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"Démontage du McDo de Millau" : vingt ans après Action coup-de-poing qui propulsera Millau sur la scène médiatique internationale, le "démontage" du chantier du McDonald's, le 12 août 1999, a servi de tremplin politique à José Bové, comme il a fait entendre la Confédération paysanne dans le monde agricole et les débats sur l'alimentation dans le paysage politique.

C’était un jeudi d’été. Un jeudi dans le creux de la vague, comme seul le mois d’août en a le secret. Les Français sont en vacances, les activités économiques tournent au ralenti, si ce n’est celle des champs, qui ne connaît pas de répit. La saison est chaude : voilà peut-être le seul sujet sur lequel s’attardent les journaux télévisés. La veille, le 11 août, la planète a connu sa dernière éclipse totale du soleil du XXe siècle. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Bové et sa bande n’entrent en scène que le 12.

"Hors de question de se faire éclipser dans l’actualité", s’esclaffe encore, vingt ans après et le sourire coquin, Léon Maillé. Le compagnon du Larzac, fidèle depuis la lutte du plateau des années 1970, n’a rien manqué de l’échafaudage du “scénario McDo”.

La première pierre a été posée sur un coin de table, en terrasse d’un café saint-affricain. Éleveurs ovins, producteurs de lait et acteurs de la filière roquefort entendent "marquer le coup" face aux Américains qui viennent de surtaxer “leur” roi des fromages, parmi d’autres produits de luxe français. À Millau, la cible de la contre-attaque est toute trouvée. Le géant américain McDo, qui sème depuis une quinzaine d’années ses restaurants aux quatre coins de l’Hexagone, s’apprête à poser un pied en Sud-Aveyron.

Avant la tempête : un contexte international tendu

Pour comprendre les événements qui aboutiront sur ce qui fut appelé le “démontage” du McDonald’s de Millau, il faut se replonger dans un contexte économique et agricole particulièrement tendu sur le plan international. La situation fait alors une victime : le roquefort. Difficile à avaler, à l’époque, pour ses défenseurs.

Dix ans plus tôt, en 1989, l’Europe a obtenu l’interdiction d’utiliser les hormones de croissance dans l’élevage. L’UE refuse alors d’importer des États-Unis de la viande de vache élevée aux hormones de croissance. Malgré cette victoire, sur le plan sanitaire et idéologique, des défenseurs d’une agriculture raisonnée, l’Organisation mondiale du commerce (OMC), créée en 1996, autorise les sanctions américaines contre l’Union européenne. L’Oncle Sam inflige au roquefort, comme à soixante autres produits, une surtaxe de 100 % aux douanes outre-Atlantique, en guise de “représailles”.

La décision laisse présager un préjudice de 30 millions de Francs pour les producteurs de roquefort, chiffre-t-on à l’époque. Parallèlement, le 19 février 1999, est délivré à la SA McDonald’s France un permis pour la construction d’un restaurant franchisé de 373 m2 au lieu-dit Bêches, aux portes de Millau.

Le mercredi 11 août, les militants de la Confédération paysanne et affiliés, autour de Bové, Soulié, Maillé, Roqueirol et les autres, trouvent dans le marché de Montredon leur ultime tribune avant l’action. Véritable institution, le marché du hameau larzacien, où vit José Bové, est couru chaque mercredi de l’été. La “bande” y distribue ses tracts - sur lesquels on pouvait lire "Résistance à la Macdomination" -, peaufine ses slogans et invite au rendez-vous. Du Larzac, ils partiront sur les coups de 10 h 30, ce jeudi 12 août 1999.

Annoncée publiquement depuis plusieurs jours, la manifestation "symbolique" sur le parking du McDonald’s est acceptée en préfecture. Le patron de la franchise millavoise, déjà propriétaire des deux McDo ruthénois, est prévenu. Les ouvriers du chantier profitent d’un jour chômé. Tout le matériel de construction a, quant à lui, était verrouillé dans des conteneurs à proximité.

