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METZ HANDBALL : ILS ONT CONSTRUIT LA LÉGENDE

Les Messines peuvent écrire la plus belle page du handball féminin français, les 11 et 12 mai au Final Four de la Ligue des Champions. L’apothéose d’un club parti de rien, plus fort que la crise et porté par des personnages emblématiques.

Isabelle Wendling, l'emblème

Elle incarne le triomphe et la longévité de Metz Handball. L’emblématique capitaine lorraine a remporté 15 titres de championne de France et 11 coupes.

Porter le maillot de ce club, c’était toujours un moment particulier”, raconte Isabelle Wendling, neuf ans après ses adieux. “C’est une histoire d’amour, c’est ma deuxième famille”.

Olivier Krumbholz, le pionnier

Arrivé presque par hasard en 1986, Olivier Krumbholz a bouleversé le destin de l’ASPTT Metz. Un premier titre mythique de champion de France, une première joueuse étrangère professionnelle… Avec lui, l’aventure a vraiment commencé.

Metz est tombée amoureuse du handball féminin”.

Olivier, nous sommes en 1986, vous êtes joueur au SMEC. Comment êtes-vous devenu entraîneur des filles à l’ASPTT Metz, club rival ?

« L’année 85-86 a été compliquée pour moi sur le plan sportif. J’ai des problèmes de santé, je ne suis pas au zénith de ma carrière... J’avais déjà commencé à côtoyer le handball féminin et j’étais très ami avec l’entraîneur des filles de l’ASPTT, qui a été muté à Besançon à la fin de la saison. Quand elle est montée en première division en 1986, l’équipe n’avait plus de coach. On m’a naturellement proposé de prendre la suite. Je me suis dit que c’était peut-être le moment de changer, d’arrêter de jouer. J’avais la sensation que le handball féminin était en retard, qu’il y avait matière à faire beaucoup mieux. Je sentais un vrai potentiel et là, je ne me suis pas trop trompé (sourire). »

Vous vivez un premier grand tournant trois ans plus tard…

« On s’est installé gentiment en première division (4e en 1987 et 1988). Puis on devient champion de France en 1989, contre toute attente. Alors qu’il y a des gros clubs en France, avec des internationales, du pouvoir : Gagny, Besançon, Lyon, le Stade français... Ce n’est pas un désert. Le handball féminin existe à ce moment-là. Et l’ASPTT Metz arrive comme un chien dans un jeu de quilles ! »

À quoi ressemble votre équipe en 1989 ?

« C’est une bande de copines, pour la plupart étudiantes à l’UFR Staps à Nancy. Il n’y a que des Lorraines, aucune joueuse professionnelle. On s’entraîne trois fois par semaine. On a une seule gardienne, qui fait aussi partie de la fanfare de Magny. Et elle refuse de ne pas faire les répétitions avec sa fanfare. Donc le vendredi soir, on n’a pas de gardienne ! C’était Jocelyne Baillot, qui est devenue internationale par la suite. J’ai fini par lui dire : tu es bien gentille avec ta fanfare mais stop ! Elle m’en veut peut-être toujours… Mais à ce moment-là, c’est un combat, on ne rigole pas avec ça ! Des fois, je vais dans le but le vendredi soir ! Ou j’appelle un ami pour qu’il y aille, pour qu’on puisse faire l’entraînement tactique, le plus important de la semaine. C’est une image qui démontre ce qu’est notre quotidien à cette période-là à Metz. Mais il y a aussi un vrai terreau pour le handball : une salle (Saint-Symphorien), un public, une ville, une histoire. Il y a beaucoup de choses pour que ça prenne forme, surtout que parallèlement, le Smec s’essouffle, faute de moyens… »

Que s’est-il passé après le premier titre de champion de France ?

