Réalisée du 06 au 14 octobre 2021
Cette dixième étape de notre Via Alpina constitue la dernière étape où nous allons traverser des frontières. Il s'agit ainsi de notre dernière étape avant la Slovénie, ultime pays de l'arc alpin. Pour l'atteindre, le chemin est relativement simple à suivre : la Via Alpina part quasiment à l'horizontale vers l'Est en suivant la frontière austro-italienne sur une centaine de kilomètres avant de plonger sur le petit pays ex-yougoslave. Sur cette frontière se situe une chaîne de montagnes : les Alpes Carniques. Ou plutôt, c'est la frontière qui se situe sur cette chaine de montagnes, cette dernière formant une barrière naturelle entre l'Autriche et l'Italie.
La Via Alpina rouge suit fidèlement la Traversata Carnica (- Karnischer Hohenweg) aussi appelée Via della Pace (chemin de la paix en français). La frontière ayant été une zone fortement militarisée pendant la première moitié du XXème siècle. Il n'est pas rare de trouver des restes d'obus ou de matériel militaire sur les bords des sentiers ou encore de marcher à côté d'anciennes tranchées en franchissant un col frontalier. La guerre a forgé les Alpes. Et mise à part en Suisse, on se rend bien compte qu'il n'y a pas qu'entre la France et l'Italie que les tensions ont pu être fortes. Notre histoire s'inscrit dans les pas de la Grande Histoire. Et nous avons beaucoup trop tendance à l'oublier aujourd'hui tant franchir une frontière semble facile pour nous, Européens. Inconsciemment, cette traversée peut être vue comme un acte politique : traverser les frontières de sept pays différents, sept démocraties différentes. Rares sont les endroits sur la planète où il est possible de faire ce genre de périple sans mettre sa vie en danger, sans changer sept fois de monnaie, sans avoir des difficultés à s'alimenter ou s'hydrater. Bien qu'ayant fait cette traversée en autonomie quasi totale, on peut également dire qu'on l'a fait dans un certain confort. Et je pense qu'il est bon et sain de s'en rendre compte.
Éloge de l'Europe à part (et on pourrait en dire tellement plus !), s'il y a bien quelque chose qu'on pouvait critiquer en Europe au moment où nous nous trouvions à Sesto, c'est le temps sur le vieux continent. Et plus particulièrement l'Italie et les Balkans. En effet, une dépression présente sur la Mer Adriatique, entre la botte italienne et les pays des Balkans, mettra plusieurs jours à se dissiper nous envoyant pendant une petite semaine un glacial flux de Nord et pas mal de nébulosité.
Une dizaine de jours séparent les Dolomites de la Slovénie. Nous ne savions pas vraiment à quoi ressemblait ce Massif des Alpes Carniques coincé tout au Nord de l'Italie. Et comme tout massif alpin, il regorge de petites merveilles. C'est d'ailleurs pour cette raison que c'est l'un des seuls endroits sur notre tracé où nous n'avons pas fait de modifications par rapport à l'itinéraire de Via Alpina. Paradoxalement, c'est une des traversées où nous avons dû faire le plus de modifications en cours de réalisation du fait de la météo.
Après deux jours de repos à Sesto (- Sexten), nous partons en direction des Alpes Carniques. Il pleut, la forêt nous protège légèrement de l'humidité mais les précipitations devraient se calmer dans la journée.
Arrivés à un alpage, aux alentours de 1500m d'altitude, nous allons être surpris en apercevant les sommets enneigés du massif. C'est quelque chose que nous n'avions pas prévu, non pas dans le voyage mais plutôt à cet instant précis. Nous n'avions pas eu souvenir d'avoir vu les prévisions météo de la région annonçant de la neige à relativement basse altitude. Contents de voir la neige, c'est en continuant l'ascension que nous nous sommes mis à penser bien évidemment à la douche du soir. Ça va être sympa !
Le sentier monte rapidement en direction des arêtes de la chaine de montagnes, la Via Alpina suivant grosso modo la ligne de crête. C'est vers 1900m que la neige remplace peu à peu la pluie. Puis c'est en arrivant près de l'arête que la neige s'allie peu à peu au vent.
