Revoir un printemps avec les chibanis quand les oubliés de l'histoire redonnent une seconde jeunesse à la vie associative

En France les seniors sont en proie à de grosses difficultés sociales notamment ceux d’origine maghrébine. Pas de quoi se morfondre pour l'Association Maghrébine des Seniors Nantais qui redynamise le quartier de Malakoff.

On les appelle « Chibanis », « les vieux » ou « les sages » en arabe. Ils viennent principalement d'Afrique du nord et sont des travailleurs immigrés à la retraite. Bon nombre d'entre eux sont arrivés en France pendant les trente glorieuses et travaillaient la plupart du temps aux usines (d'automobile et de métallurgie notamment). Aujourd'hui beaucoup se trouvent dans une extrême précarité : faible retraite, certains touchent à peine 100€ par mois, difficulté de logement car plusieurs vivent encore dans les foyers qu'ils occupaient lors de leur arrivée en France (parfois dans des chambres de 7,5m2) et problème de solitude notamment pour ceux venus sans leurs familles, restées dans leurs pays d’origine, et qui restent aujourd'hui seuls. Ils semblent être abandonnés par la France, ils sont les oubliés de l'histoire. Malgré ce triste constat une solidarité est née pour cette partie de la population qui est depuis trop longtemps discriminée. La ville de Nantes a vu naitre en 2014 l'Association Maghrébine des Seniors Nantais (l'AMSN) créée par Mouloud Abdelkafi, figure emblématique du quartier de Malakoff. L'association est composée de 150 adhérents, essentiellement des retraités issus des premières générations d'immigrés nord africaines.

Portraits des membres de l'association réalisés par le dessinateur Yas

C'est au cœur du quartier Malakoff, derrière la place Rosa Park, que l'on retrouve le siège de l'Association Maghrébine des Seniors Nantais. Nous sommes rue d’Angleterre, au rez-de-chaussez d'un immeuble du quartier. C'est ici que se retrouvent les adhérents de l'association. Ils bénéficient de cet espace depuis la création de l'AMSN en 2014, un espace qu'ils louent à la ville de Nantes. Loin d'être inanimé, le local est un véritable lieu de vie. C'est là que les habitants du quartier (ou des alentours) viennent se retrouver entre amis. L'ambiance y est conviviale, la bonne humeur est toujours de la partie. Les dominos et les jeux de cartes sont les sports officiels de l'association. On y joue toute la journée, le gagnant remporte le droit de se faire offrir un thé ou un café. La plupart d'entre eux viennent d'Afrique du nord et sont désormais à la retraite. L'espace reste bien évidemment ouvert à tous et à toutes, ainsi les plus jeunes viennent profiter de cette atmosphère bonne enfant. Quand on y rentre on est immédiatement bien accueilli, l'hospitalité s'accompagne bien souvent d'un thé à la menthe qui garde tout au long de l'année sa saveur printanière.

Ouvert tous les jours de la semaine, le local ne serait pas ce qu'il est sans Mouloud, président et fondateur de l'association. D’origine algérienne, il est arrivé en France en 1966 à l'âge de 16 ans. Au bout de deux années il part s'installer sur Nantes où il est embauché à l'usine LU, entreprise dans laquelle il terminera plus tard sa carrière. C'est son emménagement dans le quartier de Malakoff au début des années 1980 qui marque le début de son engagement dans la vie associative. C'est lui qui nous présente l'AMSN.

Mouloud au centre accompagné de Jaouad et Joséphine, bénévoles de l'association

L'activité première pour l'association reste l' accompagnement des retraités comme il nous le précise. « On aide pas mal au niveau de l'administration car beaucoup d'entre nous sommes illettrés et certains ont du mal à avoir des contacts avec la sécurité sociale ou la CAF (Caisse d'Allocations Familiales). On les aide donc à remplir leurs papiers ou on les dirige vers des organismes susceptibles de pouvoir les aider. On rend visite aux gens qui vivent seuls ou dans les hôpitaux, ça leur permet de sortir de l'isolement et ça vaut aussi pour ceux qui viennent nous voir ici. Pendant le mois de Ramadan on organise des repas et on invite plusieurs personnes à venir manger avec nous ».