« Il fallait assumer, on allait jouer la Ligue des Champions, même si le niveau n’était pas celui d’aujourd’hui. On a recruté notre première joueuse étrangère (Zita Galic) à l’été 1989, la première professionnelle. Le président de l’époque avait un contact rocambolesque, un Serbe de Sarreguemines qui lui a fait passer la frontière dans sa voiture, sans visa. Zita signe à Metz et un virage s’opère à ce moment-là. Soit on confirmait, soit on disparaissait. L’année suivante, Gagny revient jouer ici avec ses internationales et ses étrangères. On gagne de 16 buts ! Là, un truc se met en place. On est de nouveau champion en 1990. Après la surprise, on s’installe dans le rôle de leader. Cela s’est fait avec beaucoup de difficultés quand même. Les internationales françaises nous snobaient. C’est tout juste si on ne nous demandait pas s’il y avait encore de la neige en juillet. Certaines joueuses nous faisaient danser, nous promettaient tous les ans de venir et ne venaient jamais. Moi, j’enrage à ce moment-là ! Ça a été comme ça jusqu’en 1994, Florence Sauval a été la première internationale à nous rejoindre, elle a ouvert la porte. Et puis, entre temps, des joueuses messines, de l’équipe de N2, sont entrées en équipe de France aussi, comme Corinne Zvunka-Krumbholz, Chantal Philippe ou Jocelyne Baillot. Mais ça a été compliqué de changer certaines mentalités dans le handball français… »

Comment l’ASPTT Metz s’est-elle imposée au sommet ?

« J’ai tout de suite essayé d’augmenter la charge de travail. Ça m’a valu des crises les deux premières années. Quand il y a plus d'entraînements, quand c’est plus dur, plus exigeant, certaines ne sont pas d’accord. J’aurais pu prendre la porte, on a été parfois au bord de la rupture. Mais on a réussi parce qu’on a travaillé plus que les autres. La vérité est là. Les petites gonzesses de Besançon, les étrangères de Gagny payées très cher étaient bien installées, elles ne nous ont pas regardé dans le rétroviseur, elles nous ont pris de haut. Nous, on travaillait plus que les autres. C’est ça, la réussite de l’ASPTT. »

L’arrivée de Zita Galic, la première joueuse étrangère de l’ASPTT Metz, en 1989, a-t-elle tout changé ?

« Vous savez, il n’y a pas de personne miracle dans une aventure comme celle-là. Zita n’a pas transformé le niveau de jeu de Metz. Mais elle avait une caractéristique rare : elle arrivait à être meilleure dans les moments ultimes, les moments décisifs. Plus le match était important, plus c’était dur, plus elle vous étonnait. Ce n’était pas quelqu’un qui structurait le jeu, mais c’était une tireuse exceptionnelle. Une tireuse de penalty hors-pair et une tireuse tout court. Une vraie compétitrice qui mettait beaucoup, beaucoup de buts. L’histoire s’est structurée autour de son arrivée. Le côté brillant de l’ASPTT Metz dans ces années-là, c’était elle ! Elle était capable de marquer de façon extraordinaire. Elle a été meilleure marqueuse du championnat pendant cinq ans de suite ! »

Metz était une ville de handball masculin, avec deux clubs en première division. Comment les filles ont-elles été accueillies ?

« Le cœur des Messins est passé des masculins aux féminines. En 86, déjà, tout le monde était étonné de voir le nombre de personnes qui assistaient au match des filles. Je n’ai jamais ressenti de dédain pour le handball féminin. Je l’ai senti ailleurs mais pas ici. Metz est tombée amoureuse du handball féminin. Il n’est pas considéré comme un sous-produit. Et c’est la grande force de cette ville. Elle fait partie des vrais fiefs du handball en France. »

Aviez-vous imaginé un tel destin ?

« Mais non... Quand je jouais en cadet au Smec, je rêvais un jour de jouer en Nationale 2, avec l’équipe première. Je ne pouvais pas imaginer que l’histoire se raconterait comme ça. J’ai toujours senti qu’il y avait une marge de progression énorme dans le handball féminin, mais pas à ce point-là. Cette soirée à Lyon, quand Metz devient champion de France en 1989, c’est peut-être la plus grosse patate qu’on ait pris ! C’est une bande d’étudiantes qui bouscule la hiérarchie. »

« On attendait le score de Gagny – Besançon après notre match. Quand on a reçu le coup de téléphone qui disait « Vous êtes bien champion de France », ça a été peut-être la décharge émotionnelle la plus énorme. Aujourd’hui, je suis champion du monde… Mais ce moment-là reste le plus incroyable. Personne ne pouvait imaginer que cette équipe deviendrait championne de France. Les garçons de l’ASPTT n’avaient jamais été champions ! Et les filles l’ont fait… »

Emmanuel Mayonnade, l'architecte

À 35 ans, il est l’homme du Final Four. Brillant, méticuleux, le technicien a changé, en quatre ans, la destinée de Metz Handball. Avant de s’imposer en Lorraine, Emmanuel Mayonnade a vécu l’épopée de Mios, son club familial adoré, vainqueur de la Coupe de France 2009… face aux Messines ! Séquence souvenirs.

