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Alexia, un an après Meurtre d'Alexia Daval : un an de rebondissements permanents

Douze mois se sont écoulés depuis la découverte du corps martyrisé d'Alexia Daval. Une année intense, tant sur le plan judiciaire que médiatique, marquée des rebondissements incessants et une personnage central qu'on peine à cerner, le mari de la victime, Jonathann, principal suspect. Si ce crime n'est pas encore résolu, l'enquête se poursuit avec minutie, sous le regard avide de la France entière. Décryptage.

Il y a des crimes qui marquent leur époque. Le meurtre d’Alexia Daval appartiendra à cette catégorie. Décortiquée en temps réel par les médias de tout le pays, l’affaire Daval captive l’opinion publique par sa brutalité, ses zones d’ombre, sa charge émotionnelle et ses incessants rebondissements, le tout enveloppé d’un voile de mensonges. Car c’est une certitude, aujourd'hui, quelle que soit la réalité de ce sinistre homicide : on nous ment de manière obstinée.

Il y a un an presque jour pour jour, la France entière découvrait le souriant visage d’Alexia. Un an déjà qu’à l’inverse, ses proches la perdaient à tout jamais.

Vertige du destin, cruauté, douleur : les mots utilisés pour commenter ce triste fait divers pleuvent sans discontinuer depuis ce 28 octobre 2017, date à laquelle Jonathann Daval s’est présenté aux gendarmes en feignant l’inquiétude. Sa femme, expliquait-il alors, n’était pas rentrée de son footing.

Un "crime de joggeuse" transformé en trahison nationale

Photos Bruno Grandjean et Dominique Roquelet

Les "crimes de joggeuses" ont toujours eu un retentissement particulier dans l’imaginaire collectif, mais à l’apogée du scandale Weinstein et du mouvement #MeeToo, qui dénonce les libertés bafouées des femmes dans notre société, Alexia a été aussitôt érigée en symbole. Celui de la victime de trop. Toute la France s’est alors indignée à l’unisson, et a couru lors de ces nombreux "jogging-hommage". Toute la France a compati avec les parents d’Alexia et son mari, dont les images ont inondé la télé, les journaux et les réseaux sociaux.

Photos Bruno Grandjean et Dominique Roquelet

Toute la France a été trahie. La malheureuse "joggeuse de Gray" n’est jamais allée courir, ce samedi matin-là. Et c’est ce terrible poids que l’accusé, lors du procès à venir, devra aussi porter sur ses épaules.

Un seul homme est mis en examen par la justice : Jonathann Daval.

Photos Bruno Grandjean et Arnaud Castagné
"Nous ne défendrons pas un meurtrier, nous ne défendrons pas un assassin. Nous défendrons un jeune garçon qui dans une crise de couple a effectivement, de façon accidentelle, occasionner la mort de son épouse", Maître Randall Schwerdorffer, avocat de Jonathann Daval.

À l’issue de sa garde à vue, l’informaticien graylois avait avoué avoir étranglé son épouse "par accident", lors d’une dispute conjugale. Mystère éventé, enquête close ? Il n’en fut rien. Prenant tout le monde à contre-pied, le trentenaire s’est rétracté fin juin, accusant son beau-frère Grégory Gay d’avoir commis l’irréparable, avec la complicité de sa belle-famille.

Qui est le vrai Jonathann Daval ?

Coup de tonnerre ou manœuvre désespérée ? Quel crédit apporter aux déclarations si changeantes du mari d’Alexia ? Jonathann est une énigme. Depuis son canapé, chaque Français semble s’être forgé sa propre opinion… Fragile ? Sincère ? Victime d’une conspiration ? Ou à l’inverse "manipulateur", doté d’une personnalité "caméléon", "agressive", voire "dangereuse", ainsi que l’ont décrit les experts "psy" judiciaires ? Soyons clairs. Même si la présomption d’innocence prévaut, les enquêteurs et magistrats directement concernés penchent, en l’état actuel du dossier, pour cette seconde option.

Avocats de la défense face aux avocats des parties civiles, proches d’Alexia face à la mère de Jonathann Daval… On assiste, depuis des mois, à un ping-pong médiatique d’une intensité rare. Plateaux TV, interviews et formules "choc" s’enchaînent avec un objectif inavoué : s’attirer les faveurs de l’opinion publique. Aucun camp n’ignore que les jurés d’un procès d’assises sont tirés au sort parmi la population.

Photos Samuel Coulon, Bruno Grandjean et Ludovic Laude

Une affaire, deux camps

Alors que les parents, la sœur et le beau-frère d'Alexia se battent pour obtenir la vérité et protéger l'image souriante de la jeune femme, la famille de Jonathann a également souhaité témoigner. Convaincue de son innocence, Martine Henry, mère du meurtrier présumé, a pris récemment la parole.

"On n’a pas du tout envie de s’exposer mais on ne voudrait pas qu’Alexia soit salie, traînée dans la boue", Jean-Pierre Fouillot.
"Je ne suis que souffrance, je n'arrête pas de pleurer. On ne peut l'exprimer davantage : l'absence de toi est une injustice sans nom. La douleur me ronge de l'intérieur, sans cesse", Isabelle Fouillot.