Il est 11 h quand les premiers véhicules du convoi, qui descend la cote de La Cavalerie, gagne le parking du fast-food. Deux policiers les y attendent. Rien, à ce moment-là, ne laisse présager de la suite. "À cette époque-là, les actions de la bande à Bové, on y était habitués, se souvient le journaliste millavois Hugues Cayrade. Et les flics aussi ! Ce n’était pas tous les matins mais presque."

Ce jeudi matin-là, donc, seuls les médias locaux ont envoyé leurs photographes et leurs plumes. Côté forces de l’ordre non plus, on ne dépêche pas les grands moyens. "Les gars du Larzac, c’étaient nos trublions locaux, on les connaissait bien, se souvient un gendarme, en première ligne. Ils étaient très engagés, agissaient à visage découvert, prêts à assumer. Ils utilisaient chacune de nos convocations comme vitrine médiatique, nous le savions, mais c’était respectueux."

L'émergence d'un leader

Agé de 46 ans en 1999, José Bové est établi à Montredon-du-Larzac depuis 1976, sur des terres ravies à l’armée. Il veille sur un troupeau d'ovins viande de quelque 300 têtes.

Né à Talence (Gironde), il est de toutes les luttes aux cotés des paysans depuis la lutte contre l’extension du camp militaire sur le Larzac. Il participe naturellement, en 1987, à la création de la Confédération paysanne. Anti-militariste, il prend part, dans l’océan pacifique, aux opérations contre les essais nucléaires. On le retrouve également au soutien des mouvements indépendantistes tahitiens, ou encore kanaks. Dès le début des années 1990, il s’est aussi lancé dans la lutte contre les OGM.

En 1998, il sera ainsi condamné à huit mois de prison avec sursis (et 500 000 Frs d’amende) pour la destruction d’un stock de semences transgéniques du groupe suisse Novartis, à Nérac, près d’Agen. Ce procès permettra de généraliser le débat sur les OGM en France. Toujours en 1998, un an avant le “démontage” du McDonald’s, il fait également partie des membres fondateurs de l’association ATTAC (Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne).

D’aucuns savaient de longue date qu’il ne manquait qu’une étincelle pour que son discours embrase la planète. Et pour que le militant inlassable de la Confédération paysanne, habitué aux coups de force, ne devienne un authentique leader d’opinion. L’allumette a craqué avec trois planches par un beau matin d’août 1999.

Sur place pourtant ce 12 août, tout s’emballe rapidement. Six tracteurs, attelés de remorques, entrent sur le parking. Entre 200 et 300 militants les accompagnent, outils en main.

Perché sur un bloc de béton, José Bové prend le micro. Dans son tee-shirt blanc frappé d’une brebis rouge, à l’effigie de la Confédération générale de roquefort, la main dans la poche de son jeans clair, il explique : "Si nous sommes là, c’est parce que McDo est le symbole de ces multinationales qui veulent nous faire bouffer de la merde et faire crever les paysans". Le coup d’envoi est donné.

La manifestation bascule quand les paysans, venus en famille, entrent par effraction dans le restaurant. Face à leur détermination, la porte battante du fast-food ne résiste pas. Les militants s’engouffrent dans le chantier. Le mobilier est sorti. En partie détruit. Les vitres, taguées. "McDo, go home", "Mac Do defora - gardarem Roquefort". Des inscriptions peintes jusqu’à la toiture du bâtiment par des militants en équilibre sur les tracteurs. Des tracteurs dont les fourches serviront, aussi, à "démonter les fenêtres et les cloisons", se souvient Bové.

Démuni, le patron Marc Dehani n’a que ses yeux pour se désoler, à un mois de l’inauguration de son troisième restaurant : "Je les ai vus arracher le toit, défoncer les portes à coups de barre à mine. Des enfants démontaient la décoration avec de petits marteaux. Ils ont détruit les chambres froides à coups de masses. Ils ont coulé du béton dans des canalisations et coupé tout le câblage électrique." Et d’ajouter, la mémoire intacte : "Les policiers n’ont rien pu faire. La seule chose à faire… C’était de laisser faire."

