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Le bois pousse dans la construction française Par François Perrigault

Lancement du fonds Icawood, entrée d’Altarea Cogedim au capital de Woodeum Résidentiel, désignation des groupements retenus pour la construction du village olympique… L’année 2019 a été riche en événements marquants pour la construction bois en France. De quoi en déduire que le secteur a franchi un nouveau stade de développement ? Décideurs* analyse le marché.

Visuel : Ossabois a participé à la réalisation de l’opération des Rives du Bohrie à Ostwald (©Florent Michel)

« Nous pouvons parler de massification de la construction bois en France car nous avons dépassé le côté expérimental des premières opérations lancées il y a dix ans. » Michel Veillon, directeur général du spécialiste de la construction bois Ossabois, est un observateur avisé du marché. La société qu’il pilote existe depuis quarante ans et a rejoint le groupe GA Smart Building en 2018. « Le marché de la construction s’est développé au début des années 2000 sur le segment des maisons individuelles et des opérations de moyenne hauteur en province et en deuxième couronne francilienne pour représenter un poids d’environ 10 %. Depuis cinq ans, la construction bois gagne du terrain dans les projets collectifs, urbains, de grandes hauteurs, tertiaires et les résidences. » Un constat partagé par Julien Pemezec, président du directoire de Woodeum (promoteur immobilier spécialisé dans la réalisation de résidences bas carbone conçues en bois massif) : « Depuis la création de la société il y a cinq ans, nous avons noté une nette évolution qui se traduit de plusieurs manières. Nous voyons de plus en plus de projets de grande ampleur et en grand nombre. En parallèle, la filière de la construction se professionnalise avec des acteurs historiques qui se sont dotés de filiales dédiées et l’émergence de nouveaux industriels qui ont lancé des lignes de production spécialisées. Enfin, l’appétit des utilisateurs, des investisseurs, des élus et des aménageurs pour ce type de construction a progressé. »

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Visuel : (©Woodeum-Clichy)

Les établissements publics EpaMarne-EpaFrance ont été parmi les premiers aménageurs à porter le sujet de la construction bois. « Nous avons engagé 5 000 logements en structure bois depuis 2015, soit 50 % de nos opérations résidentielles, révèle Laurent Girometti, le directeur général. Au départ, nous nous interrogions sur la commercialisation mais nous avons été rapidement rassurés. Les métiers de la construction ont également su s’adapter car, à la différence du béton qui nécessite une précision centimétrique, le bois requiert une exactitude millimétrique. » En effet, la construction bois ressemble à un véritable mécano car les éléments sont réalisés en usine puis assemblés sur site. Une nouvelle façon de concevoir qui a ses avantages : « Nous gagnons entre six et huit mois en menant un chantier tertiaire en bois par rapport à un programme classique en béton, explique Nicolas Laisné, architecte de l’agence Nicolas Laisné Architectes qui réalise 70 % de son activité en bois. De plus, nous parvenons à imaginer des bâtiments qui vont facilement évoluer dans le temps avec ce matériau et les utilisateurs s’y sentent bien. Enfin, une construction bois génère beaucoup moins de nuisances pour les riverains qu’un chantier basé sur le béton. » Pour autant, le recours à ce matériau ne constitue pas la panacée.

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Des freins encore nombreux

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Visuel : La tour Or-Bronze à Paris 13e (©Augusto Da Silva - Graphix-Images)