Arrivés sur l'arête, à la frontière entre l'Autriche et l'Italie, le vent souffle violemment. Notre souci n'est plus d'éviter d'avoir nos affaires humides ou mouillées mais plutôt d'éviter qu'elles gèlent en affrontant le fameux mélange : humidité due à la partie pluvieuse + neige + vent froid. Nous effectuons une petite avancée sur les arêtes avant de nous arrêter au chaud dans le premier refuge des Alpes Carniques : la Sillianer Hütte située à 2400m d'altitude.
Le temps est beaucoup trop rude pour poursuivre la traversée dans de bonnes conditions. Même le montage du bivouac en montagne et la douche sont suspendus à une nécessaire amélioration du temps dans la journée, sinon nous n'aurions pas d'autre choix que de descendre en vallée et peut-être même faire demi tour jusqu'à Sesto. De plus, nous n'avions pas assez d'argent à nous deux pour nous payer une nuitée dans le refuge autrichien. Cette hypothèse est, de toute façon, vite écartée puisque les gardiens ne font plus les nuitées depuis le 02 octobre, or nous sommes le 06. Nous patientons donc dans le refuge, au chaud, le temps que le ciel se dégage potentiellement et que nos affaires amorcent un petit séchage. Il est 13h.
Dans l'après midi, la gardienne s'approche de nous et nous demande notre direction et notre lieu de couchage prévu pour ce soir-là. Quelle fut sa tête lorsque nous lui avons répondu que nous nous dirigions vers la Slovénie et que nous allions dormir en tente. Quelques minutes plus tard, elle revient pour nous dire que nous pouvions dormir dans le refuge et ce, gratuitement. Par chance (et gentillesse surtout) nous n'avions plus de plan à élaborer pour notre bivouac du soir. Avec les gardiens du refuge, nous sommes exactement quatre dans un bâtiment d'une cinquantaine de places. Le dortoir est à nous !
Vers 17h30, le temps est loin de s'arranger mais on gagne en visibilité. La neige cesse de tomber mais le vent souffle toujours sur les crêtes. On sort tout de même du refuge pour prendre quelques photos. Nous renfilons gants et bonnet et nous voilà prêts !
Nous écouterons le vent souffler toute la nuit. En l'entendant au réveil, nous savons que la journée sera particulièrement froide. D'ailleurs, le temps n'a pas réellement changé par rapport à la veille. Les nuages sont toujours présents, le vent aussi mais les précipitations ne sont plus. Nous nous équipons pour entamer cette traversée des Carniques dans une ambiance hivernale. Dès les premiers mètres, le vent du Nord et le sol gelé nous font voir la couleur.
Le vent est trop fort et le sol trop gelé pour que l'on se rende sur les arêtes des Alpes Carniques. Cela serait à la fois trop dangereux mais également épuisant. Le vent venant du Nord, nous cherchons un chemin de traverse qui passerait sur le flanc Sud, côté italien. Ce n'est pas très compliqué à trouver. Les Alpes Carniques sont quadrillées par des sentiers qui suivent quasiment à la parallèle le fil des arêtes et donc la Via Alpina. Nous descendons ainsi côté italien jusqu'aux alentours de 1900m où nous commençons une traversée en balcons.
Nous marchons sur ces alpages enneigés mais nous sommes néanmoins un peu perturbés. Le changement est si radical entre les Dolomites et les Alpes Carniques que nous avons l'impression d'avoir changé de monde, et ce en moins de 24h. C'est d'ailleurs la première journée de l'aventure où nous garderons continuellement nos doudounes.
Puis j'essaye de me convaincre qu'au vu de la quantité de neige relativement faible (moins de 10cm) et de la précocité dans la saison, le manteau neigeux ne devrait pas faire long feu aux premiers rayons de soleil. Que nenni ! Il fallait déjà que le soleil apparaisse mais également que les températures remontent, ce que le vent du Nord empêchait.
