Les premiers effets du climat
- 50% : la perte de superficie des glaciers des Alpes depuis 1850 et la fin du petit âge glaciaire (-25% pour le massif du Mont-Blanc)
- + 2 °C : la hausse de température moyenne dans les Alpes en un siècle contre +0,89 °C à l’échelle globale.
- 10 à 12 cm : la perte journalière d’épaisseur des glaciers en période de canicule. Soit jusqu’à 1 m tous les dix jours.
- Les glaciers de l’arc alpin représentent 100 km³ de glace, 100 milliards de tonnes, l’équivalent de 400 millions de piscines olympiques.
Légende photo : Le lac de fonte du glacier des Quirlies au printemps. Le DL/Antoine CHANDELLIER
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Il a fallu un été 2019 une nouvelle fois caniculaire, des rapports scientifiques en avalanche et une prise de conscience accrue -les jeunes générations prenant la tête de cordée- sur l’urgence climatique, pour que l’on entende vraiment ce requiem des glaces qui vient troubler l’air du temps. Et rien ne semble stopper cette marche funèbre. Tellement habitués -résignés ?- au déclin des glaciers, on n’avait pas encore l’esprit à préparer leur avis de décès.
Dans les Pyrénées, celui du pic d’Arriel, le dernier de Nouvelle Aquitaine, n’a pas résisté aux dernières chaleurs estivales record et à l’allongement des périodes de températures supérieures à 25°. Au cours des vingt dernières années, la moitié des glaciers pyrénéens ont fondu. D’ici à 2040 tous auront disparu du massif.
Ces glaciers déjà disparus
C’est peut-être parce que les Alpes disposent du plus gros réservoir de glace, culminant jusqu’à 4810 m, au sommet du mont Blanc, que les projecteurs se sont concentrés sur la réduction des plus grands, ignorant les plus modestes, les plus vulnérables qui depuis la décennie 80 ont déjà disparu.
Légende photo : Dans Belledonne (Isère), le glacier de Freydanne le dernier à faire de la résistance. Le DL/Thierry GUILLOT
Martial Bouvier, agent technique et garde moniteur au parc des Écrins qui pilote le suivi des glaciers, en a recensé une cinquantaine dans son périmètre sur un total de 160. On citera celui de Chalance dans le Valgaudemar ou celui du Soreiller, dans le Vénéon (photo), dont l’épitaphe (“ancien glacier”) est imprimée sur les cartes IGN.
Plus au nord, dans Belledonne, celui du sommet du Rocher Blanc a disparu, et Freydane vit ses dernières heures dans la chaîne qui s’étend entre Isère et Savoie.
Il est vrai aussi que tous ne font pas l’objet d’un véritable suivi. Les scientifiques concentrent leurs GPS, stations météo, radars, arsenal photométrique sur six d’entre eux, les plus emblématiques de chaque massif alpin qu’ils quadrillent de balises pour en mesurer la perte d’épaisseur.
Et les six sujets de l’observatoire Glacioclim ont encore souffert en 2019, dont l’été aura été marqué par deux canicules d’une semaine, dont une précoce, accusant des bilans de masse très déficitaires. En un jour, par ces températures, un glacier peut perdre 10 à 12 cm d’épaisseur…
Fonte record pour le glacier Blanc...
Les plus au sud ont même battu les records de fonte de 2003. Le glacier Blanc qui descend des Écrins, sommets de plus de 4000 m les plus méridionaux des Alpes, a perdu encore plus d’épaisseur qu’en 2003, année de référence.
Son front a reculé de 59 mètres. Il se situe désormais 1 km plus haut qu’en 1986, début de sa dernière décrue.
Légende photo : Cet été, relevé des balises sur le glacier Blanc dont le recul atteint 1 km en 20 ans. Le DL/Audrey LUNGO.
Martial Bouvier et son équipe, appuyés par l’IRSTEA (Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture), confirment.
« La différence entre l’accumulation de neige en mai et l’ablation de glace estivale a abouti à une perte d’épaisseur de glace moyenne de 2,10 m, 4 cm de plus qu’en 2003. Depuis 5 ans le géant fragile perd 1,5 m par an en moyenne. En 20 ans de mesure, le glacier Blanc a perdu l’équivalent de la hauteur d’un immeuble : 16,40 m. Beaucoup plus en bas et bien moins en amont. »
Deux ans à vivre pour Sarennes
Un peu plus au nord, dans le massif des Grandes Rousses, Sarennes sur le domaine skiable de l’Alpe d’Huez (Isère) est au plus mal. Selon Emmanuel Thibert et Xavier Ravannat, au chevet du mourant pour le compte de l’IRSTEA, il n’en a plus que pour deux ans à vivre.
Depuis le temps qu’on le voit se réduire à peau de chagrin, nous voilà fixés sur la date de son dernier souffle : 2021.