Juridiquement, que l'on parle de "démontage" ou de "saccage", cela revient presque au même. Il s’agit d’une atteinte à la propriété et aux biens d’autrui. Mais psychologiquement, la différence est utile. Clairement, le procureur avait parlé de “saccage” pour justifier plus de sévérité. - François roux, avocat de josé bové

En bordure du chantier, sur la nationale 9, route des vacances qu’empruntent des milliers de Français pour rallier la Méditerranée, à une époque où le viaduc de Millau ne fait pas encore partie de la carte postale, les militants interpellent les automobilistes. Klaxonnés comme des rock stars, ils distribuent des "bouts de chantier" et des "tartines de roquefort" aux mains tendues par les vitres baissées.

Sur le parking, Bové sera le premier à sortir du chantier. Ses moustaches, qui dessinent le dernier trait de "l’archétype français du rebelle", selon le journaliste Patrick Poivre d’Arvor à l’époque, sont déjà identifiées de tous. Tandis que Marc Dehani répond aux journalistes, face caméra, évoquant des "questions de commerce mondial" qui "dépassent" l’entrepreneur qu’il est, José Bové s’interpose. Dehani appuie sur les 35 emplois qu’il va créer localement, Bové répond qu’aucune entreprise aveyronnaise n’a profité du chantier de son McDo.

Dans une mise en scène aux petits oignons, Bové porte alors à bout de bras son trophée face aux photographes : un panneau largement amputé où il était inscrit "Ici, construction d’un McDonald’s". Ce panneau, comme toutes les cloisons tombées et l’ensemble du "butin" sera "chargé sur les remorques des tracteurs", rappelle Bové. Et de reprendre : "On est partis en convoi jusqu’à la sous-préfecture pour tout déverser dans la cour". Sur le trajet, Bové se souvient d’applaudissements venus "des gens sur les trottoirs".

Dans son bureau de l’hôtel de ville, avenue de la République, le maire Jacques Godfrain assiste au spectacle. "Personne ne m’avait prévenu de l’action", raconte-t-il sans trop de regrets. La “bande à Bové”, il ne la connaît que trop bien. à plusieurs reprises, il a trouvé la petite équipe devant sa permanence de député. Devant… Quand ils n’étaient pas dedans.

"En fin de matinée, je vois passer les tracteurs avec de longs plateaux, raconte l’ancien maire de Millau. Habituellement, on voyait plutôt de la paille sur ces remorques. Mais là, c’était des cloisons complètement déchiquetées. Qui m’a appelé ? Peut-être le commissaire de police. Mais je n’ai pas été sur place. Qu’est ce que j’aurais fait de plus ?"

Les manifestants n’avaient, en effet, besoin de personne. Arrivés devant les grilles de la sous-préfecture, à quelques mètres de la mairie, ces derniers déplient des banderoles et s’activent, autant que possible, à faire passer leur butin par dessus le portail. Là encore, les forces de l’ordre, trop peu nombreuses, se posent en spectatrices. La manifestation, peu ou proue, s’arrête là.

Devant la sous-préfecture de Millau.
Devant la sous-préfecture de Millau.

"L’après-midi, il ne s’est rien passé", se remmémore Hugues Cayrade, témoin en première ligne pour Le Journal de Millau. Dans la ville, le bruit commence à courir tout doucement. Il faudra attendre les publications du lendemain matin pour que le “démontage du McDo” alimente vraiment les conversations. "Les gens s’en foutaient un peu, reprend Hugues Cayrade. On disait “tiens, encore un coup du Larzac”, puis on est vite revenu au clivage habituel : les pro-Larzac face aux autres. Mais ceux qui s’en foutaient étaient largement majoritaires."

