Marjorie Paradis et Annie Turbide • Juin 2020

Vous êtes-vous déjà arrêté dans un parc pour observer le comportement d’enfants qui s’inventent des jeux ?

Ok, là on n'a pas le droit de marcher sur le gazon, sinon, on doit figer 10 secondes !

La glissade, c'est une rivière pis en bas, y'a des crocodiles qui nous mangent si on touche par terre !

La cabane c'est le but mais on n'a pas le droit d'y aller plus que 5 secondes de suite !

T’as pas le droit de tricher sinon c'est pas juste !

Pourtant considéré comme un haut lieu de liberté, les enfants ne manquent pas une occasion d’y baliser leurs agirs : ils sont des machines à règles. Rapidement, un code s’élabore et consolide un semblant d’ordre social en plus de clarifier le rôle de chacun. Pourquoi est-il si naturel, pour l’humain, de se doter de règles ? Il faut voir dans cette quête d’ordre une réponse à un besoin de sécurité. Savoir ce qu’il faut faire et ce qu’il faut éviter faute d’en subir les conséquences (donc les règles) est un élément essentiel pour déterminer une action.

Est-ce que le parc peut-être comparé à une situation de classe? Certainement pas de façon plaquée. Mais il y aurait lieu de s’en inspirer lorsqu’il s’agit de mettre en place des règles.

En tant que pédagogue, nous avons une responsabilité par rapport au climat de classe et au bon fonctionnement des interactions pour que l’ambiance soit propice à l’apprentissage. Par contre, le fait d’énoncer et de mettre en place des règles ne garantit en rien leur application chez les jeunes. Cela est d’autant plus vrai si on pense à les faire vivre dans un contexte d’enseignement à distance ou dans une situation non-régulée (pensons par exemple aux réseaux sociaux). Quelles sont les chances qu’elles soient intégrées, appliquées par les élèves ? Comment peut-on maximiser leur engagement vis-à-vis ces balises ?

Voici une série de recommandations et de stratégies à déployer en classe dont les bénéfices possibles sont directement liés au rôle et responsabilités de chacun. Vos élèves auront d’une part l’occasion d’accroître leur autonomie en prenant part à une délibération collective à propos des règles. D’autre part, vous aurez l’opportunité, comme pédagogue, de bonifier votre influence et de créer, dès les début de l’année, une relation positive avec vos élèves.

D’une autorité découlant de l’application stricte et unilatérale des règles, vous pourrez en effet explorer les avantages d’incarner une figure de sagesse, de bienveillance et d’ouverture auprès de vos élèves.

Cinq recommandations pour orienter l’élaboration d’un code d’éthique

Mettre les élèves dans le coup signifie de les impliquer dans la réflexion à propos des règles (qu’elles soient déjà existantes ou non). Selon le contexte (mode d’apprentissage à distance, en présence, hybride ou bimodale), le cadre normatif est appelé à être changeant ou varié. Il y a lieu de croire que les élèves adhèrent plus aisément, sciemment et de manière plus assumée à un code qu’ils ont contribué à élaborer.

Bien que l’exercice puisse être réalisé à tout moment, le début d’année est à privilégier car l’engagement réciproque qu’il nécessite contribuera à créer une atmosphère de collaboration, de cohésion et de confiance dans la classe. Il envoie le message à l’élève que son sens des responsabilités peut être mobilisé au-delà de la simple obéissance.

Pour assurer une meilleure adhésion des élèves à un code d’éthique, il est impératif que ceux-ci accordent un sens aux règles qui le constituent. Plus grande est la signifiance d’une règle, plus important sera l’engagement vis-à-vis celle-ci. Réfléchir au sens d’une règle peut nous amener à soupeser une variété de critères : le contexte dans lequel elle est appliquée, le fait qu’elle favorise ou non le bien-être collectif, l’impression que le groupe retire davantage de gains que de pertes par son application, etc.

De plus, comprendre le sens d’une règle et les raisons derrière sa mise en place peut contribuer à la régulation des élèves entre-eux et même, pour certains, à une autorégulation. C’est donc un travail en amont de l'élaboration d’un code d’éthique qui peut décupler son efficacité.

