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Pèlerinages en paroles Marc 6, 6b-13

LECTURE BIBLIQUE : Mc 6, 6b-13

Jésus parcourait tous les villages des environs et enseignait. Il appela les douze disciples et se mit à les envoyer deux par deux. Il leur donna autorité sur les esprits impurs et leur fit ces recommandations : « Ne prenez rien avec vous pour la route, sauf un bâton ; pas de pain, ni de sac, ni d'argent dans la ceinture. Mettez des sandales, mais n'emportez pas de tunique de rechange. »

Il leur disait encore : « Si vous recevez l'hospitalité dans une maison, restez-y jusqu'à ce que vous quittiez l'endroit. Si les habitants d'une localité refusent de vous accueillir et de vous écouter, partez de là et secouez la poussière de vos pieds : ce sera un avertissement pour eux. » Les disciples s'en allèrent donc proclamer aux gens de changer de vie. Ils chassaient beaucoup de démons, faisaient des onctions d'huile à de nombreux malades et les guérissaient.

PRÉDICATION DU PASTEUR RUDI POPP - Série de prédication "Imagine l'Homme"

L’histoire se passe au Tibet, où il y avait dans le temps beaucoup de monastères bouddhistes (un grand nombre a aujourd’hui disparu à cause de la colonialisation chinoise du Tibet). Les monastères n’avaient pas tous les mêmes moyens : les moines des grands monastères étaient très riches, ceux des petits, par contre, très pauvres.Un jour, un pauvre moine d’un des petits monastères venait rendre visite à un moine riche d’un grand monastère pour lui dire au revoir. Il voulait entreprendre un pèlerinage auprès du Bouddha de Poutouôshan, sur une île située au loin. Le pèlerinage était très long, plusieurs milliers de kilomètres, et devait le mener par monts et par vaux, par des sommets élevés et des torrents dangereux. Le moine riche s’étonnait : « Qu’est-ce que tu prends pour la route ? » lui demandait-il. « Seulement un gobelet et une petite coupe, » répondit l’autre, « le gobelet pour boire l’eau des rivières et la coupe pour mendier un peu de riz. »

« J’ai l’intention, moi aussi, de faire le pèlerinage de Poutouôshan, » lui dit alors le moine riche, « voilà plusieurs années que je m’y prépare, mais je n’ai pas encore pu partir parce qu’il me manque toujours l’une ou l’autre chose. Je crois, cher ami, que tu sous-estimes les difficultés qui t’attendent. » Un peu plus d’un an plus tard, le moine pauvre revient de son pèlerinage et raconte au moine riche tout ce qu’il avait vécu. Or ce dernier était un peu gêné, car il n’avait toujours pas fini ses préparatifs...

Chers amis, dans notre périple à travers l’Évangile selon Marc, nous sommes arrivés à cette courte description de l’envoi des disciples en mission. On pourrait dire : voici la mission de l’Église selon Marc ! Il y est aussi question d’une sorte de pèlerinage, et de la question de savoir ce qu’il faut prendre pour la route.

Si vous dites maintenant qu’au temps de Jésus, l’Église n’existait pas, vous avez bien sûr raison : nous l’avons déjà entendu, Jésus lui-même n’a pas institué une église, et encore moins voulu créer une religion. Mais au temps de l’évangéliste Marc, quelques décennies plus tard, l’Eglise avait déjà pris forme, par la vie en communauté des disciples du Christ. Une de ces communautés était d’ailleurs le lieu où cet évangile écrit a été lue et débattu, où l’on est ainsi passé de la transmission orale de la mémoire du Christ à la transmission écrite.

Le petit récit sur l’envoi des disciples reflète sans doute la réalité concrète de la mission chrétienne dans les toutes premières années. Vous l’aurez compris : la mission des apôtres – ou la mission des chrétiens, pour le dire plus simplement – c’était de parler. Parler non pas pour papoter, et encore moins de la papauté ou de ce qu’on appelle les « dogmes » chrétiens ; mais parler en témoins du Christ. Donner à la Parole le statut d’un acte essentiel de la vie, indispensable à la survie de chaque être humain : voici ce à quoi Jésus a destiné l’Église. La parole est le lieu de l’humanité de Dieu ; le reste est biologie. Apprendre à se parler ; célébrer la Parole ; pratiquer dignement la parole et le silence, c’est ce à quoi notre vie chrétienne doit servir, à travers la vie en Église.

L’évangile selon Marc est un des premiers textes du Nouveau Testament qui évoquent les conditions de cette pratique, ce qu’il est convenu d’appeler la « prédication ». Surtout ne pensez pas, à l’évocation de ce mot, à mes interminables prédications fumeuses et confuses ! La prédication dont il est ici question a sans doute ressemblé à ce que nous lisons dans l’évangile selon Marc : au lieu d’expliquer et développer une pensée, les apôtres ont raconté des histoires. Savoir raconter une histoire, avec les seuls mots, est presque devenu une compétence rare aujourd’hui, tellement nous sommes empreints de la culture écrite et de la consommation d’images : c’est un art qui s’apprend ! Déjà les apôtres, et l’évangéliste Marc lui-même, savaient comment donner au témoignage du Christ une forme saisissante et que l’on pouvait mémoriser.