« On organise aussi des sorties culturelles » poursuit Mouloud « nous sommes allés à Paris où nous avons visité la grande mosquée et le musée de l'histoire de l'immigration. Ça nous a permis de voir d'autres sortes d'immigrations, différentes de celle qu'on a connue. À Lyon, on a visité des associations similaires à la notre, notamment un café social qui ressemblait à notre structure. Aujourd'hui on pense refaire une autre sortie, à Marseille cette fois ci ». L'association reste cependant ouverte à toutes les autres catégories de la population, elle n'est pas exclusivement réservée aux seniors. L'AMSN peut également venir en aide aux sans papiers, que se soit au niveau alimentaire, pour le logement ou encore pour des problèmes médicaux. De plus ils jouent un rôle de médiateurs pour les plus jeunes du quartier. Pour le nouvel an par exemple. « quand arrive la fin de l'année c'est sûr que beaucoup de jeunes sont un peu excités, alors on essaie de les calmer. On sort et on discute avec eux : ils sont à l'écoute » nous dit Mouloud. L'activité reste bénévole, il n'y a pas de salarié dans l'association

« Si tu sais pas où tu vas, regarde d'où tu viens »

Loin d'être fermée sur elle même, l'AMSN collabore étroitement avec d'autres acteurs de la vie associative. Depuis sa création, l'association est liée notamment avec le CID (Centre Interculturel de Documentation), une structure très active sur la question de la diversité culturelle et qui aide depuis le début l'AMSN à se développer. C'est Yassin, salarié du CID depuis 3 ans, qui sert de passerelle entre les deux structures. Dès son arrivée à l'association en 2014 il a eu pour mission de les aider, lui qui est dessinateur de formation. « Je les connaissais avant qu'ils soient installés dans leur local. J'ai habité à Malakoff étant jeune et mes parents sont restés en contact avec certaines personnes aujourd'hui à l'association. Mon père notamment a travaillé avec plusieurs d'entre eux » nous raconte Yassine qui a donc un lien particulier avec l'AMSN. « Ils ont eu besoin d'un coup de main pour la structuration, donc notre objectif a été de les accompagner. Ça nous a permis de développer ensemble la notion d'héritage. Avec eux on monte des projets à vocations culturelle, pédagogique, éducative. On sensibilise sur des valeurs communes en mettant en avant leurs histoires afin de défendre des projets solidaires, notamment avec la jeunesse. À travers ces connaissances et ce partage on essaie de lutter contre les discriminations»

Ainsi lors du voyage culturel à Paris, les membres de l'Association Maghrébine des Seniors Nantais ont rencontré des élèves de l'école de la deuxième chance (une école venant en aide aux jeunes adultes sans qualification et sans emploi dans leurs insertions sociale et professionnelle). Ils ont ensemble visité la grande mosquée et le musée de l'histoire de l'immigration. S'en est suivi un échange entre les deux générations, quelque chose d'important mais pas forcément évident comme nous l'explique Yassin : « l'échange entre les enfants et la génération de leurs parents n'est pas forcément spontané. Les jeunes ne savent pas forcément comment leurs parents sont arrivés en France et dans quelles conditions. Ce dialogue peut leur permettre de se projeter différemment. Il y a des segments de l'histoire qui peuvent participer à la construction de l'individu, notamment chez les jeunes. Parallèlement les plus anciens voient leurs réactions, se replongent en voyant les difficultés qu'ils ont connues ce qui peut être tabou chez eux. Il ressort beaucoup d'émotions de ces échanges, et ça des deux côtés. ».

Yassin (ou Yas) à son bureau du CID sur l'île de Nantes

La médiation se fait donc par l'échange : l'histoire des ces travailleurs immigrés à la retraite montre aux jeunes d'où ils viennent pour leur permettre d'aller là où ils le souhaitent. Le but est de leur faire comprendre que leur histoire n'est pas un fardeau mais une richesse. Ces dialogues sont importants voire indispensables pour l'AMSN « c'est toujours très enrichissant » nous précise Mouloud. Une expérience donc à refaire selon Yassin : « c'était intéressant de croiser ces parcours et d'en sortir un regard différent. On essaie de faire perdurer les interventions des Chibanis, de sortir du quartier et porter le projet plus haut. Maintenant l'idée est de travailler avec l'école de la deuxième chance de Marseille cette fois-ci et de créer avec eux une exposition toujours sur la question de l'héritage. »

Par ailleurs l'AMSN et le CID ont organisé conjointement des projections de documentaires en public sur l'histoire des Chibanis. Certains membres de l'association et de l'école de la deuxième chance ont pu partager des passages du film de Yamina Benguigui Mémoires d'immigrés, l'héritage maghrébin, suivi bien évidemment d'un échange autour du film. Autre séance publique, celle faite en 2015 à la maison des haubans sur le documentaire Perdus entre deux rives, les Chibanis oubliés. Pour l’occasion, le réalisateur Rachid Oujdi s'était même déplacé pour parler de son film qu'il considère comme un hommage aux Chibanis. Les seniors de l'AMSN et une cinquantaine de jeunes du quartier de Malakoff étaient aussi présents lors de cette soirée.