Une règle concrète sera formulée de façon claire et ne laissera pas de place à l’interprétation. Elle rendra explicite le comportement attendu par l’enseignant•e, et les bénéfices liés à son application seront tangibles. Parler de comportement attendu renvoie à l’importance que l’on doit accorder à la formulation de la règle. En effet, nous avons à gagner qu’elle soit énoncée de manière positive, et donc qu’elle mette en valeur ce que l’on souhaite que l’élève fasse plutôt que ce qu’il ne doit pas faire. Formulée de cette manière, la règle peut aisément faire l’objet d’un enseignement explicite par lequel l’enseignant•e nomme, explique, fait une démonstration et amène les élèves à pratiquer « au même titre qu’on enseigne la lecture, l’écriture, les mathématiques » (Steve Bissonnette, La gestion des comportements, 2019).

Comme le mentionne Thierry Karsenti (2019), « règle ne signifie pas interdiction ». Les recherches sont claires : lorsqu’il y a interdiction, les jeunes trouvent des façons de la contourner. Pour Clément Lemaitre-Provost, enseignant au primaire, « l’idée n’est pas de savoir comment je peux bloquer mon élève, c’est comment je peux l’amener à contribuer de manière constructive. »

Une règle n’est opérationnelle que si elle va de pair avec la façon dont elle est appliquée dans un contexte donné. Il importe donc de réfléchir non seulement aux règles qui constituent un code d'éthique, mais aussi aux modalités de leur application. Quelles conséquences seront appliquées en cas de non-respect ? Qui interviendra ? Les conséquences sont-elles logiques ? Sont-elles proportionnelles à l’acte ?

Car si les élèves ont l’impression que leur code d’éthique est appliqué de façon arbitraire ou que les conséquences liées au non-respect d’une règle sont déraisonnables (parce qu’incohérentes ou disproportionnées), grandes sont les chances qu’il ne rencontre pas l’intention première de sa mise en place.

Une fois instaurée, une règle vivra. Les élèves se l'approprieront, il la défieront peut-être, apprendront à apprécier sa raison d'être, la réguleront eux-mêmes. Dans tout ce processus, il demeure important de garder en tête qu’un code d’éthique existe pour assurer le bon fonctionnement du groupe et que le nombre de règles qu’il contient doit être restreint à l’essentiel.

Il y a donc lieu de privilégier la qualité des règles (s’assurer qu’elles sont opérantes dans un contexte donné) plutôt que leur quantité.

C’est pourquoi prendre le temps de les réévaluer de temps à autre s’avère pertinent. Si le comportement qu’une règle sert à réguler est acquis, la règle n’a plus la même pertinence. Si le contexte change, les règles doivent pouvoir être adaptées à cette nouvelle réalité. Il pourrait donc être pertinent de prévoir des moments, en cours d’année scolaire, pour discuter du code d’éthique élaboré par le groupe.

Quelles règles présentent toujours des difficultés ? Lesquelles sont intégrées et pourraient être remplacées ? Lesquelles ne cadrent plus avec le contexte? Soulever ces questions permettra aux élèves de revoir le sens du cadre qu’ils se sont donné et d’en revisiter la pertinence.

Voici une série de stratégies concrètes qui vous permettront d'appliquer les cinq recommandations énumérées précédemment. Ces stratégies sont accompagnées de questions à poser à vos élèves et de moyens numériques pour vous engager dans un processus collaboratif.

Nous aurons à gagner, collectivement, si les futurs citoyens apprennent à prendre part aux délibérations qui mènent à l’application de règles régissant les espaces communs. Les accompagner pour le faire, c’est miser sur le développement de leur autonomie et de leur pensée critique. Il y a lieu de croire que mis au service du bien commun, ces deux atouts intellectuels contribueront au développement de citoyens capables de réfléchir aux normes dont s’est dotée leur société, de continuellement tenter de les améliorer et d’orienter leurs actions en fonction du bien-être collectif.