Comme la plupart des actions de la Conf, l’histoire aurait pu s’arrêter là. Aux colonnes de la presse locale, aux débats larzaco-millavois. C’était compter sans le cocktail explosif qui ronronnait en arrière-plan : "Des rédactions parisiennes qui n’ont rien à se mettre sous la dent en plein mois d’août, des journalistes qui fantasment à l’idée de revivre le Larzac, résume encore Hugues Cayrade. Mais surtout, c’est la jeune juge Marty qui, en décidant d’interpeller la bande en sortant la grande cavalerie dès le mardi, a mis le feu aux poudres."

Convaincu que des interpellations différées de quelques semaines auraient fait retomber le soufflé illico, Hugues Cayrade interprète ce "zèle de justice" comme le facteur déclencheur. "Bové, qui était en vacances quand les policiers de Montpellier arrivent sur sa ferme, a saisi le truc, continue le journaliste. En choisissant de se rendre à la justice après avoir convoqué la presse, il fabrique son feuilleton. Et autour de lui, la Conf comprend ce qu’elle a à gagner de cette médiatisation."

Dans les jours qui suivent, la presse internationale s’empare du sujet, et déboule à Millau. Dans les semaines qui suivent, ce sont les ventes de roquefort qui bondissent de 5 %.

"S’il n’y a pas le Larzac, il n’y a ni Bové, ni le McDo"

Militant historique de la lutte du Larzac, Léon Maillé participe, ce 12 août 1999, au “démontage”. Celui qui fut directeur de la publication de Gardarem lo Larzac jusqu’en 1995, mais également billettiste incisif, prend part, ce jour-là, à "une manif comme une autre".

L’ancien paysan se rappelle de militants en pleine force de l’âge en 1999, près de vingt ans après la fin de la lutte contre l’extension du camp militaire : "Il y avait une émulation collective qui venait de là."

"Une nouvelle fois, on était dans l’action, poursuit-il, comme à l’époque. Mais celle-ci a été encore plus forte, grâce à l’action des médias. C’était une bonne idée. De toute façon, toutes les actions du Larzac ont été des bonnes idées. Il faut qu’il y en ai un qui ai une petite folie pour que les autres suivent."

Vingt ans plus tard, Léon Maillé en est convaincu : "S’il n’y avait pas eu le Larzac, il n’y aurait pas eu Bové, il n’y aurait pas eu McDo…" "Le Larzac, c’est le point de départ, c’est une pépinière de militants, assure-t-il. D’ailleurs, José, au tout début du Larzac, n’était pas connu. C’était Tarlier le leader. Quand Tarlier est décédé, José est sorti du lot. Nous, on a toujours fonctionné en tribu, avec une espèce de chef qui n’était pas élu mais montait petit à petit."

Le feuilleton judiciaire

  • Après le coup d’éclat du 12 août 1999, quatre membres du syndicat sont interpellés le 17 août. Raymond Fabrègues, Léon Maillé, Christian Roqueirol et Jean-Emile Sanchez seront incarcérés à Mende et Albi. Un mandat d’arrêt est alors lancé à l’encontre de José Bové, en vacances en famille en Gironde. Il se livre le 19août, puis est emprisonné à la prison de Villeneuve-lès-Maguelone. Il y effectuera 19jours de détention provisoire avant d’être libéré contre le versement d’une caution de 105000 F.

Ce 30 juin 2000, premier jour du procès de José Bové, voit une mobilisation exceptionnelle dans les rues de Millau. C’est une véritable marée humaine qui déferle sur la ville, façon “Woodstock de l’anti-mondialisation”. "Nous doublerons la population de Millau" : pari gagné pour la Confédération paysanne et le collectif de soutien aux co-inculpés, qui réunissent autour de la place du Mandarous jusqu’à 35 000 personnes. Depuis le ciel, on ne voit plus un centimètre carré de bitume. Tous sont venus témoigner leur soutien à José Bové et à ses amis, les “Dix”, comme on les appelle désormais, prévenus du “démontage” du McDo, l’année précédente. Au total, deux trains spéciaux et 400 autobus vont converger vers Millau, sans compter les milliers de voitures personnelles stationnées aux portes de la ville, comme aux plus belles heures de la lutte du Larzac.