Marc nous raconté donc en quelque sorte comment tout a commencé. Mais ce n’est pas l’histoire du bon vieux temps qu’il va dépeindre en phantasmes, comme nous l’aimons faire, sachant pertinemment qu’on ne voudra jamais y revenir.

Pour Marc, il y a des conditions de la prise de parole qui sont manifestement aussi importants que la parole elle-même. Cinq de ces conditions se trouvent dans le texte :

1. L’Envoi deux par deux : il s’agit donc d’une prédication par la conversation. Contrairement au moine tibétain dont je parlais toute à l’heure, le pèlerinage de la parole des disciples de Jésus ne peut se faire seul. C’est d’abord aussi simple que cela : il faut être deux pour parler. Quelqu’un qui parle seul, ou pire : qui ne se parle qu’à lui-même, ne peut être témoin. La parole a besoin du retour d’une autre personne ; les mots deviennent paroles par le fait de la réception. La prédication des apôtres est fondamentalement un dialogue, et l’Église ferait bien d’éviter les différentes formes de monologues qui se sont imposés et qu’elle impose – y compris mes propres prédications en monologue !

2. Jésus donne aux apôtres l’autorité sur les esprits impurs : l’écoute de la Parole est une expérience thérapeutique. Même si notre culture médicale a aujourd’hui – heureusement - les moyens pour aller plus loin dans la compréhension biologique de corps, les onctions d’huile pour les malades restent un symbole parlant pour l’unité bienfaisante de la parole et du geste : c’est toujours par la conjugaison mystérieuse de la parole et du geste qu’il est possible de parler de « guérison » aujourd’hui, non pas dans un sens médical, mais spirituel. La « guérison » spirituelle ne peut être reçu sur ordonnance de votre médecin traitant, qu’il soit homéopathe ou autrement inconventionnel ! La guérison ne dépend pas d’un traitement prétendu miraculeux ; elle a simplement besoin de la puissance de la parole annoncée et du geste bienfaisant pour se réaliser. Car l’écoute de la Parole est en soi une expérience thérapeutique.

3. L’Ordonnance de ne rien prendre pour la route, sauf un bâton : une des conditions très pratiques de la prise de parole chrétienne est une nécessaire spontanéité. C’est un peu comme dans l’histoire des deux moines bouddhistes : celui qui se passe son temps à se préparer, qui se dit qu’il n’est pas encore prêt à partir parce qu’il manque toujours l’une ou l’autre chose, qui se concentre surtout à ne pas sous-estimer les difficultés… eh bien, il risque de ne jamais partir ! Si vous trouvez que les prescriptions de Jésus pour le départ en mission selon Marc sont assez drastiques (pas de pain, pas de sac, pas de monnaie…), je me permets de vous faire remarquer qu’elles sont au contraire presque luxueuses par rapport aux autres évangiles : chez Marc, les disciples ont le droit de partir avec un bâton et des sandales, pendant que Matthieu et Luc les interdisent ! Cette consigne nous rend sensible à la nécessaire spontanéité de la parole dite au nom du Christ : les choses les plus importantes que nous apprenons sur la vie chrétienne, souvent, ne figurent pas dans des gros livres de théologie ou encore dans de longues prédications, mais dans l’instant d’une parole échangé sur le pas de la porte. Inutile donc, dit Jésus, de s’encombrer outre mesure avec des préparatifs d’une communication perfectionniste. Je vais donc vite finir :

4. Si vous entrez dans une maison, demeurez-y : c’est l’exigence de l’incorruptibilité. Cette idée installe une forme de stabilité dans l’annonce de la Parole : dans l’échange en Christ, il ne s’agit pas de voltiger, de placer vite fait son histoire et de passer au suivant. Non pas malgré la fragilité de la situation matérielle des apôtres, mais à cause d’elle, une forme de stabilité représente l’exigence de l’incorruptibilité. Dans l’échange en Christ, on ne s’évade pas, on pratique l’intégrité aussi à travers les difficultés et les épreuves.

5. Si l’on ne vous écoute pas, partez : c’est l’acceptation de la liberté de refuser l’Évangile. Essentiellement, la parole du Christ n’est pas une doctrine que l’on pourrait imposer à quiconque. La liberté de réfuter est fondamentale pour le dialogue, elle l’est encore plus pour l’annonce de l’Évangile : personne ne peut être obligé de croire en Jésus-Christ. Le doute et l’hésitation, le flottement et le scepticisme ne sont pas interdites en Eglise. Aujourd’hui, au lieu de rompre la communion (par le geste de secouer la poussière des pieds), on préférait peut-être de se donner le temps de l’écoute, de l’échange, la patience de la réponse, afin de préserver cette liberté dont dépend l’essence même de l’Evangile. Amen !

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Rüdiger Popp
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Inclut des images créées par Karsten Würth - "Follow my Instagram @karsten.wuerth" • Adam Jang - "untitled image"