Au moment du déjeuner, la question du bivouac refait surface. Parce qu'il n'est clairement pas possible de bivouaquer où il y a la neige. Non pas parce qu'il y a deux centimètres de neige au sol mais parce que le froid accentué par le vent est trop intense. C'est en scrutant la carte que nous trouvons le Graal : un bivacco se trouve sur notre chemin ! On n'hésite pas une seconde, c'est notre objectif du jour. Nous prions tout de même pour qu'il soit ouvert et en bon état puisque pour y accéder nous devons remonter à 2200m.
Nous ne sommes pas les seuls à avoir été pris de court par l'hiver. Il n'est pas rare de croiser dans les alpages de maigres groupes de moutons, dont des petits, grattant le sol gelé à la recherche de l'herbe. À en voir certains agneaux, on sait directement que ces premières gelées leur seront fatales.
Nous nous ferons avoir en voulant atteindre le bivacco. Nous voulions passer par le haut afin d'arriver directement sur l'installation. Mais le sentier s'est révélé trop abrupt et glissant. Il nous a donc fallu descendre tout droit dans la neige et la forêt pour reprendre pied sur le chemin du bas.
Nous ne nous attendions pas à un bivacco si rustique et en si mauvais état. L'intérieur était sombre, certaines vitres étaient cassées et il n'y avait ni matelas, ni planches pour dormir. Seulement des sommiers à ressort mais où nous ne pouvions pas poser nos matelas gonflables au risque de les percer. Nous voyons tout de même deux avantages dans ce bivacco : nous sommes à l'abri du vent et il est assez grand pour que nous puissions poser la tente à l'intérieur.
Il nous fallait également résoudre la question de l'eau et de la douche. Bien que l'extérieur soit recouvert de neige, nous ne manquerions pas d'eau pour le réchaud ou pour s'hydrater. Mais dans le bivacco se trouve plusieurs bidons d'eau, vides cependant. En montant, nous avions repéré une source non gelée. C'est donc dans l'objectif d'avoir de l'eau pour la douche et de nous réchauffer avant celle-ci, que nous partons en quête du précieux liquide.
Nous n'avons pas pu nous doucher dehors. Le froid était trop intense. La dernière pièce du bivacco était encore en plus mauvais état que les autres. Nous avons donc pris la liberté de nous doucher dans cette pièce, à l'abri du vent, l'eau s'écoulant naturellement à l'extérieur de l'installation. À la frontale, dans un nuage d'humidité fumante à chaque gourde que l'on se verse sur le corps, nous subissons cette douche avant de nous emmitoufler à l'intérieur de notre double bivouac. En plus du vent, le ratounet des lieux se fera un malin plaisir de déguster bruyamment les quelques miettes encore présentes dans les poubelles du bivacco.
Le lendemain, un dégel s'amorce dans les montagnes et ce, même au-delà de 2000m d'altitude. Mais le vent et les nuages élevés sont toujours présents. Après le Bivacco Armando Piva, nous franchissons le Passo di Cima Vallona (- Porzescharte) 2363m qui nous fait basculer de nouveau en Autriche. Depuis ce col, l'ambiance sera quasi apocalyptique.
Nous descendons sur l'alpage de Porzehütte puis gravissons un petit col une nouvelle fois sur la frontière. La traversée des Carniques et la Via Alpina poursuivent leur course sur les arêtes des montagnes. Or, la neige a formé de nombreuses congères sur les sentiers rendant la marche épuisante. De plus, le vent hurle toujours, notamment côté autrichien. Nous optons donc pour retrouver une traversée alternative des Carniques sur le côté italien du massif où les nuages et le vent sont moins persistants. Cet itinéraire se fera par une succession d'alpages sur le flanc Sud des Carniques : c'est la ''Via delle Malghe Carniche'' (- Almweg Karnischer) : le Sentier des Alpages des Carniques.
L'ambiance dans ces montagnes est silencieuse. Les alpages se sont tus : le bétail est redescendu en vallée, les marmottes ont cessé de crier et les randonneurs ont déserté les sentiers. Seul le vent hurle par moment dans les branches et les champs. Cela fait maintenant trois jours que nous n'avons croisé personne sur notre route. Cette solitude contraste avec ce que nous avons vécu dans les Dolomites quelques jours plus tôt, renforçant notre ressenti d'évasion.