Avec une perte moyenne de 3,69 m de glace, cette année toutes les balises sont tombées sauf deux, au centre du glacier à 9,50 m de profondeur (soit l’épaisseur maximale), et au sommet.
« Le plus spectaculaire est la progression du lac de fonte, en termes de surface, à la base du glacier », explique Xavier Ravanat.
En 150 ans, la surface de Sarennes a été divisée par 18. Le glacier agonisant montre la voie au destin de 80 % de ses cousins des Alpes dont le bassin d’accumulation est inférieur à 3 500 m d’altitude voués à s’évaporer d’ici la fin du siècle.
Ces glaciers ont perdu 38 à 50 m d’épaisseur depuis le nouveau millénaire, soit 25 à 32 % de leur épaisseur moyenne, selon l’Université de Zurich.
De l’autre côté, en versant savoyard des Grandes Rousses, Saint-Sorlin, sous le pic de l’Etendard (3465 m), a perdu 2,9 m d’épaisseur, 20 cm de moins qu’en 2003 ou 2009. Là aussi la fonte estivale a joué un rôle majeur, l’accumulation de neige hivernale ayant été proche des normales. En 20 ans la partie aval du glacier a perdu près de 60 m d’embonpoint.
Même topo en Vanoise pour Gébroulaz (en photo) où la fonte est proche des records de 2015. L’espérance de vie de ces glaciers ne devrait pas dépasser 2070-2090, selon les scénarios.
Dans le Mont-Blanc, un déficit contenu par l’albedo
Privilège de sa hauteur et des précipitations hivernales, le Mont-Blanc, bien que très déficitaire ne tutoie pas les records.
Argentière (mesuré depuis 1976) et la mer de Glace, ont perdu environ 1,5 m de glace, un peu plus que la moyenne observée depuis quinze ans. Mais assez loin des records de 2015 ou 2003 (près de 3 m).
Légende photo : La mer de Glace a perdu plus de 200 m depuis la fin du Petit Age glaciaire (1850). Ici son niveau en 1990. Archives Le DL
Le rythme de fonte moyen annuelle depuis 1983 (-0,78 m) a été multiplié par deux dans la décennie 2000. À ce rythme en 2040, la glace aura disparu sous le Montenvers, gare d’arrivée du train à crémaillère qui part de Chamonix.
Tous les ans, le touriste qui descend à la grotte creusée dans la mer de Glace voit l’escalier s’allonger alors qu’il y a 30 ans la télécabine arrivait de plain-pied sur le glacier. Désormais, la langue terminale de ce dernier cède la place à un désert de pierres et à de gigantesques moraines.
En partie basse, le plus grand glacier français perd 10 m (années les moins déficitaires) à 12 m (millésimes record) d’épaisseur chaque année. En témoigne la balise située à 1800 m, au pied des échelles du Montenvers.
Christian Vincent de l’Institut de géosciences de l’environnement (IGE) tente d’expliquer la relative résistance des glaciers du Mont-Blanc cette année.
« Les périodes de canicule ont eu lieu à un moment où le glacier était couvert de neige, avec un albédo (capacité de la surface blanche à réfléchir les rayons du soleil, NDLR) assez fort. »
Bref, cela aurait pu être pire.
N’empêche le front des deux plus grands glaciers français a reculé de 800 m depuis la décennie 1990, soit 30 m par an. Et depuis la fin du petit âge glaciaire, la mer de Glace a perdu 2,5 km de long et 200 m d’épaisseur depuis 1850 et la fin du Petit âge glaciaire.
Mais même Argentière et la mer de Glace pourraient disparaître en 2100
Tous les sites du réseau Glacioclim, témoignent d’une tendance à l’accélération de la fonte. Depuis le nouveau millénaire, la vitesse de fonte est deux fois plus rapide. Le déclin en marche depuis 30 ans s’est accéléré à partir de 2002. Depuis cette date, les projections des glaciologues se noircissent d’année en année.
À l’ouest du massif du mont Blanc, le glacier Tré-La-Tête a perdu 50 % de volume selon le conservatoire Asters. Soit l’équivalent de 12 500 piscines olympiques ! En avril dernier, les modélisations de l’Institut polytechnique de Zurich, à l’échelle de 4 000 glaciers alpins, annonçaient quoi qu’il arrive (même avec le respect de l’accord de Paris), une perte de 50 % de la couverture glaciaire en 2050 et de 60 à 100 % en 2100.
Dans la nature, aucun autre indicateur n’est plus éloquent. Même la mer de Glace et Argentière sont menacés d’ici 2100. Sans réduction des émissions planétaires, les deux plus grands glaciers français sont voués à disparaître, selon des simulations numériques, réalisées par l’Institut des géosciences de l’environnement (IGE) et le Centre d’étude de la neige à Grenoble, associés au LEGOS de Toulouse.