Le surcoût financier d’une réalisation bois par rapport à un projet béton figure au premier rang des obstacles. « Aujourd’hui, ce différentiel se situe entre 10 et 15 %, notamment à cause du manque de concurrence sur les entreprises actuellement capables de construire en bois », précise Audrey Camus, vice-présidente développement et gestion d’actifs pour la partie Europe chez Ivanhoé Cambridge. Cette dernière, filiale immobilière de la Caisse de dépôt et placement du Québec, s’est fixée pour objectif de réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 25 % d’ici 2025. Elle a créé un fonds d’investissement début 2019 avec Icamap pour développer des bureaux à faible empreinte carbone grâce au bois massif CLT (lamellé croisé) dans la Métropole du Grand Paris. Baptisé Icawood et doté d’une capacité d’investissement d’1,6 milliard d’euros pour réaliser 200 000 à 300 000 mètres carrés de bureaux, le véhicule a réalisé un premier investissement en fin d’année dernière au 94-108 rue des Poissonniers à Paris dans le 18e arrondissement avec un projet de 31 500 mètres carrés. « Les chantiers dans le tertiaire étant plus rapides en bois qu’en béton, les coûts de portage sont réduits. Le différentiel financier de la construction est ainsi contrebalancé, détaille Audrey Camus. En revanche, nous avons un sujet sur la hauteur car un étage en structure bois représente une épaisseur supplémentaire de 20 à 25 centimètres comparé au béton. Nous perdons ainsi un niveau sur un bâtiment qui en comporte dix et nous ne pouvons pas remettre d’offre utilisant ce matériau dans le cadre des concours qui ne l’imposent pas. » L’association pour le développement du bâtiment bas carbone (BBCA) essaie justement de faire évoluer la réglementation : « Aujourd’hui, il existe des dérogations sur le sujet de la hauteur pour les bâtiments présentant des performances écologiques exemplaires, mentionne Hélène Genin, déléguée générale. Nous échangeons avec les pouvoirs publics pour étendre cette dérogation aux aspects environnementaux. »

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Visuel : Le projet de Nexity, Eiffage Immobilier, CDC Habitat, EDF et Groupama sur le secteur E du village olympique proposera un mode constructif mixant bois et béton bas carbone (©COBE)

Autres sujets identifiés par l’association, ceux de la provenance du bois et sa transformation : « Le CLT utilisé en France vient d’Autriche. Les acteurs privés et les pouvoirs publics doivent structurer la filière française. » L’évolution est toutefois bien engagée à en croire Julien Pemezec : « Avec la montée en puissance de la demande, l’industrie française s’organise pour transformer son propre bois comme le prouve le développement de Piveteau Bois par exemple. » La coordination des parties prenantes dans la construction bois reste, quant à elle, à parfaire. « Il faut mettre tous les acteurs autour de la table dès la phase amont d’un projet pour proposer une équation technique et économique réaliste et partagée, développe Michel Veillon. C’est ce que nous avons fait par exemple dans le cadre du groupement mené par Icade et la Caisse des dépôts qui a remporté la consultation sur le secteur D du Village Olympique et Paralympique. » Le projet en question, qui prévoit une programmation à terme d’environ 650 logements et différents programmes en rez-de-chaussée, sera réalisé en bois ou mixte bois/béton bas carbone. En parallèle, des initiatives collectives sont d’ores et déjà à l’étude sur d’autres programmes en France. « Nous lancerons une consultation en 2020 à Torcy pour laquelle nous souhaitons sélectionner d’emblée un groupement pour sécuriser l’opération », indique notamment Laurent Girometti. Dans ces conditions, la question de savoir si la construction bois pourra franchir un nouveau palier dans l’Hexagone au cours des prochaines années se pose. Et les avis divergent.

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La RE 2020, engrais pour la construction bois ?

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Visuel : Le parc du Genitoy dans l'écoquartier Le Sycomore de Bussy-Saint-Georges (©Epamarne - Florence Mercier - Christophe Caudroy)

Après un rebond de + 6,3 % par an entre 2016 et 2018, le chiffre d’affaires des entreprises françaises de construction bois se replierait en moyenne de 1,5 % par an d’ici 2021 pour atteindre 1,8 milliard d’euros selon les prévisions dévoilées en novembre 2019 par les experts de Xerfi. La faute d’après eux à la suppression du PTZ dans les zones non tendues (ndlr : cette disposition a été abandonnée depuis), à la raréfaction du foncier aux abords des grandes métropoles mais aussi à la plus grande difficulté à obtenir des permis de construire à l’approche des élections municipales. Si le dynamisme du segment des travaux d’extension-surélévation doit permettre de compenser le recul de l’activité dans la construction neuve, les opérateurs continueront à souffrir d’un manque de compétitivité prix vis-à-vis des spécialistes du béton pour les experts de Xerfi. Plus optimistes sur les perspectives du côté des mises en chantier de locaux industriels ou des immeubles tertiaires, ils considèrent que ces bâtiments « ne représentent encore qu’un débouché mineur pour les spécialistes du bois ». Quant à la réglementation environnementale (RE) 2020, qui prévoit un plafonnement de l’empreinte carbone des bâtiments neufs, son impact sera mitigé selon l’étude : « Elle n’entraînera pas forcément de hausse significative du nombre de bâtiments en bois mais encouragera simplement les acteurs à utiliser davantage de bois dans leurs constructions. La RE 2020 profitera donc surtout aux exploitants forestiers ainsi qu’aux acteurs de la première et de la deuxième transformation du bois (scieurs, fabricants de panneaux…). »