Nicolas Bastuck, journaliste et rédacteur en chef adjoint à l'Est Républicain a pu recueillir les confidences des parents d'Alexia Daval. Dans quelles conditions s'est déroulé cet entretien et pourquoi les parents ont-ils souhaité s'exprimer ?

"Je crois en sa version, toute sa famille y croit. Jonathann ne ment pas", Martine Henry.

Une série de vérifications achevée "dans les semaines à venir"

Pourtant, une partie autrement plus décisive se joue en coulisse, dans l’ombre chancelante du secret de l’instruction. L’enquête. Et jusqu’à présent, ses résultats sont très défavorables à Jonathann Daval. Pilotées par la section de recherches de la gendarmerie de Besançon, des investigations complémentaires sont menées depuis cet été. Le juge d’instruction a dressé une liste de plusieurs dizaines de "points à vérifier", destinée à éprouver l’ultime version du mari. De nouvelles auditions ont été réalisées. Des images de vidéosurveillance devaient être visionnées. De nombreux autres actes d’enquête ont été décidés. L’ensemble sera achevé "dans les semaines à venir", selon une source proche du dossier.

Après le visage du veuf éploré mais menteur, puis celui du mari coupable mais repentant, Jonathann Daval se désigne comme victime d’un complot. Il joue son va-tout. Le voilà funambule malgré lui, en équilibre sur un fil ténu… Sa seule chance de ne pas basculer dans le vide serait que les récentes investigations valident son étonnante version, remettant ainsi en cause l’ensemble du dossier. Si, à l’inverse, rien ne corrobore ses dires, voire, pire pour lui, que des éléments matériels ou scientifiques le contredisent, gare à la chute.

Quand tout le monde réclame "la vérité"

Prudence et patience restent de mise, le chemin vers le procès étant encore long. Énième audition chez le juge d’instruction, confrontation, reconstitution des faits… Qui oserait prédire ce qu’il s’y passera ?

Écartelés entre chagrin et colère, les proches d’Alexia, eux, ne cessent de réclamer "la vérité". C’est aussi ce que revendiquent les avocats de Jonathann Daval, solidaires de leur client. C’est enfin l’envie profonde des habitants de Gray, qui se disent usés par les secousses médiatiques de ce drame intime. Cette vérité, seule Alexia la détient avec certitude. Mais dans ce concert de rumeurs et de paroles contradictoires, qui résonne depuis douze mois maintenant, sa tombe restera silencieuse. Pour toujours.

Trois récentes révélations liées à l’enquête fragilisent la position de Jonathann Daval

L’étrange suicide d’Esmoulins jetait le trouble dans les esprits, ce qui aurait pu profiter à la défense, mais des expertises scientifiques ont dissipé les derniers doutes : aucun lien n’a été détecté entre les deux affaires.

On a par ailleurs appris que seul l’ADN de Jonathann Daval - une trace minime de sperme - a été retrouvé sur le corps de la victime. Rien de surprenant selon le mari, qui explique avoir eu une relation sexuelle avec son épouse dans les jours précédant sa disparition.

Troisième élément inconfortable : un bouchon retrouvé à côté d’Alexia , qui s’emboîterait avec une bouteille de produits inflammables retrouvée dans le garage de leur maison. Pour rappel, Jonathann Daval a toujours nié être impliqué dans la crémation du corps de son épouse.

La ville de Gray "aspire au calme et à la dignité"

Que leur conviction soit faite sur l’affaire ou qu’ils soient "très troublés", les Graylois, qui vivent depuis un an entre tensions et montagnes russes émotionnelles, disent n’aspirer qu’à une chose : "la vérité".

"Alexia Fouillot 1988-2017". Dans le marbre de sa pierre tombale, au cimetière de Gray, Alexia a repris son nom de jeune fille. De ce point de vue, l’affaire Daval n’est plus que celle de son mari et meurtrier présumé, Jonathann.

Au centre-ville, les parents Fouillot viennent de céder leur bar-restautant-PMU et, d’ici la fin de l’année, le jeune repreneur devrait être aux manettes du percolateur au-dessus duquel sourit toujours un portrait d’Alexia, couronné d’une rose blanche et flanqué de l’écriteau : "Merci de respecter notre sérénité".

Voilà maintenant un an que la paisible cité de 5 500 âmes baignée par la Saône a été secouée par le séisme du meurtre d’Alexia et ses diverses répliques médiatico-judiciaires. Et cela a laissé des traces. Ainsi, souvent, à la simple mention de l’affaire, les visages se ferment, les regards se crispent et claque un : "Ah non ! Ça suffit ! Stop !"

Une méfiance, ou plutôt une défiance, que ceux qui acceptent de parler - sous le sceau de l’anonymat, garant de leur sincérité - expliquent par "un ras-le-bol". De quoi ? "De tout ce cirque ! Il faut arrêter ! Il se passe d’autres choses à Gray ! Tout le monde en a ras la casquette d’entendre tout et n’importe quoi. D’accord, c’est humain et chacun fait son boulot mais la population aspire au calme et à la retenue. Et ayons une pensée pour cette gamine et pour ce qu’elle a dû souffrir. Le meilleur hommage à lui rendre est qu’éclate enfin la vérité."