Suivant un scénario climatique dit « intermédiaire » (réchauffement de +3°C), Argentière, d’une épaisseur maximale de 400 mètres aujourd’hui, n’existerait plus à la fin du XXIe siècle. Ce qui provoquera la formation d’un immense lac de 12 millions de m3 dès 2040. Dans l’hypothèse la plus pessimiste, Argentière pourrait mourir avant 2080.
Quant à la mer de Glace, ce monument géographique de la France, épaisse de 350 mètres sous l’aiguille du Tacul, selon ce même scénario moyen, elle perdrait 80 % de sa surface voyant son front reculer de 7,2 km. Les skieurs de la vallée Blanche n’auraient plus que 150 m sous les planches en haut, au col du Midi. Et carrément plus du tout, à l’horizon 2090 selon l’hypothèse climatique la plus pessimiste (+ 6 à7°C).
Au-delà de la tristesse du visiteur face à un paysage chamboulé, le funeste destin des glaciers alpins inquiète à plus d’un titre. Des morts lentes à l’échelle d’une vie, atrocement rapides à l’échelle géologique qui augurent de fâcheuses conséquences pour l’hydrologie, les infrastructures touristiques ou la sécurité des vallées avec les risques accrus d’affaissements et de purges soudaines.
Sécurité : menace sur les vallées
Dire qu’il y a 180 ans, on faisait monter le curé dans les hameaux et on organisait des processions pour conjurer leur avancée vorace vers les maisons. Aujourd’hui, le retrait des glaciers menace des vies.
La fonte pose des problèmes de sécurité avec la formation de lacs ou de poches sous-glaciaires. Certaines étendues, couleur turquoise, ont des airs d’atolls, comme dans la vallée Blanche au printemps. Mais en partie basse, les suées de la glace provoquent des sueurs froides par les risques de vidanges soudaines ou d’affaissements.
Au début des années 2000, le programme Glaciorisk, inventoriait les secteurs dangereux en Europe. Un signal d’alerte était venu d’Italie, sous le mont Rose. Un lac de 3 millions de m³ menaçait le village de Macugnaga. En 2004, le glacier de Rochemelon, en Haute-Maurienne, était placé sous surveillance. 650 000 m3 d’eau seront siphonnés. La fonte provoque des accumulations au sein même du glacier, dont le front est souvent un barrage trop fragile en raison du froid déclinant.
Tête Rousse à Saint-Gervais en Haute-Savoie, (en photo) est toujours sous surveillance après une vidange très médiatisée en 2010. C’est que la catastrophe de 1892 (175 morts dans les inondations provoquées par la rupture d’une poche dans ce même glacier) est encore dans les mémoires. En 2019 de nouvelles mesures radar et des forages n’ont pas levé le doute sur la présence d’une nouvelle cavité.
Un phénomène proche, mais dans une moindre mesure, guetterait-il les Deux Alpes (en photo) ?
Depuis 2006, la station a vu son glacier du mont de Lans transpirer au point de former un lac. Elle y a d’abord vu une ressource, pensant utiliser ces eaux de fonte pour sauver le glacier en alimentant des canons pour produire de la neige. Mais en septembre 2018 le lac s’est vidangé subitement.
Un torrent de 50 000 m³ s’est évacué sous le glacier pour se déverser 2 000 m plus bas. La société d’exploitation Deux Alpes Loisirs a missionné l’Institut des géosciences de l’Environnement pour surveiller son joyau.
Taconnaz à Chamonix sous haute surveillance
Mais c’est carrément des pans de glace qui pourraient s’effondrer. À Chamonix, le glacier suspendu de Taconnaz menace la vallée où depuis les années 80 un paravalanche a coûté 20 millions d'euros pour protéger des dizaines de maisons, un hôtel et la route internationale.
Légende photo : Mesure LIDAR de la topographie du haut de Taconnaz depuis le gros Béchar. C-V/IGE
Les glaciologues suivent au millimètre les séracs en suspension. Christian Vincent explique le phénomène.
« La glace fond en surface et libère une eau qui s’infiltre et tempère le glacier à sa base, là où il est au contact de la roche, occasionnant un danger de détachements massifs. »
Des blocs de glace de 290 000 m3 de volume tombent de manière récurrente d’une barre de séracs située à 3200 m. En été ces avalanches s’arrêtent assez haut sur le versant mais en hiver, renforcée par le manteau neigeux elles atteignent ou dépassent le paravalanche qui atteint ses limites. Mais c’est bien la partie amont, sous le dôme du Goûter (4300 m) qui pourrait avoir des conséquences catastrophiques si elle venait à devenir tempérée, proche de 0°. Pour Christian Vincent plusieurs millions de m3 pourraient tomber.