Le silence s'atténue lorsque nous passons près ou à l'intérieur des forêts. Les oiseaux ont encore le cri facile malgré le froid et l'absence de soleil. Les geais, les choucas et les cassenoix mouchetés font signe de vie à notre passage.
Le soleil refait de timides apparitions lors de la montée. Mais les congères bloquent les sentiers rendant cette ascension beaucoup plus fatigante. On s'enfoncera parfois jusqu'à la moitié de la cuisse. Pourtant, la quantité de neige tombée est toujours aussi faible : merci le vent !
Les sentiers sont totalement vierges de traces par endroit. Nous sommes les premiers humains à passer après la perturbation neigeuse. Mais nous ne sommes pas les premiers êtres vivants à passer par-là. Les animaux aussi, attirés par la facilité d'évoluer sur les sentiers, nous indiquent le chemin, sans que leurs empreintes ne nous aident vraiment à avancer. Renard, chamois, bouquetin, chevreuil, cerf, le nombre d'empreintes est impressionnant parfois. C'est au détour d'un talus herbeux que l'une des espèces citées ci-dessus se montrera au grand jour.
On poursuit notre descente vers la vallée. On quitte les espaces enneigés et on retrouve une forêt de mélèzes grinçant légèrement à chaque petit coup de vent. Nous posons notre bivouac dans ce vallon. En plus du froid, les journées raccourcissent de plus en plus. Nous gardons notre réveil relativement tôt, à 6h du matin, pour bénéficier d'une plage horaire assez large. L'improvisation est donc moins présente depuis quelques jours. Nous essayons de savoir la veille où il serait envisageable d'arriver le lendemain. Nous ne pouvons pas marcher au delà de 18h sans être sûrs de notre emplacement de bivouac. Et nous ne pouvons pas prendre le risque d'arriver à un col à 2500m aux alentours de 17h30 notamment avec ces températures et ce vent.
Le jour d'après, les Alpes Carniques se retrouvent encore entre deux : cette fois les nuages sont côté autrichien et le soleil est au Sud, vers l'Italie. Par contre, le vent est toujours parmi nous, plâtrant ainsi les sommets de givre. L'ambiance hivernale est totale : nous sommes le 09 octobre.
Nous montons par la suite le Valentintörl, un col situé sous le point culminant des Alpes Carniques : le Monte Conglians (- Hohe Warte) 2780m. Cependant, sa cime sera cachée par les nuages ce jour-ci. Il faudra attendre le lendemain pour apercevoir le géant des Carniques.
Notre objectif du jour se trouve être le Plöckenpass (- Passo di Monte Croce Carnico), un col frontalier entre l'Autriche et l'Italie, situé à 1360m d'altitude. Cette faible altitude est la raison de ce choix afin de limiter les basses températures pour la douche et la nuit. Nous ne nous poserons pas exactement au col, mais plutôt vers l'un des réservoirs d'eau présent du côté autrichien : le Grünsee (Lac Vert en français).
La nuit fut particulièrement froide. Même avec un bivouac situé en moyenne montagne. Le vent s'est invité jusqu'à ces basses altitudes, nous piquant ainsi de bon matin. Le ciel est majoritairement dégagé même si quelques nuages s'agrippent encore à quelques sommets.
Nous ne voulons pas avoir trop froid la nuit suivante. Nous nous motivons donc pour accélérer la cadence et marcher 19km supplémentaires et atteindre un bivacco situé sous un col. Lors de cette traversée, nous relierons plusieurs versants de cols frontaliers, marchant ainsi aux bords d'anciennes tranchées, signes du passé violent entre l'Autriche-Hongrie et l'Italie.
Fraichement rénové en 2019, ce petit bivacco n'est composé que de plusieurs planches formant des lits superposés. Il n'y a pas de couette ni de matelas. Dehors, le vent du Nord souffle toujours et malgré la présence d'une source aux abords du bivacco, nous renonçons à la douche quotidienne. Nous souillerons donc nos draps de soie le temps d'une nuit. C'était soit ça, soit l'hypothermie. Deux Birra Moretti ont été laissées dans le bivacco et nous réchaufferont le temps du repas.