Reste qu’en la matière, et dans l’attente de conclusions judiciaires, chacun a la sienne. Ou plutôt, deux clans se sont formés, les pro-Fouillot et les pro-Daval qui n’ont de part et d’autre que "des belles choses à dire" sur leur parti pris. Et il y a les autres, ceux qui se disent "troublés par tout ce qui se passe et tout ce qui se dit".

Photos Ludovic Laude
"Pas sûr que si une marche blanche était organisée aujourd’hui il y aurait autant de monde"

"On entend beaucoup de on-dit, de cancans et de propos à l’emporte-pièce qui peuvent s’avérer blessants", confie une commerçante. "Moi qui connais les deux familles, lorsque je les rencontre, l’une comme l’autre, je m’en tiens à un simple 'Bonjour' sans demander 'Comment ça va ?'. Et je m’abstiens de souhaiter 'Bonne journée !' sachant ce qu’il en est. " Un tact qu’elle voudrait voir adopté par d’autres habitants, "au lieu de parler à tort et à travers".

Quant aux raisons des "troubles" exprimés par d’autres ? "Il y a le malheur et ce qu’on en fait, comment on le vit, comment on s’affiche, ça s’arrête là." Mais encore ? "Pas sûr que si une marche blanche était organisée aujourd’hui, il y a aurait autant de monde. C’est tout."

Témoignant tous de leur aspiration à "connaître enfin la vérité, et le plus vite possible, ne serait-ce que pour les proches", tous confient leur crainte ultime : "Il ne faudrait surtout pas que ce soit une nouvelle affaire Grégory où, plus de trente ans après, on ne sait toujours pas".

Christophe Laurençot, maire de Gray : "J’invite chacun à la prudence et à la retenue"

En tant que maire de Gray, vous avez été pendant un an le réceptacle des émotions et réactions de la population. Que pouvez-vous nous en dire ?

Tout d’abord, je n’ai jamais accepté de m’exprimer car parler d’un fait divers est toujours délicat, encore plus pour moi qui connais très bien la famille et en particulier la maman d’Alexia qui est conseillère municipale. Je pense donc en premier lieu à la famille et aux proches d’Alexia, qui vivent un véritable cauchemar depuis un an. Un an après, je crois qu’il est important d’inviter chacun à la plus grande prudence et à la plus grande retenue concernant cette affaire. Une procédure judiciaire est en cours, laissons la justice travailler.

Comment les Graylois ont-ils vécu cette année de votre point de vue ?

Il me semble qu’ils ont vécu trois phases. D’abord, à l’annonce de sa disparition, l’inquiétude et l’angoisse mêlée d’espoir de la retrouver. Puis le recueillement, notamment avec la marche blanche. Et enfin la solidarité, forte, avec la famille et je suis très heureux d’avoir pu constater les nombreux témoignages de cette vague de solidarité.

Quel a été votre rôle en tant que maire ?

Un rôle pacificateur, je l’espère. Sachant que les perpétuels rebondissements de cette affaire ravivent à chaque fois les émotions et n’aident pas les proches. Or, il est important, primordial, pour eux comme pour nous, que la vérité éclate.

Certes. Mais vous n’êtes pas sans ignorer que le climat n’est pas des plus apaisés. Beaucoup d’habitants sont troublés, il existe des dissensions…

Les discussions de comptoir ne m’intéressent pas. Encore une fois, le plus important est la recherche de la vérité afin que chacun puisse tourner la page, laisser cette affaire derrière soi, sans toutefois oublier le drame vécu par Alexia et les siens. En attendant, oui, il faut vivre avec cette tragédie au quotidien.

Dans quelle mesure ce drame aura-t-il marqué la ville selon vous ?

Ici, nous sommes dans la proximité, tout le monde se connaît. Cette affaire, chacun l’a vécue comme une véritable tragédie. C’est une période très difficile à vivre pour la vie de la ville. Chacun a le sentiment d’avoir perdu une proche.

Quelques considérations glanées au fil des rencontres avec les habitants et surtout les commerçants de la ville qui, par leur neutralité professionnelle, ont pu observer ce qu’il se disait au sein de la population :

"Il y a quelque chose là-dessous. Trop de trucs bizarres, de paradoxes… Ça sent le secret de famille."
"Au début, on a été pris dans le tourbillon mais là, on en a vraiment ras le bol !"
"La ville de province, le fait divers sordide avec plein de zones d’ombre : on se croirait dans un film de Claude Chabrol !"
"Ce genre d’affaire excite les mauvaises langues et réveille les vipères. C’est humain, mais bon…"

A Gray et auprès des protagonistes de l'affaire Daval dès le premier jour, notre journaliste Didier Fohr revient, un an après, sur l'ambiance qui régnait à l'époque dans la commune et sur le calme et la dignité des habitants. Il évoque également le ressenti autour de Jonathann Daval.

Textes : Willy Graff et Pierre Laurent - Réalisation : Emeline Piucco

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