Le troisième poumon de Malakoff

L'Association Maghrébine des Seniors Nantais travail depuis peu avec le Conseil Citoyen de Malakoff (créé au printemps 2016) afin d'améliorer la vie du quartier. On peut prendre l'exemple du dîner de la fraternité organisé le 4 novembre 2016 avec l'aide de L'AIOF (l'association de la mosquée Assalam). Les membres des différentes associations, des habitants du quartier, des hommes et femmes politiques (dont Johanna Rolland) étaient présents pour cette soirée. Cette rencontre a contribué au dialogue social comme nous le précise Jean-Claude, président du Conseil Citoyen et parallèlement trésorier de l'AMSN « la première étape a été de créer des liens entre des personnes de cultures par fois très diverses afin qu'ils puissent tous s'exprimer. Des liens se sont créés ce soir là. Aujourd'hui des gens s'arrêtent dans la rue pour se parler alors qu'avant ils ne se connaissaient pas». Mouloud ajoute que « plus de 150 personnes étaient présentes alors qu'on en attendait beaucoup moins, ça a été vraiment positif pour tout le monde. ».

Bachir, recteur de la mosquée Assalam témoigne aussi : « ce qui a beaucoup plu dans cette soirée c'est la réelle mixité : il y avait des hommes et des femmes, des jeunes et des vieux, des politiques et des citoyens lambdas. Ce mélange a été véritablement la réussite de la soirée. ». Dans la continuité de cet événement les trois associations poursuivent ensemble leur collaboration puisque le 8 et 11 mars ils organisent, avec l'aide cette fois-ci de l'association de l'église Saint Marc, l'exposition « Femmes d'avant, d'ici et d'ailleurs ».

Depuis maintenant deux ans l'AMSN organise le dimanche de 10h30 à 12h des cours de soutien en mathématiques. Trois bénévoles se relaient pour aider les jeunes en difficulté avec la matière. C'est le cas de Jaouad, professeur en collège. Il connait bien Malakoff car il y a vécu pendant 13 ans et reste très attaché à ce quartier même après avoir déménagé. Il y revient régulièrement, rend visite à ses connaissances et notamment à celles qui fréquentent le local de l'AMSN. C'est comme ça qu'est née l'idée du cours de soutien comme il nous l'explique : « On voulait aider les jeunes du quartier que ce soit dans l'éducation ou dans la citoyenneté. L'idée du cours de soutien venait de Mouloud. Moi qui suis professeur de mathématiques j'ai proposé d'aider les jeunes dans cette matière. On a commencé avec 4 ou 5 élèves, aujourd'hui on est à plus de 25. Le niveau va de la primaire au lycée. Les élèves sont venus de leurs propres initiatives. Au début c'était un peu dur pour eux, mais ils commencent à apprécier et c'est d'ailleurs pour ça qu'il y a de plus en plus de monde. L'ambiance reste conviviale et nous leurs offrons un petit déjeuner à la fin du cours. Les élèves sont répartis en groupes de niveau, ça leur permet de s’entraider. Le but pour moi n'est pas de faire leur travail mais de les aider à comprendre. On a pas de programme pré-établi, on est surtout là pour répondre à leurs attentes. Ils ramènent donc leurs affaires, leurs cours ou leurs devoirs maisons. Les jeunes qui viennent n'ont personne pour les aider chez eux c'est pour ça que notre travail est important.»

La récompense après le cours de soutien

Le cours présente donc une réelle utilité pour les habitants du quartier, comme c'est le cas de Thelma qui a 15 ans et est en seconde générale. Au premier trimestre elle avait 6 de moyenne en mathématiques. Lors de son dernier contrôle elle a réussi à décrocher la moyenne et ce après seulement trois cours de soutiens. « C'est plus facile pour moi, je comprends mieux. ». Elle espère l'année prochaine faire une première ES dans le but de devenir avocate. C'est sa mère qu'il a entendu parlé de ce cours via le Conseil Citoyen, « ça nous fait plaisir de voir des enfants réussir avec l'aide qu'on leur a donné » commente Jaouad.

« Une présence indispensable »

Bachir, recteur de la mosquée Assalam, nous décrit la présence de l'AMSN dans le quartier de Malakoff comme étant « une bouffée d'oxygène pour les gens à qui l'association vient en aide. On s'occupe d'eux, ils ont un lieu pour être pris en charge, ils peuvent prendre un thé, un café, discuter avec des gens et ne pas rester seuls à compter les jours qui passent. Le local est toujours plein, on y retrouve de la joie, une bonne ambiance, de la bonne humeur. Au-delà d'être quelque chose de positif ou utile, la présence de cette association est indispensable à la vie du quartier ». On ne saurait dire mieux.

Thibault de Seilhac

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