Il faut parfois s’interdire de juger et laisser sous l’étouffoir les sentiments personnels. A près tout, chacun est libre de boucher du doigt l’œilleton, donner un bon coup d’épaule pour forcer les gongs et sortir du cadre, se sauver, s’échapper, s’évader quelque soient les bonnes ou mauvaises raisons de chacun.

Je me souviens encore de la voix puissante de Francis Roux lorsque celui-ci claironnait « moi, je vais faire le doublé ». Peut être étions nous au café ? Nous venions de déjeuner ensemble dans sa ferme de la Salvetat. Je peux juste témoigner que cette décision, aux allures de coup de tête…ne devait rien au vin rouge servi au pichet qui avait accompagné ce repas. Nous n’avions abusé de rien. Francis, lui l’éleveur militant, fantassin de toutes les luttes anti OGM, plus d’un champ de maïs fauché à son actif, plus d’une garde à vue à son CV de syndicaliste à la Conf, avait tapé sur la table « moi, je ferai le doublé ». Et moi de penser « Francis, il est dingue ».

Et Francis Roux le « cabochard » allait réussir son doublé. Nous étions en 1999 année de création de l’Endurance Trail, 23h58’’ pour 120 km le samedi et un grand tour au Mont Aigoual, puis un petit massage, une petite heure de sommeil et c’était reparti pour les Templiers, le chapeau de cuir vissé sur son épaisse chevelure brune pour finir, sa fille sous le bras, en un peu moins de 13 heures.

Par la suite, l’idée a trotté dans la « caboche » de certains, des diesels, des caterpillars, des rustiques, les surnoms de manquent pas. Daniel Boebion fut de ceux là en 2004, 13ème sur l’Ultra en 13h31’ puis 361ème en 9h44’ sur les Templiers.

Autre bûcheron du trail, François Falgayrat, un passionné de vielles voitures et prof de mécanique au Lycée Technique de Rodez. Lui aussi, c’est un gaillard, bien campé sur de bons jambons forgés aux rudes hivers qui enveloppent les montagnes d’Aubrac. Il possède un chalet niché dans la forêt de Brameloup, il y coupe du bois, il y cherche les cèpes, il y gratte de la guitare au coin du feu. Le mécano soigna les pistons et se lança non pas dans un doublé mais dans un triplé. Il s’y reprit par deux fois mais en 2016 il réussit lui aussi son pari « dingue » Endurance Trail + Marathon des Causses + Templiers.

Et bien entendu, un autre «forgeron» du trail a repris le marteau à son compte pour enfoncer le clou un peu plus profond en apportant une petite variante à cet enchaînement, coincer la Boffi au beau milieu de ce trèfle à trois feuilles.

L’an passé, Luc Bousquet, ancien gendarme et jeune retraité, s’est donc mis à la tâche, accumulant les preuves et les indices pour percer le mystère de cet inconnu à trois têtes. Je ne lui ai pas posé la question du « pourquoi ? » Cela reste du domaine de l’intime, de l’irrationnel. Mais le « comment ? », ça il sait répondre avec une pointe d’enthousiasme et de modération. Formé à l’école de l’endurance avec un papa coureur des 100 km de Millau, cela s’est résumé à faire du terrain, du terrain, du terrain dans le Carroux et nos Grands Causses pour mettre dans son jeu la fameuse « preuve par trois » qu’il règle en 40h08’’ soit 16h53’ + 8h35’ + 14h40’.

Avec le recul, Luc Bousquet parle du bon, cette écume qui remonte et enveloppe les bords de cette grande chope dans laquelle il est savoureux de plonger les lèvres. Comme cette fin de Templiers aventureuse malgré les douleurs, avec ses proches, le clan Bousquet, sa maman, sa compagne, les copains qui l’ont soutenu, porté, chouchouté, câliné. Il résume ainsi cette épopée «Les difficultés ne sont jamais là où on les attend».

Ce n’est pas une devise, ce n’est pas une recette toute faite, ce n’est pas non plus une évidence mais cette petite phrase aura du bon pour ceux et celles tentés par un doublé, triplé, voir plus. Car ils seront cette année 116 à suivre l’exemple de Luc, François, Daniel, Francis et anonymes du peloton qui ont flirté dans le passé avec les extrêmes. On peut même parler d’une vraie tendance avec cette année un florilège de combinaison, du court avec du court, du court avec du long, du très long avec du court, du long + du long + du long et même un pari sur quatre épreuves. Tiaan Erwee tentera d’aligner quatre planètes sur l’axe des Templiers. Sera-t-il porté par une bonne étoile ? Ah, j'oubliais, cette année, Luc sera bénévole sur les Templiers, ce sera plus sage mais tout aussi engagé.