Battre Metz en finale, c’était magique”.

Thierry Weizman, l'hyper président

Sa mission à la tête de Metz Handball devait durer huit jours… Quatorze ans plus tard, Thierry Weizman est toujours là. Président touche à tout, il a sauvé le club de la faillite.

Le jour où… vous avez pris la présidence de Metz Handball

« C’était en juillet 2005. Je pensais que ce serait seulement pour huit jours. Juste le temps de signer les papiers de mise en liquidation du club et mettre la clé sous la porte. C’est comme ça qu’on me l’avait vendu. Je me rappelle d’un vote au conseil d’administration, mon prédécesseur avait dit : de toute façon, vous ne trouverez personne, il n’y a pas un fou qui acceptera de prendre la suite. J’ai été élu et à ce moment-là, je pensais surtout à recaser les joueuses. Il y avait des mères de famille, des filles qui avaient des crédits. C’était ma première préoccupation. Quand j’ai réuni l’équipe le lendemain dans le vestiaire, je leur ai expliqué tout cela. Elles m’ont répondu qu’elles voulaient m’aider, qu’il fallait trouver de l’argent, qu’on ne pouvait pas arrêter. Elles ont accepté de diminuer leur salaire, certaines sont parties à la retraite, deux autres ont signé à Yutz. Ensuite, j’ai très vite été rendre visite à la banque. Essayer de faire vivre le club sans chéquier, sans carte bleue, avec des comptes séquestrés, c’était compliqué. On avait des dettes et des procès un peu partout. Pendant huit jours, je n’ai pensé qu’à Metz Handball. »

Il y a eu des moments de désespoir mais je n’ai jamais regretté”.

Le jour où… vous avez pleuré sur un terrain de handball

« À la fin de mon premier match en tant que président. On avait été autorisé deux ou trois jours avant à reprendre le championnat de première division (après avoir été rétrogradé administrativement en D2). On a perdu à Yutz, chez le promu, alors qu’on était champion de France en titre. Ça a été absolument terrible. Je me suis dit : tout ça pour ça... J’étais désespéré parce que financièrement, il y avait une montagne devant moi. Je me suis demandé à quoi bon s’accrocher. Et là, j’ai pleuré. »

Le jour où… vous avez laissé partir une joueuse à regret

« Lenka Kysucanova, en 2010. Elle était notre meilleure buteuse et on l’a laissée partir pour recruter une joueuse française (Claudine Mendy). C’était légitime mais c’était dur parce que ‘’Kysu’’, on l’avait révélée et c’était une fille exceptionnelle. Ça a été très, très difficile. »

Le jour où… vous avez regretté d’être devenu président

« Il n’y en a pas eu. Il y a eu des moments de désespoir, ça a été compliqué parfois. Mais je n’ai jamais regretté. »

Le jour où… vous avez été le plus fier d’être président

« Probablement quand on a réussi à faire repartir le club en 2005, après un combat difficile. On est passé devant toutes les instances pour continuer à jouer en première division et on a décroché le titre à la fin de la saison. Et bien sûr, il y a le Final Four ! Peut-être que je serai encore plus fier le 12 mai à Budapest. »

Le jour où… vous avez rencontré votre joueuse préférée

« J’ai une tendresse extraordinaire pour Isabelle Wendling, qui est sûrement la joueuse que j’admire le plus dans le handball français. J’ai aussi beaucoup apprécié une fille comme Zita Galic, la première étrangère au club. Elle avait une culture incroyable, elle était capable de parler de la pénicilline comme un médecin ! Et je suis très attachée à Grace Zaadi et Laura Glauser ! Elles ont accepté de refuser des offres mirobolantes pour rester à Metz Handball. En fait, chaque génération apporte son lot de belles rencontres. Juste avant, il y a eu Nina Kanto, qui s’est battue à corps meurtri pour le club. Svetlana Ognenovic et Katya Andryushina sont exceptionnelles aussi. Elles nous ont aidés à passer un cap. »