Cette année, le scientifique a rendu un rapport important à la communauté de communes de la vallée de Chamonix préconisant une surveillance régulière. Depuis 20 ans, Taconnaz fait l’objet de suivis qui ont été renforcés depuis deux ans par des mesures interférométrie radar pour mesurer la vitesse d'écoulement de la glace et LIDAR pour évaluer la topographie de la surface de cette zone sensible (en photo). Il s’agit de déterminer quelle partie tempérée est susceptible de glisser sur la roche.
Voilà qui rappelle le phénomène de Planpincieux, côté italien, sous les Grandes Jorasses, dont le front, tempéré, s’est mis à avancer à une vitesse supérieure à 50-60 cm/jour, conduisant à une situation de crise depuis le 24 septembre. La fondation Montagne Sûre a installé des mesures permanentes (interférométrie radar) car près de 250 000 m3 sont en suspension. De quoi justifier la fermeture de la route menant vers le Val Ferret (toujours effective selon les horaires) ainsi que l’évacuation des chalets situés dans l’axe de la langue de glace.
Jusqu’à 50 % du débit des torrents fin août
Si la disparition des glaciers alpins n’a pas de réel impact sur la montée des mers, à la différence des géants d’Alaska, de Patagonie ou les calottes du Groenland et d’Antarctique, elle en a sur l’alimentation en eau dans les vallées de haute altitude. Le débit de rivières et torrents se trouve réduit et va jusqu’à se tarir à la fin de l’été, période de stress hydrique, une fois que la neige de l’hiver a fondu.
Des questions se posent aussi sur l’approvisionnement des refuges. Les mouvements du glacier ont contribué à mettre à sec celui des Cosmiques dans le massif du Mont-Blanc, mais aussi des Sarradets dans les Pyrénées sous la brèche de Roland (Pyrénées).
Quand ce ne sont pas les infrastructures elles-mêmes qui ne sont pas menacées par ce retrait pouvant déstabiliser un versant comme à la Pilatte dans l’Oisans (Isère).
Accès difficiles pour les alpinistes
Enfin les conséquences sont déjà bien réelles pour les loisirs et au premier chef, l’alpinisme, modifiant les itinéraires.
Dans une thèse intitulée "L’alpinisme à l’épreuve du changement climatique", le géomorphologue Jacques Mourey, du laboratoire EDYTEM a constaté la baisse de fréquentation de certains refuges de haute montagne et l’obligation pour les guides de limiter leur pratique traditionnelle en été. Les trois quarts des abris dans le Mont-Blanc ont dû adapter ou modifier leur itinéraire d’accès.
Le secteur le plus édifiant est le bassin de la mer de Glace, avec 5 refuges sur ses balcons, qui a nécessité l’installation d’échelles que quelque 650 m de dénivelé cumulé sur les deux rives. À hauteur du Montenvers, où le glacier a perdu 220 m d’épaisseur, l’itinéraire dit de la vire des guides est de plus en plus technique. Un constat qui a contraint la commune de Chamonix à initier le programme transfrontalier Adapt Mont-Blanc pour concilier les activités humaines avec les conséquences du changement climatique.
Très longues échelles pour le nouvel accès au refuge de la Charpoua. DR
L’exploitant du train du Montenvers, la Compagnie du Mont-Blanc doit remplacer l’actuelle télécabine, désormais trop courte pour accéder au glacier. La prochaine devrait arriver 400 m en amont, vers un nouveau site pour creuser la célèbre grotte. Le DL/A.Ch
Les jours du ski d’été sont comptés
Croyant enrayer ce déclin, les Suisses, les premiers, ont bâché des portions de glaciers pour préserver leur trésor à Andermatt ou au glacier du Rhône. En France, les Arcs (en photo), Tignes ou Chamonix ont adopté la méthode, y compris pour préserver leur piste de ski en hiver. Certains domaines en sont déjà revenus n’y voyant que cautère sur une jambe de bois. Alors que Tignes a retardé son ouverture automnale, 2019 est l’année où le ski d’été a connu sa plus brève saison, dans la station savoyarde mais aussi aux Deux Alpes.
Christian Vincent, encore lui, a été missionné aussi par Tignes pour évaluer la viabilité du ski hors hiver sur le glacier de la Grande Motte, dont l’épaisseur n’excède pas 60 m. L’actuel maire, anticipant la fin du ski d’été, a suscité un vif débat en voulant construire un ski dôme dans sa station. Signe des limites de l’artificialisation de la montagne, moins en phase avec l’air du temps. Autre signe des temps en Savoie, Val Thorens a démonté son télésiège du Glacier (3 300 m) qui, il y a 20 ans, permettait de pratiquer le ski d’été. Une ère révolue.