Le comité de soutien aux inculpés, installé à Millau à l'été 2000.

A la mi-journée, la “charette des condamnés” fend la foule vers le palais de justice, au-dessus d’une mer à peine croyable de manifestants et de drapeaux. Durant deux jours, le rendez-vous fait de la sous-préfecture le point de convergence de la France entière. Marché fermier, tribunal citoyen pendant toute la durée du procès, mais aussi forums, animations de rues et meetings (Michel Tubiana, Susan Georges, Vandana Shiva, Lori Wallach et José Bové en rock stars), la bonne humeur n’a jamais quitté les participants, dans une ambiance festive et bon-enfant. Les avenues, boulevards et places de Millau voient des milliers de personnes déambuler, sans le moindre incident.

L'arrivée au tribunal de Millau des "Dix".

A la sortie du palais de justice, samedi 1er juillet, Bové et les siens sont acclamés sur les marches du tribunal, avec des cris de « On a gagné ! ». La presse du monde entier (plus de 70 médias accrédités) immortalise le moment. Les inculpés ont le visage radieux, le poing levé. Le verdict est placé en délibéré au 13 septembre, mais la mobilisation populaire a déjà largement dépassé tous leurs espoirs. Relégant presque le judiciaire au second plan.

La sortie triomphante de José Bové du tribunal, le 1er juillet 2000.
Le soir du 30 juin, à la Maladrerie, le concert de soutien rassemble, selon les estimations de l’époque, 60 000 personnes (40 000 selon les autorités, 110 000 selon l’organisation). Le plus grand rassemblement populaire qu’avait connu Millau depuis belle lurette. L’apothéose sonique d’une folle journée à l’unisson. Ce soir-là, Francis Cabrel, Noir Désir et Zebda sont sur scène. Les meilleurs caricaturistes de Charlie Hebdo sont aussi là.
Si nous avions pu donner suite aux propositions de tous les artistes qui nous ont contactés, c’est un concert non-stop sur plusieurs jours que nous aurions dû organiser. Des centaines de groupes et chanteurs, et non des moindres, souhaitaient témoigner sur scène leur solidarité envers le combat de José Bové

Inaki Aranceta, grand ordonnateur des concerts du 30 juin.

Les journalistes de Charlie Hebdo et les chanteurs de Zebda et Noir Désir, dans les "coulisses" de la Maladrerie.

Et après...

Suite du feuilleton judiciaire :

  • Le 13 septembre 2000, le tribunal condamne José Bové à trois mois de prison ferme et ses compagnons à des peines allant de la prison avec sursis à la relaxe. Les dix condamnés font appel du jugement.
  • Le 30 juin 2000, 35 000 personnes sont rassemblées à Millau pour suivre le procès des “Dix”.
  • Le 22 mars 2001, à la suite du procès en appel du 15 février, la cour d’appel de Montpellier confirme la décision du tribunal de Millau.
  • Le 23 janvier 2002, la cour de cassation examine les pourvois déposés par les défenseurs des dix inculpés, dont José Bové. Ces pourvois sont rejetés.
  • Le 19 juin 2002, José Bové est incarcéré à Villeneuve-lès-Maguelone pour purger son reliquat de peine de deux mois et demi de prison. Parti de ses terres du Larzac, il arrive aux portes de la prison en tracteur, entouré d’une caravane de machines agricoles.
  • Il sort le 1er août 2002.
François Roux, avocat de José Bové : "tous ces moments m’ont fait grandir"
François Roux lors du procès des "Dix", le 30 juin 2000.

Comment les militants vous contactent-ils pour les défendre à la suite des événements du 12 août 1999 ?