Le jour où… vous avez eu peur pour l’avenir du club

« J’ai tout le temps peur pour l’avenir du club. C’est toujours à flux tendu. Cette année a été difficile financièrement. Les gens pensent qu’on doit avoir plein de pognon parce qu’on gagne tout le temps. Mais non, c’est encore pire. Plus on va loin, plus on doit payer de déplacements. Je viens d’aller voir les collectivités, qui ont accepté de faire un geste. Parce que ce n’est plus la même équipe ! C’est une équipe qui va au Final Four avec 2,6 millions d’euros de budget. Par rapport aux 5 M€ de Brest, aux 8 M€ de Bucarest ou aux 12 M€ de Györ, on voit bien que c’est très compliqué pour nous. J’aimerais faire mieux, proposer des salaires plus élevés, mais c’est difficile de trouver l’argent. J’ai vraiment tout le temps peur pour le club. »

Le jour où… vous allez vivre un Final Four

« Je n’arrive pas à me projeter, c’est inimaginable ! On a des coups de fil incessants qui nous rappellent que c’est un événement hors-norme, on comprend que c’est monstrueux mais je n’arrive pas du tout à réaliser… Je m’en rendrai compte quand on sera là-bas, à Budapest ! »

Christian Champion, le partenaire historique

Loin des projecteurs, le directeur des magasins Cora a œuvré pour la reconstruction de Metz Handball après le naufrage de 2005. Fidèle partenaire, il incarne la renaissance du club.

« Il faut quitter le club, ça va foirer. » En 2004, Christian Champion est un jeune chef d’entreprise et Metz Handball ne va pas bien. Le directeur du magasin Cora Metz-Technopôle est un partenaire important. On lui conseille alors de s’éclipser. Un an plus tard, la catastrophe financière est révélée. Le club trimballe une dette d’1,4 million d’euros. Champion de France, il est provisoirement relégué en deuxième division.

Le patron de l’hypermarché n’est pas parti. « Je suis même entré dans le comité. » C’est lui qui, dans l’ombre, donnera un second souffle à Metz Handball. Omniprésent, il utilise son réseau, amène de nouveaux partenaires, souffle des idées et engage un véritable « travail de fond » pour structurer un club en décrépitude. « J’ai apporté mes connaissances de chef d’entreprise pour tout réorganiser et assainir, pour ordonner ce qui n’était pas carré. J’ai créé des fondations », détaille-t-il.

Fidèle partenaire et vice-président du club entre 2004 et 2011, il s’investira sans compter pour sa survie. « Le club ne méritait pas ça, c’était une sorte d’injustice qu’on voulait réparer », explique l’indispensable bras droit de Thierry Weizman, qui donnera jusqu’à 45 000 euros d’aides par an. Il recrutera aussi une joueuse au rayon parfumerie, à temps partiel… « C’est avant tout une histoire d’amitié, de partage. Tout seul, on ne fait rien. J’ai trouvé des gens à l’écoute qui ont compris l’urgence de sauver le club et qui ont relevé les manches. On s’est tous mis au travail pour la ville, pour le nom de Metz Handball. »

Quinze ans plus tard, ce « nom » fait partie des quatre plus grands d’Europe. « Après toutes ces années, notre investissement a payé. J’ai contribué à la renaissance de Metz Handball, ça fait ma fierté », savoure le passionné, qui avait déjà porté le club de basket féminin de Villeneuve-d’Ascq de la troisième division à l’élite, à la fin des années 90. Les 11 et 12 mai, Christian Champion sera à Budapest, au Final Four européen, pour « l’apothéose » de cette « longue histoire d’amour ».

Nina Kanto, la fidèle

Arrivée en Lorraine à l’été 2001, Nina Kanto ne l’a plus jamais quittée. À Metz, la native de Yaoundé (Cameroun) a "tout construit". « En tant que joueuse, maman et femme… Je me suis même mariée ici », s’amuse l’historique n°4 du club mosellan.