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Visuel : L’opération Hypérion, dont le nom fait référence au plus grand arbre du monde, repose sur une tour en ossature bois d’une hauteur de 55 mètres sur 16 étages à Bordeaux (© Woodeum - Viguier)

Du côté des professionnels de la construction, l’optimisme et l’ambition sont de mise. « Les logements bas carbone devraient représenter à moyen terme 20 % de notre production résidentielle annuelle qui devrait atteindre 15 000 unités dans les prochaines années, détaille Nathalie Bardin, directrice des relations institutionnelles, de la communication, de la RSE et de l’innovation d'Altarea Cogedim. Dans cette logique, nous nous sommes associés avec Woodeum en juillet 2019. » Le président du promoteur spécialisé dans la construction bois complète : « Nous sommes convaincus que notre modèle peut être intensifié. Jusqu’alors essentiellement concentré en Île-de-France, nous allons développer des programmes résidentiels dans les grandes métropoles régionales, sur des opérations d’ampleur de logements, comme le projet que nous développons à Lyon sur le quartier de la Confluence ou encore la tour Hypérion à Bordeaux, intégrant tous deux des bâtiments de grande hauteur en R+16. En changeant d’échelle, nous avons pour objectif de porter notre nombre de logements mis en chantier chaque année à plus de 2 000 d’ici 2022 contre 700 en 2019. » Chez Ossabois, la stratégie de développement s’est fortement renforcée depuis deux ans et l’entreprise est devenue un constructeur bois à part entière disposant de quatre usines intégrées. « Nous intervenons soit comme une entreprise générale et livrons quatre à six conceptions-réalisations par an, soit comme partenaire-constructeur de solutions très élaborées pour de grands groupes comme Bouygues, GA Smart Building, Eiffage, Fayat…, indique Michel Veillon. Notre carnet de commandes progresse de 10 % par an depuis 2018 et nous comptons rester pionniers sur ce marché tout en entraînant un maximum de partenaires avec nous. » Le directeur général ajoute : « Le bois constitue une réponse adaptée pour optimiser et réhabiliter les ensembles immobiliers vétustes. D’ailleurs ce matériau ne s’imposera pas comme une solution exclusive. Nous aurons toujours besoin de métal, de minéral, de béton bas carbone… Le groupe GA croit beaucoup à la mixité. » Une approche partagée par EpaMarne-EpaFrance. « Nous poussons le recours à d’autres matériels biosourcés comme la terre crue, le béton de chanvre ou la paille dans les opérations, en les associant notamment avec le bois », avance Laurent Girometti. Le bois ne manque donc pas de relais de croissance dans le secteur de la construction pour les prochaines années.

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Visuel d'ouverture : Le chantier du programme de logements Terralia – B3 à Marne-la-Vallée (© Epamarne - Daufresnes, Le Garrec et associés - Christophe Caudroy)

Visuel d'ouverture de la partie "La RE 2020, engrais pour la construction bois ?" : Le chantier du foyer d’hébergement pour Coallia Habitat à Montreuil (©Elise Robaglia)

Visuel de fermeture : L'arboretum, porté par WO2 et BNP Paribas Real Estate, développera 125 000 m² à Nanterre et sera composé de 5 bâtiments neufs et 2 bâtiments industriels réhabilités au sein d'un parc de 9 hectares (©Woodeum - Laisné Roussel - Leclerq - Hubert Roy)

* Cet article est extrait du guide construction 2020 de Décideurs qui paraîtra en février.

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François Perrigault
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Le chantier du programme de logements Terralia – B3 à Marne-la-Vallée (© Epamarne - Daufresnes, Le Garrec et associés - Christophe Caudroy)