux et abstractions matérielles discutent de l’actualité du paysage. Aux idées du paysage, ils ont répondu : présents.

Claire Lefebvre et Pierre Robert

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Bios, démarches et sites personnels :

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Claire Lefebvre

C’est au détour d’un heureux hasard que l’histoire de l’art s’est présentée à la porte de Claire Lefebvre. Envoutée, dès le départ, par la richesse et l’envergure des études dans ce domaine, elle en fera son métier, l’art et la passion font désormais partie de son quotidien. Outre l’enseignement de l’histoire de l’art au niveau collégial, elle a participé à plusieurs projets artistiques et culturels, y prêtant sa plume et ses compétences à la coordination. Ces dernières années, elle privilégie particulièrement la mise en valeur des arts dans des organismes et projets d’exposition dans les Laurentides.

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Par son travail en installation, dessin et photographie, Marie-Josée Laframboise attire notre attention sur les univers relationnels qui tissent le monde, nous invitant de ce fait à en prendre conscience et à les percevoir différemment. (Jean-Philippe Beaulieu)

Ses œuvres ont été présentées en Allemagne, Autriche, Belgique, Canada, Écosse, France et Suisse lors d’expositions individuelles et collectives, de résidences ou de symposiums. On trouve ses œuvres au sein de collections privées et publiques importantes, dont la collection Prêt d’œuvres d’art du Musée national des beaux-arts du Québec, le Musée d’art de Joliette, la collection du Cirque du Soleil ainsi que celle de la Fondation Christoph Merian, en Suisse. De plus, ses projets ont bénéficié à plusieurs reprises du soutien du Conseil des Arts du Canada et du Conseil des arts et des lettres du Québec.

Détentrice en 2002 d’une maîtrise en arts visuels de l’Université Concordia, elle participe en 2000 à un échange international à la Glasgow School of Art, au cours de ses études supérieures. Elle enseigne depuis 2006 au département d’Arts visuels du Collège Lionel-Groulx.

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Bertrand R. Pitt vit et travaille à Montréal. L’interprétation du paysage comme vecteur d’expérience est au cœur de sa pratique en photo, en vidéo et en art interactif.

Ses œuvres ont été présentées dans plus d’une vingtaine d’expositions individuelles, entre autres dans les centres et galeries B-312, Occurence, CIRCA, Plein sud, La chambre blanche, La Bande Vidéo, DAIMON, Gallery 44 (Toronto), Emmedia (Calgary), Truck Gallery (Calgary), Eye Level Gallery (Halifax), la Galerie de l’UQAC et les Maisons de la culture du Plateau et Frontenac et dans diverses expositions collectives, projections et résidences au Québec, au Canada, au Brésil, en France et en Suisse. En 2016, son installation Le bruit des yeux faisait partie de l’exposition d’ouverture du nouveau pavillon du Musée National des Beaux-Arts du Québec retraçant 40 ans de pratique installative au Québec. Son travail a été soutenu à plusieurs occasions par le Conseil des arts et des lettres du Québec et le Conseil des arts du Canada et fait partie des collections du Musée National des Beaux-Arts du Québec comme de collections publiques et privées. Détenteur d’une maîtrise en arts visuels de l’Université du Québec à Montréal (UQÀM), il enseigne au département d’arts visuels du Collège Lionel-Groulx.

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Ma démarche photographique est à la fois subjective et engagée. Une subjectivité à la recherche du profil comportemental d’un lieu, plus particulièrement dans le présent projet Désagencements. À l’affut d’une image capable de contenir l’emmêlement des choses et des évocations associées à un lieu. L’endroit et l’envers, en somme, d’un espace-temps humain saisi dans son apparente inertie.

Pierre Robert enseigne l’histoire de l’art au Collège Lionel-Groulx. Il a une formation en Arts visuels et en Histoire de l’art. Il est le fondateur (1997) de la revue électronique Archée (arts médiatiques et cyberculture – archee.qc.ca). Il cumule une pratique photographique qui s’étale sur plus d’une vingtaine d’années.

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Crédits :

  • Réalisation de l'affiche : Bertrand R. Pitt
  • Réalisation du document numérique : Pierre Robert
  • Photographies : Marie-Josée Laframboise, Bertrand R. Pitt, Pierre Robert.
  • Texte : Claire Lefebvre avec la collaboration de Pierre Robert