À Metz, il fait froid mais les gens ont le cœur très chaud”.

Pendant ses seize saisons à Metz Handball, elle a raflé la bagatelle de 11 titres de champion et deux Coupes de France. « Les gens m’ont souvent demandée pourquoi j’étais restée si longtemps mais c’était impossible de se lasser ! L’équipe changeait tout le temps et les objectifs étaient toujours très élevés. Chaque trophée a eu une saveur particulière et m’a procuré une émotion différente », avoue celle qui s’est depuis reconvertie comme responsable développement commercial chez Belgatrans Express. Pour s’installer plus durablement encore dans la région. « Je ne partirai plus maintenant, je suis trop bien ici. »

Yacine Messaoudi, le dénicheur de talents

Responsable du centre de formation, le technicien parisien de 37 ans a repéré et forgé à Metz les plus grands talents de la nouvelle génération du handball français.

Comment votre histoire avec Metz Handball a-t-elle débuté ?

« À mon arrivée, Thierry Weizman (le président) a fait un constat de visionnaire : malgré les titres qu’il remportait chaque année, sa volonté était de s’appuyer sur un centre de formation fort. À l’époque, 17% des joueuses de l’équipe première étaient issues de la formation messine. Cette saison, on a passé le cap symbolique des 50%. »

Comment repère-t-on les grandes joueuses de demain ? Est-ce toujours une évidence, au premier coup d’œil ?

Grace et Méline étaient des évidences”.

« La première année, je me suis appuyé sur des joueuses que je connaissais, Roseline Ngo Leyi et Grace Zaadi. Pour Roseline, il y a toujours eu des doutes, sur son poste, sur son état d’esprit, sur ses blessures. Avec Grace, c’était un petit peu plus limpide. J’ai toujours su qu’elle jouerait un jour en équipe de France. Aujourd’hui, elle fait partie des deux-trois meilleures joueuses du monde et ça, sincèrement, je ne pouvais pas l’imaginer. Mais j’ai tout de suite vu que c’était une fille particulière. Pour Méline Nocandy, c’était une évidence aussi. Pour Orlane Kanor et Laura Glauser, un peu moins. Leurs parcours sont bluffants. »

Avec du travail, on arrive à tout : croyez-vous à ce principe ?

« On n’est pas tous loti de la même façon physiologiquement. Mais je suis persuadé qu’intellectuellement, on a tous les moyens de réussir, ou de fonctionner différemment. Soit on a un profil exceptionnel physiquement comme Orlane, soit on a une joueuse avec des qualités intellectuelles au-dessus de la moyenne, comme Grace. Il faut travailler en fonction. En tout cas, on ne se met jamais de barrière, de limite sur la capacité à atteindre le très haut niveau. »

Vous est-il déjà arrivé de vous tromper ?

« Je ne suis pas devin, je ne fais pas de promesses. Je ne dis jamais à une joueuse : tu deviendras professionnelle ou tu ne le deviendras pas. Il y a un nombre importants de joueuses qui rentrent au centre de formation et qui n’arrivent pas à signer à Metz Handball car le niveau d’exigence est tellement élevé… Mais les joueuses qui passent ici font carrière, dans un autre club ou en division 2. Je me trompe très rarement sur le profil de professionnalisation. »

Le centre de formation messin a fait ses preuves. Les joueuses qui y sont passées brillent en Ligue des Champions et en équipe de France. Est-il possible de faire encore mieux ?

« C’est une question compliquée. La qualification pour le Final Four est peut-être l’apogée du projet. Il y a des questionnements qui apparaissent. Est-ce que je peux faire mieux, est-ce que c’est la fin d’un cycle ? Je suis incapable d’y répondre mais il est extrêmement important d’y réfléchir. On est à la fin de quelque chose, quoi qu’il en soit. »

Son avis sur... Grace Zaadi, capitaine de Metz Handball, championne du monde et d'Europe

« C’est une fille à part, une joueuse qui a mangé de la vache enragée. Elle vient du 93, elle sait se nourrir de l’environnement. Elle a des valeurs et des croyances, elle croit au travail et pour cela, elle était faite pour Metz Handball. J’ai toujours su qu’elle deviendrait internationale, mais je ne pouvais pas imaginer qu’elle atteindrait ce niveau-là. »