La nuit fut bruyante tant le vent frappa avec fracas les murs de la petite installation. C'est avec de lourds cernes que nous nous dirigeons vers la petite station autrichienne de Nassfeld, à environ 5km de marche du bivacco. Le vent, toujours présent, à l'avantage de rapidement nous réveiller. Nous comptions sur cette petite station pour nous ravitailler quelques jours afin de terminer la traversée des Carniques jusqu'à la ville italienne de Tarvisio. Cependant, en cette mi-octobre, pas grand chose n'est ouvert dans la station et le supermarché ne fait pas exception. C'est donc à Nassfeld que la traversée des Alpes Carniques prend fin. Nous n'avons pas d'autre choix que de descendre dans la vallée côté italien pour rejoindre la première ville : Pontebba. Avant cela, nous nous rassasierons d'un copieux petit déjeuner dans un hôtel de Nassfeld.
Nous franchissons le Passo Pramollo et nous abandonnons définitivement l'Autriche. En descendant vers Pontebba, notre venue délogera un magnifique hibou grand-duc qui vola juste devant nous. Nous avons été stupéfaits par l'absence totale de bruits lors de son vol et la rapidité du volatile. Pas le temps de dégainer l'appareil photo...
Bien que l'on raccourcisse de deux jours notre périple dans les Carniques, on l'augmente d'une journée dans le prochain massif : les Alpes Juliennes. Depuis Pontebba, nous avons quelques difficultés à nous extirper de la vallée pour atteindre notre premier col dans les Alpes Juliennes. Notre application nous faisant passer par un sentier inexistant dans les encablures de la petite cité italienne. Nous n'avons donc pas d'autre choix que de marcher quelques kilomètres sur la voie rapide pour atteindre un sentier partant dans les Alpes Juliennes.
3 jours nous séparent de la frontière italo-slovène. Le temps devrait être plus agréable que dans les Carniques grâce à l'affaiblissement du flux de Nord. Mais le froid est toujours en place. C'est pourquoi, nous recherchons de possibles bivaccos pour nos deux dernières nuits en territoire italien. Une fois que nous les avons trouvé, nous nous mettons en route pour la traversée des Alpes Juliennes.
Nous arrivons au Bivacco Stuparich sous les échos des cerfs bramant dans les alpages environnants. Nous pouvons d'ailleurs les apercevoir à l'oeil nu mais l'appareil photo n'a pas de zoom assez puissant. Le bivacco est une véritable cabane d'aventurier : une première petite salle avec une table à manger, une étagère où l'on peut trouver des ustensiles de cuisine, quelques restes de nourriture et une étagère avec moultes outils de bricolage. Dans la seconde pièce, le dortoir avec pas moins de 18 couchages. Tous des lits superposés à ressorts avec matelas et couettes. Bien qu'aucune source ne s'écoule dans l'environnement proche du bivacco, quelques bidons d'eau sont à moitié plein. Mais le plus important pour nous reste la présence d'une boite de conserve de choux au lard (plat slovène) dont nous nous empressons de faire chauffer au feu de bois, à l'extérieur du bivacco.
Les murs étaient assez épais pour atténuer le brame du cerf. Au réveil, les cervidés sont toujours là. Un léger saupoudrage est arrivé pendant la nuit mais rien de quoi compromettre l'étape du jour. Nous avons un col à plus de 2100m à franchir : la Forcella Lavinal dell'Orso. Col qui, dans notre esprit, ne devrait pas être trop compliqué à gravir au vu de la faible quantité de neige dans le massif. C'était sans compter l'épaisse couche de glace et la forte inclinaison de la pente sur les 300 derniers mètres menant au col.
Mais d'abord il faut descendre pour bifurquer dans la bonne vallée, sous la Forcella Lavinal dell'Orso. Dans ce vallon, les chamois sont en masse dans les dernières forêts et les pierriers. Ils nous scrutent de loin et ont probablement bien rigolé en nous voyant galérer dans la montée du col.