Ce n’est pas tout à fait comme cela que ça se passe. Ma fille aînée est alors en train de mettre au monde son deuxième enfant. Moi, je garde mon autre petit-fils ce matin du 16 août. Nous sommes à la plage et le téléphone sonne. C’est le tribunal de Millau : "On vient d’arrêter des personnes qui vous demandent !" Je monte à Millau, et j’arrive dans une ville en état de siège. C’était incroyable. J’avais déjà vu Millau avec des CRS, mais là, la ville et les alentours étaient bouclés.

Avec José (qui n'a pas été interpellé puisqu'il était en vacances, mais qui est recherché, NDLR), on organise ensemble la façon dont il va se rendre à Millau. Sans parler de reddition, mais presque. Il rejoint le sud de manière discrète, via des petits villages. Finalement, le 19 août, on passe ensemble les barrages de police, jusqu’au tribunal de Millau.

C’est ensuite que José Bové change d’envergure médiatiquement…

Il est un peu arrêté en Robin des bois. La France entière disait qu’on recherchait José Bové, la presse ne parlait que de ça.

Vous décidez ensuite que la caution pour la libération de José Bové ne sera pas payée. José Bové est alors au tribunal de Montpellier lorsqu’une photo, restée dans les mémoires est prise.

Il est à Villeneuve-lès-Maguelone et on demande sa libération. Il dit alors qu’on ne paiera pas la caution. C’est à Montpellier, à la sortie du tribunal, que sera prise la fameuse photo...

"LA" photo, au tribunal de Montpellier.

Ce qui restera comme un immense coup médiatique était-il prémédité ?

Absolument pas. C’est l’intuition de José. Ce n’était pas du tout réfléchi. Ce jour-là, j’ai mesuré son intuition, son intelligence des situations. On assiste à la naissance d’un leader. Je redécouvre alors ce sentiment, vingt ans après les événements du Larzac, que la non-violence refait la Une de l’actualité. A ce moment-là, je suis très satisfait de ça. On surfe sur la dynamique de la Confédération paysanne qui est en pleine ascension. C’est le sentiment d’une actualité qui bouscule les choses de manière très positive.

Quel est votre sentiment au moment d’aborder le procès ?

Je ne sens pas très bien les choses. On sentait la pression judiciaire qui montait. J’étais inquiet. Cela pouvait déraper judiciairement. On était portés par cette énorme médiatisation, mais je ne savais pas où on allait. C’était une période passionnante.

Y a-t-il alors une autre option que de plaider la relaxe ?

Non, il n’y a aucune autre possibilité que de plaider la relaxe en invoquant l’état de nécessité. C’est la seule porte de sortie pour ces militants présentés devant le juge pour désobéissance civile. Une situation comparable aujourd’hui à ce qui se passe dans la vallée de la Roya.

Malgré cela, José Bové est condamné à trois mois de prison ferme. Comment analysez-vous cette peine aujourd’hui ?

Elle était hors de proportion pour une action symbolique. C’était ridicule, mais tout ça était dans l’excès. Cela ne valait pas trois mois de prison ferme, c’est surréaliste. José Bové a été sanctionné pour être devenu un leader.

Diriez-vous, vingt ans après, que l’Histoire vous a donné raison ?

Oui, à 200 %. La plupart des causes que j’ai défendues professionnellement, elles ont été gagnées dans l’Histoire. Je peux citer le Larzac, mais aussi les essais nucléaires en Polynésie, la révolte du peuple kanak, les OGM… Quand je disais aux juges, au cours de ces procès, "Vous les jugez aujourd’hui, demain l’Histoire vous jugera", ça ne leur plaisait pas du tout. Mais c’est une vérité aujourd’hui. Avec le recul, je suis très heureux d’avoir vécu avec ces militants tous ces moments qui m’ont fait grandir.

Ont contribué : Lola Cros, Victor Guilloteau, Loïc Bailles, Eva Tissot, Caroline Gaillard / Midi Libre Millau

Crédit photos d'archive : François Célié / Midi Libre / tous droits réservés

Iconographie : Eva Tissot

Réalisation web : Lola Cros

Midi Libre Millau - août 2019

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Crédit photo : archive François Célié / Midi Libre

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