Son avis sur... Laura Glauser, gardienne de Metz Handball, championne d’Europe

« C’était un vrai pari. Elle ne faisait pas l’unanimité à Besançon. Nous, on avait conscience de ses qualités morphologiques. C’est une vraie athlète, au sens propre du terme. On a misé sur cette fille un peu fragile et elle a été une grande surprise, par son envie d’apprendre, par sa capacité à reprendre le travail et performer. Elle a un parcours atypique, basé sur l’abnégation. »

Son avis sur... Laura Flippes, ailière-arrière droit de Metz Handball, championne du monde et d’Europe

« Quand on l’a repérée en Alsace, elle ne défendait pas, elle ne se faisait pas très mal. Aujourd’hui, elle y a pris goût, elle est devenue un des postes 2 les plus solides en Ligue des Champions. Elle m’a fait confiance sur un projet très personnalisé, construit autour d’une polycompétence (arrière et ailière) qui lui permet aujourd’hui d’exprimer ses qualités au plus haut niveau. »

Son avis sur... Orlane Kanor, arrière gauche de Metz Handball, championne du monde et d’Europe

« Elle a des qualités très facilement détectables. Mais elle n’était pas ciblée par la Fédération et n’a jamais été sélectionnée en équipe de France jeunes. On a fait un gros travail individualisé et elle a su faire preuve d’opportunisme pour se faire une place en équipe première et ne plus jamais en sortir. Elle est aujourd’hui capable de débloquer n’importe quelle situation. »

Son avis sur... Méline Nocandy, demi-centre de Metz, championne d’Europe juniors

« Avec Méline, c’était un mariage de raison. Nous étions le meilleur centre de formation et elle était considérée comme la plus grande pépite du handball français. Elle est arrivée avec une étiquette de super star et a appris l’humilité ici. Elle a été confrontée pour la première fois à la vie de l’ombre et a eu l’intelligence de laisser faire le temps et, surtout, de garder son authenticité, sa personnalité. »

Daniel Giorgetti, le fondateur

Daniel Giorgetti, 81 ans, pousse beaucoup moins la porte des gymnases. Mais il suit toujours les Messines de près. Le fondateur de l’ASPTT Metz, en 1965, est celui qui a tout misé sur les filles 21 ans plus tard. Une idée de génie.

Daniel Giorgetti a le handball dans la peau. Fondateur de l’ASPTT Metz, il y a joué avant de le développer pendant plus de quarante ans. « De mon temps, on s’entraînait dans le hall 10 de la Foire des Expositions l’hiver et à Woippy Plage l’été. Entre 1965 et 1975, les filles ne représentaient que 5% des licenciés en Lorraine. C’était la grande époque des garçons ! On faisait venir des bons, je leur trouvais un job à La Poste, où je travaillais, ou aux Télécoms », raconte Giorgetti.

Vice-champions de France et demi-finaliste de la Coupe des Coupes en 1977, les garçons de l’ASPTT avaient toujours le monopole du handball lorrain au début des années 1980, quand ils ont vu émerger le SMEC. « C’était notre voisin et petit à petit, il a pris l’ascendant sur nous. A l’ASPTT, nous n’avions plus les mêmes résultats, plus la même aura. »

La concurrence du SMEC, l’émergence du professionnalisme et le partage des subventions a poussé Daniel Giorgetti à entamer une réflexion profonde. « La mairie de Metz et le Département de la Moselle aidaient le SMEC et l’ASPTT. Je me suis demandé s’il était possible de se partager le gâteau », explique-t-il. « Et lors d’un stage de handball en Roumanie, j’ai vu un match féminin en démonstration. Les Roumaines de l’époque étaient les meilleures du monde. J’ai adoré ! »

Le directeur sportif a eu envie de tenter un coup. De tout miser sur les féminines… Avec un groupe de demoiselles du cru dont, une certaine Corinne Zvunka (future Krumbholz), l’ASPTT accède à la première division en 1986. La même année, Daniel Giorgetti convainc Olivier Krumbholz, joueur du SMEC, de venir entraîner sa petite équipe. L’aventure pouvait commencer…