La montée à la Forcella Lavinal dell'Orso a été exténuante et dangereuse. 1h30 pour faire 200m de dénivelés dans la neige et la glace. Le sol était particulièrement gelé. Nous devions taper 3 à 4 fois avec l'avant du pied pour s'assurer d'un bon équilibre à chaque pas. Même les bâtons de randonnée avaient du mal à se planter dans la couche de glace. La chute était interdite sinon c'était une glissade de plusieurs centaines de mètres sur de la glace pour une arrivée sur les quelques rochers qui émergeaient de la neige en contrebas. Nous étions extrêmement concentrés. Nous n'avons échangé qu'un ''ça va ?'' au milieu de la pente puis il a fallu attendre le haut du col pour que la pression ne redescende enfin. Nos jambes tremblaient après l'effort fourni et l'adrénaline qui en découlait. Quelques crampes aux bras se déclenchaient tant nous avons dû nous servir à la fois de nos membres du bas et de nos membres du haut pour tenir en place. Etant ''le premier de cordée'', j'ai dû faire les premières traces tout le long de la montée. Mes orteils ont été littéralement broyés par les centaines de coups de pied que je donnais sur la paroi gelée. En retirant mes chaussures le soir même, une boule de sang s'était créée au bout d'un de mes gros orteils. Ce passage fut très dangereux, c'est probablement l'endroit où nous avons eu le plus peur pendant notre Via Alpina. Mais une fois dedans nous ne pouvions pas faire demi tour. Il faut donc proscrire l'ascension de ce col en cas de manteau neigeux.
La descente est fort heureusement moins dangereuse. Seuls les premiers mètres sont périlleux puis l'inclinaison de la pente s'affaiblit par la suite. Des crampons n'auraient pas été de trop ce jour-là.
Nous descendons jusqu'à la minuscule station de Sella Nevea pour y manger. Après le repas, nous nous lançons à la recherche de notre second bivacco. Ce dernier se situe sur le plateau calcaire en aval du Canin 2587m, dans le Parco Naturale delle Prealpi Giulie. Il sert apparemment aux spéléologues lors de leurs expéditions : c'est le Bivacco Speleologico E. Davanzo P. Picciola M. Vianello.
Mais en arrivant au Rifugio Celso Gilberti, avant de partir vers le bivacco, nous nous apercevons que ce refuge possède un abri d'hiver avec de l'eau à notre disposition. Face au confort que le refuge propose, nous ne partirons pas en direction du bivacco et nous resterons dormir dans ce bâtiment situé au pied de l'arête italo-slovène.
Au moment du coucher de soleil, quelques morceaux de l'arête nous surplombant se parent d'une teinte orangée d'abord, rosée ensuite.
C'est le dernier jour de cette dixième étape de la Via Alpina. Il marquera la fin des étapes en Italie et notre entrée dans l'ultime pays de cette grande aventure : la Slovénie. C'est le Passo Prevala qui nous fera basculer coté slovène. Le petit pays nous offrant un grand beau temps dès notre arrivée sur son territoire.
Nous dévalons les premières pentes slovènes en direction de la terminaison de cette dixième étape : Bovec. L'ambiance se tiédit au fur et à mesure de notre descente vers la petite ville slovène située à seulement 400m d'altitude. Nous n'arriverons pas tard à Bovec, profitant de l'après midi pour flâner et faire un gros ravitaillement. Parce que oui, nous avons eu très faim entre les Dolomites et Bovec. Nous ne savons pas si c'est le froid ou autre chose mais nous avons eu particulièrement faim lors de cette neuvième traversée. Nous ne lésinons donc pas sur les collations entre les repas : cakes, biscuits, bonbons en plus de nos repas quotidiens et quitte à porter 1 à 2kg de plus sur le dos. On se transformera en véritables ''Yes Man'' lors des choix dans le supermarché.
Contrairement à la fin de l'Italie, le temps s'annonce radieux en Slovénie. En tout cas pour nos premiers jours dans les Alpes slovènes. Nous ne ferons donc pas de jour de repos à Bovec et nous nous contenterons d'une nuit au chaud dans une auberge de jeunesse. Le lendemain, nous partons à la découverte du septième et dernier pays de notre Via Alpina.