Le visionnaire s’est effacé petit à petit mais a toujours travaillé dans l’ombre, pour le recrutement notamment. Sa force, c’était son réseau… Pour la venue de la grande Zita Galic, il était évidemment dans le coup ! « Avec Olivier, on voulait cette fille. C’est la première étrangère que nous avons contacté dans l’histoire du club. Elle était championne olympique avec la Yougoslavie. Je me souviens, il nous était impossible de financer son transfert. On était allé voir le patron du supermarché Mammouth à Woippy pour nous aider à payer. On avait débarqué dans son bureau avec une cassette vidéo. Il avait été séduit. Il nous fallait de grandes joueuses pour que le club prenne une autre dimension. »

Lenka Cerna, l’une des grandes gardiennes de l’histoire de Metz Handball, est aussi une inspiration de Giorgetti ! « C’était une joueuse phénoménale. Tout le monde se l’arrachait. Elle nous avait donné son accord de principe mais avec Olivier, on sentait le coup fourré. Alors, on a été la chercher en République Tchèque. Mais ce jour-là, la Russie envahissait le pays. Des tanks nous empêchaient de passer. L’ambassade de France a dû intervenir et on est passé par les montagnes. Un sacré périple ! »

Daniel Giorgetti était un précurseur dans bien des domaines. « On a organisé les premiers stages de préparation physique générale », se rappelle-t-il. « Je me souviens, on partait dans le bassin d’Arcachon. J’avais fait appel à un sprinter soviétique qui est devenu préparateur physique du club. Je piochais dans ce qui se mettait en place chez les garçons et on l’appliquait à Metz. »

Autre idée novatrice : la publicité pour attirer des partenaires. « Mon copain Bauer, du tennis à Metz, m’avait réalisé un croquis du Palais des Sports avec des logos Conseil Général de la Moselle partout. Je me suis pointé au siège du département et j’ai fait fureur avec ma plaquette. On était avant-gardiste, c’est vrai ! »

Zita Galic, l'étoile

Première star de l’ASPTT Metz au début des années 1990, la Serbe est restée très attachée à la capitale mosellane. Avant le Final Four de la Ligue des Champions, ce week-end à Budapest, Zita Galic revient sur ses six saisons (1989-1995) qui ont marqué l’histoire du club.

Zita Galic a remporté quatre titres de champion et deux Coupes de France lors de ses saisons à Metz. L’arrière droit a aussi terminé cinq fois meilleures buteuses du championnat !

Quelle a été votre première impression en arrivant à Metz ?

« Déjà, il faut dire que la France m’attirait. Je jouais dans un championnat de haut niveau en Yougoslavie mais j’avais envie de voir autre chose. Je me sentais proche de la mentalité française. Je ne me suis pas sentie perdue en arrivant, même si je ne parlais pas un mot. J’ai vécu les deux premiers mois chez Olivier (Krumbholz) et Corinne car on ne trouvait pas d’appartement... Le niveau ? Oui, il y avait des équipes faibles mais Gagny et Metz étaient au-dessus. Est-ce que c’est prétentieux si je dis qu’on a tracé le chemin ? Je pense que les générations d’après l’ont suivi et trente ans après, les Messines sont au Final Four. C’est extraordinaire ! »

Quel est votre meilleur souvenir de ces six saisons (1989-1995) en Moselle ?

« Il y en a tellement... C’est comme demander à un enfant s’il préfère sa mère ou son père, c’est impossible de répondre ! On a fait des choses extraordinaires en France, mais aussi en Coupe d’Europe. Je nous revois jouer contre Buducnost Pogdorica, qui était le plus grand club à ce moment-là. Allez, si je dois choisir, je vais dire notre doublé coupe-championnat en 1990. »

Une belle période de ma vie”.

Votre plus grand regret ?

« Je ne regrette rien. Bien sûr, il y a peut-être des matches où j’aurais pu mieux faire. Mais franchement, plus de vingt ans après, je me dis que tout était beau à Metz. »

La joueuse la plus talentueuse avec qui vous avez joué ?

« C’est ma copine Corinne (Zvunka-Krumbholz). En plus d’avoir du talent, elle avait une sacrée personnalité. Sur un terrain, elle jouait tout le temps à 100 %. C’était une gagnante, avec une super mentalité. »

Corinne Zvunka-Krumbholz et Zita Galic

Le coach qui vous a le plus marquée ?

« Je n’en ai eu qu’un à Metz, Olivier (Krumbholz). Quand je suis arrivée (en 1989), il était encore jeune mais venait déjà de gagner un premier championnat. Ce n’était pas un hasard. Il était très investi. Et il savait nous motiver ! Je n’aime pas les entraîneurs qui restent sur le banc pendant les matches. Lui, il les vivait. Je me souviens aussi qu’il aimait discuter avec les gens, toujours avec cette soif d’apprendre. »

Êtes-vous nostalgique de ces années ?

« Non, c’est passé ! J’en garde des souvenirs merveilleux et de nombreux amis. Je retourne souvent à Metz, une bonne partie de mon cœur y est resté. C’était une belle période de ma vie. »

Paul Muller, le supporter

Fan de Metz depuis 1987, ce retraité de 79 ans a une particularité : il tient une feuille de statistiques complète à chaque match depuis six ans. Il peut décortiquer les performances d’une vingtaine de joueuses ! Retour en chiffres sur une vie de supporter.

Je suis le seul en Europe à tenir toutes les statistiques".

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L’aventure de Paul Muller a commencé en 1987 : « J’ai vu mon premier match de Metz il y a 32 ans. Je suis supporter depuis… Si mes souvenirs sont bons, c’était face au Stade Français, je crois que c’était au mois de mars. J’ai fait beaucoup de déplacements à travers l’Europe. J’ai vu passer énormément de filles extraordinaires. Irina Popova, Isabelle Wendling, Lenka Cerna et Zita Galic qui m’ont impressionné. Galic était une joueuse formidable, il était rare qu’elle manque un penalty. Le club a bien grandi aujourd’hui. »

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En 2013, le retraité messin inaugure un petit cahier… qu’il n’a pas quitté depuis : « Je tiens des statistiques, je pense que je suis le seul en Europe à le faire. Je note tous les chiffres des gardiennes et des joueuses. Les temps de jeu, les arrêts, les buts et les penaltys. Ça me prend un temps fou. J’ai des stats’ sur une vingtaine de joueuses. À la fin de la saison, je leur remets toutes ces données ! »

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Le passionné a vécu une première grosse émotion en 1995, en Coupe d’Europe, contre Krasnodar. Et, quinze ans plus tard, sa première déception. « En 2010, on a perdu en demi-finale du championnat de France. On avait des joueuses internationales. Mais ces filles-là avaient 60 matches dans les jambes. Toulon était bien plus frais avec 26 matches au compteur. Katty Piejos avait reconnu à l’époque être dans le dur physiquement. »

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Paul Muller a vécu l’ascension de Metz Handball, ses plus belles heures… et ses plus gros combats. Il se souvient particulièrement d’un coup de sang au milieu de l’hiver slovène. « En 2008, j’étais en déplacement à Ljubljana pour la Ligue des Champions. Il y avait 50 centimètres de neige. On avait le match en main mais on a perdu ! Je m’étais bien énervé. Au retour, les filles avaient quand même réussi à se qualifier. À Budapest, c’est très chaud aussi avec le public. Et Nuremberg, c’est de la folie. Les Allemands sont torse nus avec leur bière à la main ! »

Metz Handball, c'est aussi eux...

De gauche à droite et de haut en bas : Corinne Zvunka-Krumbholz / Ekaterina Andryushina / Lenka Cerna / Bertrand François / Sandor Rac / Karine Séchet / Amandine Leynaud / Nodjialem Myaro / Svetlana Ognjenović / Thibaut Pigeon
  • Rédaction : Laura Maurice et Thibaut Gagnepain (avec Marjorie Thomas et Nicolas Kihl)
  • Réalisation : Jordan Curé-Heaton
  • Photographes : Pascal Brocard, Maury Golini, Anthony Picoré, Karim Siari, Gilles Wirtz
  • Montage : Guillaume Oblet, Marine Van Der Kluft

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